Citoyen d'honneur : Inspirez ; expi(r)ez !

De retour dans son village natal pour être célébré, un Prix Nobel voit se télescoper ses œuvres avec ceux dont il s’est inspiré… à leur insu. Il va devoir payer, ou au moins, encaisser. Un conte subtil et drôle sur cet art de pillard sans morale qu’on appelle la littérature.

Reclus dans sa villa espagnole depuis l’attribution de son Prix Nobel de Littérature, Daniel Mantovani n’écrit plus et ne répond guère aux invitations. Lorsque survient la proposition de Salas, son village natale d’Argentine de le faire Citoyen d’honneur, il accepte autant par nostalgie que curiosité. Mais était-ce une si bonne idée que cela ?

Mariano Cohn & Gastón Duprat n’étaient pas trop de deux pour signer ce film jouant simultanément sur autant de tableaux : s’engageant comme une comédie pittoresque teintée de chronique sociale, Citoyen d’honneur change au fur et à mesure de tonalité. L’aimable farce tourne en effet à l’aigrelet, transformant un auteur habitué depuis des lustres à gouverner son destin (et celui de ses personnages, en bon démiurge) en sujet dépendant du bon vouloir de ses hôtes. Mantovani semble alors propulsé dans un épisode inédit de la série Le Prisonnier, qu’on jurerait ici adaptée par Gabriel García Márquez, avant de plonger dans une inquiétante transposition de Delivrance — cette fois retouchée par Luis Sepúlveda !

Comme un boomerang

L’œuvre de l’écrivain est-elle le produit de son existence, ou bien son existence résulte-t-elle de ce qu’il crée ? À cette éternelle interrogation, Citoyen d’honneur répond malicieusement, montrant l’inextricable interdépendance entre ces deux sphères où l’artiste navigue ; chacun des actes qu’il commet dans l’une connaissant une répercussion dans l’autre. Figure duale et duplice, Mantovani (formidablement campé par Oscar Martinez) est illégitime dans son village d’origine : il l’a certes rendu célèbre dans le monde entier, mais au prix de tellement trahisons que le voilà devenu pareil à un “corps étranger”. Pas étonnant que les “défenses immunitaires” les plus belliqueuses de Salas aient envie de lui faire la peau.

La morale, en admettant qu’il y en ait une à tirer de ce film picaresque, est qu’un écrivain demeure la dernière personne à qui faire des confidences ou en qui placer sa confiance : à l’instar du feu, il s’alimente indifféremment de tout ce qu’on laisse à sa porté. Et s’il délivre en contrepartie un peu de chaleur résiduelle, la proximité immédiate de cet être hautement narcissique expose à bien des brûlures. Elles semblent toutefois réciproques, si l’on en croit les stigmates de l’artiste : quelle que soit sa faculté de résilience, ce dernier est toujours consumé par sa propre œuvre. Maigre consolation pour sa victime ; quant au lecteur : peu lui chaut !

Citoyen d'honneur de Mariano Cohn & Gastón Duprat (Arg., 1h 57) avec Oscar Martinez, Dady Brieva, Andrea Frigerio… (sortie le 8 mars)

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