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Martin Scorsese : « Je vis toujours avec "Silence" »
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 7 février 2017 - 1531 lectures
Photo : Martin Scorsese en pleine direction d'acteur © DR
Silence
De Martin Scorsese (ÉU, 2h41) avec Andrew Garfield, Adam Driver...
C'est à moi que tu parles ? / Lors de son bref passage en France, Martin Scorsese a brisé le silence pour évoquer celui qui donne le titre à son nouveau film. Morceaux choisis et propos rapportés de sa conférence de presse.
Votre titre est accompagné au générique de début par un réel silence. Doit-il s’entendre comme un constat ou une injonction ?
Martin Scorsese : C’est une façon d’attirer l’attention du spectateur, mais aussi une forme de méditation intime, car ce film exige une concentration du public. Nous venons tous du silence et nous allons tous y retourner ; alors autant s’y habituer et s’y sentir bien.
à lire aussi : Silence : Du doute, pour une foi
Qu’est-ce qui vous a autant attiré dans le livre de Shūsaku Endō ?
J’ai été attiré — obsédé, devrais-je dire — par l’histoire qu’il raconte. Pour moi, il parle d’une manière extraordinaire de la façon d’accepter la spiritualité qui est en nous. Sa résonance est toute particulière de nos jours, alors que le monde rencontre de grands changements technologiques et que des faits horribles se déroulent. J’espère que cette histoire — donc le film — pourra ouvrir un dialogue en montrant que la spiritualité existe, puisque qu’elle est une part intégrante de notre humanité profonde.
Vous avez porté ce projet plusieurs décennies. Que ressentez-vous à présent qu’il est achevé ?
Cela a duré longtemps, en effet, mais pendant les quinze premières années, j’ignorais comment transposer réellement le livre au cinéma. Ensuite, il y a eu des problèmes monumentaux, légaux et financiers. Sans compter que la communauté hollywoodienne me décourageait sans arrêt… Aujourd’hui, dans ma tête, je suis encore en train de le tourner. Pour moi, il n’est pas vraiment fini — il l’est bien, mais je le poursuis dans ma tête. Parce que je crois qu’il ne ressemble à aucun autre de mes films et qu’il m’appartient vraiment. En fait, je vis toujours avec Silence.
Il s’agit de votre film le plus dépouillé, mais aussi le plus en communion avec les éléments. Vous vous êtes doublement “dépaysé”…
L’histoire se prêtait à ce minimalisme, à cette mise à nu. Plus les années passaient, plus je visualisais le film en travaillant au scénario. Ça m’a permis d’opérer un processus de simplification, car je voulais absolument toucher à l’essence des choses au travers de ce film — de la mise en images au montage : je n’avais plus à prouver que je savais manier une caméra, ni à faire des effets. Quant au fait de tourner en extérieur, d’être entouré par toute cette nature… Cela m’a transformé.
Moi qui suis un New-Yorkais allergique à tout, ayant grandi dans des couloirs sombres en regardant la vie derrière une fenêtre comme dans Fenêtre sur cour, me retrouver au sommet de cette montagne, c’était presque vivre une expérience mystique !
En plus nous tournions dans des lieux extrêmement difficiles d’accès. Parfois, je trouvais ça éprouvant, mais je ne me plaignais pas parce j’étais exactement là où je voulais être.
Silence a-t-il eu des résonances sur votre vie intérieure ?
De tous ceux que j’ai réalisés, ce film est celui qui a eu le plus de connexions avec ce que je vivais. J’ai dû faire des choix, réévaluer des choses pour finalement comprendre ce que c’était qu’“accepter”, au sens philosophique du terme, la vie que les objets ou les êtres pouvaient changer. Mais aussi que parfois il fallait, dans la mesure du possible, repenser ses valeurs afin d’être présent pour les autres. C’est pour cela que ce film m’habite encore.
Au générique de fin, vous faites entendre des sons naturels, des bruits d’oiseau. Est-ce une manière de dire qu’en définitive, le silence n’existe pas sur Terre ?
Sans vouloir faire de jeu de mots, les sons que vous entendez sont du silence, et ce silence me parle, justement ! Durant le tournage dans les grottes, j’ai entendu un son très fort : c’est la marée montante ; je n’avais jamais entendu ça à New York. Ça m’a rappelé une pièce de Tennessee Williams, Boom ! dans laquelle il dit que le son des vagues est celui de votre propre cœur. J’ai compris alors ce que cette phrase voulait dire. Pendant qu’on tournait, les oiseaux commentaient nos actions par leur harmonie subconsciente. Pour moi, les sons de la nature font partie du réconfort du silence.
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