Happy End
De Michael Haneke (Fr-Autr, 1h50) avec Isabelle Huppert, Toby Jones...

Encore en corps, mes très chairs !

Morte saison pour la nature, l’automne est au contraire celle d’une insolente éclosion de nouveautés dans les salles — avec le risque pour certaines de finir précocement au tapis. Une vigueur marquée par une étrange surreprésentation de corps exclus, usés ou en lambeaux…

On commence par le toujours aussi jovial Michael Haneke, convoquant dans Happy End (4 octobre) une pré-ado matricide et un grand-père traîne-la-patte désireux de se faire euthanasier pour éviter de choir dans le gâtisme, le tout au milieu d’une grande famille du Calaisis. Dans le rôle du patriarche appelant la mort, Trintignant joue une extension de son personnage de Amour — il y fait explicitement allusion. Hélas le film ressemble à du Haneke en kit : si les comédiens et thèmes moraux/dérangeants habituels sont là, manque un liant : la durée obstinée des plans. Privé des longues séquences de tension faisant l’ordinaire si perturbant du cinéaste autrichien, Happy End paraît superficiel et anecdotique.

The Square de Ruben Östlund (18 octobre) a dû absorber la substance vitale hannekienne. Loin d’être d’une parfaite homogénéité ni une réussite indiscutable, la Palme d’Or 2017 (attribuée par défaut ?) recèle deux de ces séquences aptes à plonger le public dans une situation malaisante : les deux commencent par un sourire et s’achèvent dans l’angoisse — pour l’une, la vie d’un enfant est en jeu. The Square vitupère de manière convenue les paradoxes et hypocrisies sociétaux à travers le milieu caricatural de l’art contemporain, mais cette tentative est à mettre à son crédit.

Grandes causes (toujours)

Des causes justes n’inspirent pas forcément des films exempts de reproches. Ainsi le documentaire Latifa, le cœur au combat (4 octobre) d’Olivier Peyon & Cyril Brody, suivant la mère d’une des victimes du terroriste Mohamed Merah. Latifa Ibn Ziaten a converti son malheur en un combat contre la haine, sillonnant les routes à la rencontre de la jeunesse. Mais si son deuil lui confère une autorité, il l’enferme dans une position de témoin à respecter, appelant une compassion légitime, non de personne qualifiée pour le dialogue ni apte à déconstruire des argumentaires de jeunes radicalisés. Elle porte en outre un message ambigu en arborant en permanence un foulard (alors que des photographies anciennes la montrent tête nue…) qu’elle justifie par son deuil ou le fait qu’il ait été donné par Mohamed VI. On peut avoir de la sympathie pour la personne, mais trouver déplacée son héroïsation médiatique — son instrumentalisation ?

L’approche de Fabrice Éboué est plus efficace dans Coexister (11 octobre) : cette farce satirique raconte la création d’un groupe musical unissant un prêtre, un rabbin et un (faux) imam chantant le vivre-ensemble. Entouré par un trio bien choisi (Tonquédec/Cohen/Bédia), le comédien-réalisateur va sans cesse aux limites de la provocation de mauvais goût, avec un sens du corrosif très plaisant et, somme toute, fédérateur.

Et la discrimination féminine, on en parle ? Oui, car elle reste universelle. Téhéran Tabou (4 octobre) film en rotoscopie de Ali Soozandeh montre à quel point les Iraniens peuvent se montrer accommodants vis-à-vis de la religion, tant que cela sert leurs privilèges, peu importe si c'est au détriment des Iraniennes. La Belle et la Meute (18 octobre) prouve qu’un Printemps arabe ne suffit pas à balayer des années de machisme ni de patriarcat en Tunisie : les longs plans-séquences de Kaouther Ben Hania filmant le calvaire d’une étudiante violée par des policiers en témoignent. Quant à la France, elle n’est pas en reste : dans Numéro Une (11 octobre), Tonie Marshall rappelle que ce n’est pas demain la veille qu’une femme parviendra sans intriguer à tête d’une entreprise du CAC40.

À bras raccourcis

Terminons avec les deux manchots se livrant à un bras de fer virtuel sur les écrans le 25 octobre. D’un côté, Adam Driver, amputé du membre supérieur gauche, et benjamin d’une fratrie de bras cassés tentant un bras-quage délirant dans Logan Lucky, un film de casse où justement Soderbergh, à force de s’auto-parodier depuis Ocean’s 11, ne casse pas trois pattes à un canard — mieux vaut voir le pétaradant et rythmé Laissez bronzer les cadavres adapté de Manchette par Hélène Cattet & Bruno Forzani (18 octobre). De l’autre, le splendide Corps et Âme de Ildiko Enyedi, Ours d’or lumineux à la Berlinale, racontant la romance dans un abattoir hongrois entre un directeur au bras handicapé et sa responsable qualité légèrement autiste. Jouant sur la sensibilité et le merveilleux de l’onirique, cette histoire de vie dans un lieu de mort touche au cœur par sa subtile poésie. On tient notre happy end.

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