Les Innocentes

Les Innocentes
De Anne Fontaine (Fr, 1h40) avec Lou de Laâge, Vincent Macaigne...

Anne Fontaine, qui apprécie toujours autant les sujets épineux et a pris goût aux distributions internationales, en a débusqué un en Pologne : l’histoire de religieuses enceintes après avoir été violées par des soudards soviétiques…

C’est une fort étrange apocalypse que l’irruption de cette œuvre dans la carrière d’Anne Fontaine. Même si la cinéaste a continûment manifesté son intérêt pour les histoires un brin dérangeantes, celles-ci se déroulaient dans des familles ordonnées, aux meubles et parquets bien cirés ; la perversité et l’audace transgressive demeuraient domestiques, circonscrites aux périmètre intime. Les Innocentes change la donne.

Premier réel film historique de la réalisatrice (Coco avant Chanel (2009), comme son nom l’indique, était un portrait bancal d’une Gabrielle Chanel en pleine ascension), il s’extrait surtout du récit bourgeois pour investir un “ailleurs”, ou plutôt “des” ailleurs. Le contexte de la guerre, la situation des autres (et non plus le “moi” du couple, de la famille idéale chamboulée) ; l’apprentissage du dialogue corps-esprit et surtout la place des femmes, universelles premières victimes des conflits, dessinent ici les lignes de force de ce qui n’est pas qu’une reconstitution. L’histoire pourrait hélas se dérouler en des temps contemporains : Les Innocentes montre que des médecins doivent contrevenir à des règles militaires et religieuses pour soigner des victimes dites “collatérales”. C’est encore le cas aujourd’hui.

Médecine non conventionnelle

Revendiquant Bernanos, et s’inscrivant dans une forme d’ascèse narrative, Anne Fontaine n’omet cependant pas la chair : en parallèle des séquences dans le gris clos du couvent ou la nuit glaciale des forêts solitaires, elle instille des parenthèses de vie au milieu des décombres de la guerre — paradoxe en apparence invraisemblable. À coup de petites discordances, de ruptures, elle fait progresser deux mondes disjoints (le laïc et le spirituel) ayant connu séparément la même barbarie vers une lumière grave, leur offrant de partager une “libération” commune, à défaut d’être irénique.

Interprète du chirurgien mélancolique courtisant l’héroïne, Vincent Macaigne compte au nombre des étrangetés du film. Il doit sa présence à Anne Fontaine, qui a misé, justement, « sur sa bizarrerie, sa fantaisie, son ironie. Jusqu’à présent, il a toujours été dans des rôles un peu bobos : flou, mal rasé, les cheveux n’importe comment. » La réalisatrice poursuit : « Je lui ai tout de suite fait couper les cheveux et mettre un corset. Cet élément corporel a changé son attitude, l’a stylisé. Il n’est pas le beau chirurgien que l’on s’attend à voir dans un couple romantique ; il le rend non conventionnel. » Voilà qui tombe bien : la seule convention admissible dans un film de guerre, c’est celle de Genève. VR

Les Innocentes de Anne Fontaine (Fr, 1h55), avec Lou de Laâge, Vincent Macaigne, Agata Buzek…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 1 mars 2022 Faisant mentir une fois de plus le dicton qui affirme que « nul n’est prophète en son pays », Le Fil programme deux soirées gratuites en mode scène locale (mais pas que). Deux dates qui s’annoncent riches en découvertes. 
Mardi 1 mars 2022 Il y a d’abord la voix de Silène Gayaud : une véritable invitation au voyage, notamment en Irlande d'où la chanteuse a ramené dans ses valises des textes (...)
Vendredi 29 octobre 2021 Devenue orpheline, la petite Violette part vivre avec son oncle Régis, agent d’entretien au château de Versailles. Le problème, c’est que Régis, il pue, (...)
Mardi 7 septembre 2021 Un analyste opiniâtre du BEA ayant découvert que les enregistrements d’un crash aérien ont été truqués, se trouve confronté à l’hostilité générale… Yann Gozlan creuse le sillon du thriller politique, lorgnant ici le versant techno-paranoïde et...
Jeudi 1 juillet 2021 Enchaînant films et sujets opposés, Anne Fontaine s’attaque après Police à l’étage supérieur : le pouvoir suprême et ceux qui l’ont exercé… lorsqu’ils en sont dépossédés. Entre fable et farce, une relecture des institutions et de...
Mercredi 8 janvier 2020 En un plan-séquence (ou presque) Sam Mendes plonge dans les entrailles de la 1ère Guerre mondiale pour restituer un concentré d’abominations. Éloge d’une démarche sensée fixant barbarie et mort en face, à l’heure où le virtuel tend à minorer les...
Mardi 5 novembre 2019 Alors que son CD consacré aux Suites pour violoncelle de Bach provoque quelques répliques sismiques, assurément prévisibles, Emmanuelle Bertrand, mue par le (...)
Mercredi 4 septembre 2019 Un seul être revient… et tout est dévasté. Cédric Kahn convoque un petit théâtre tchekhovien pour pratiquer la psychanalyse explosive d’une famille aux placards emplis de squelettes bien vivants. Un drame ordinaire cruel servi par des interprètes...
Mardi 3 septembre 2019 Fort heureusement, elles n’ont pas attendu les réseaux sociaux, le grand buzz des chaînes en continu, ni l'anathème porcin pour avoir du talent, avec (...)
Mardi 5 mars 2019 Une jeune femme arpente les rues de Budapest à la recherche de son frère révolutionnaire, alors que le vent de 1914 se lève. Après "Le Fils de Saul", László Nemes imagine ce qui pourrait en constituer le prologue à l’aube du XXe siècle…
Mardi 5 juin 2018 Avec Brizé, Pawlikowski et Lee Chang-dong en compétition et trois autres réalisateurs dans les sections parallèles, le distributeur et producteur Michel Saint-Jean a savouré « comme si c’était le premier » le festival de Cannes 2018. Affable mais...
Mercredi 16 mai 2018 « Celui qui combat peut perdre. Celui qui ne combat pas a déjà perdu » Citant Brecht en préambule, et dans la foulée de La Loi du marché Stéphane Brizé et Vincent Lindon s’enfoncent plus profondément dans l’horreur économique avec ce magistral récit...
Mercredi 2 mai 2018 Films décalés parvenant enfin (ou pas) sur les écrans, familles séparées finissent par renouer des liens distendus voire coupés… Mai est un mois de retrouvailles. Et de festival, aussi, un peu…
Mercredi 2 mai 2018 Le Musée d'Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne Métropole n’en finit pas de fêter son trentième anniversaire. L’exposition consacrée à l'artiste indien Anish Kapoor laisse la place à deux nouvelles expositions qui mettent à l’honneur la...

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X