Xabi Molia : « Je place Kad Merad au même rang que Denis Podalydès »


Entrevue / Dans la peau d’un petit escroc à l’aura pâlissante, Kad Merad effectue pour Comme des rois de Xabi Molia une prestation saisissante, troublante pour lui car faisant écho à sa construction d’acteur. Propos glanés entre les Rencontres du Sud d’Avignon et Paris.

Xabi, quelle a été la genèse de ce film ?

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X. M. : L’idée est venue d’une manière assez amusante. Il faut savoir que j’ai le profil du bon pigeon : j’adore qu’on me raconte des histoire. Je me suis donc fait arnaquer assez régulièrement, et notamment une fois à la gare Montparnasse. Pendant que j’attendais le départ de mon train, un type est monté et m’a raconté une histoire très alambiquée… Je ne saurais la raconter, mais l’enjeu c’était 20 euros. Je me souviens m’être méfié et l’avoir poussé dans ses retranchements ; mais lui, retombais sur ses pattes, trouvait de nouveaux trucs pour que son histoire tienne debout. Bref, il me prend ces 20 euros et je ne le revois évidemment jamais.

J’ai d’abord été déçu de m’être fait délester de 20 euros. Mais finalement, il les avait quand même gagnés de haute lutte ! Et j’ai imaginé le matin que ce type avait peut-être dit à sa femme : « bon bah moi aujourd’hui je vais Gare Montparnasse, j’ai un nouveau truc ». Et le soir, peut-être qu’elle lui a demandé comment ça s’est passé et qu’il lui a répondu « oh bah aujourd’hui difficile j’ai fait 60 / 80 euros ». Il avait donc un boulot — que la société réprouve — mais qui, au fond, avait des points communs avec n’importe quel travail : une routine, des horaires, l’inventivité, la capacité à accepter l’échec avec un client…

Malheureusement je ne connais pas le nom de mon arnaqueur parce que je devrais, au fond, le remercier au générique : “sur une idée originale de « mon arnaqueur »“ (rire).

Il pratique en tout cas le travail à l’ancienne…

X. M. Oui, c’est d’ailleurs ce que disent les personnages du film : maintenant, tout se fait sur Internet. C’est assez anachronique d'aller à la rencontre des gens dans un monde, dans un pays, dans une époque où c’est si difficile de se rencontrer : plus personne ne veut ouvrir ses portes. Mon héros Josep est ce type, flamboyant, qui sent que l’époque est entrain de changer. C’est un artisan qui aime son métier, et qui a envie de transmettre son savoir-faire, sa petite entreprise. Et quand surgit la figure de son fils, son héritier, l’histoire émerge…

Comme dans Family Buisness de Lumet, l’aîné espère convaincre le plus jeune de reprendre les “affaires” et se désespère en le voyant aspirer au métier de comédien. Pourtant, un acteur est un menteur suprême — et légal.

X. M. Je suis fasciné par les comédiens et j’aime beaucoup les films sur le jeu, où il est question de jouer. Ce qui est beau ici, c’est qu’au fond Mika hérite, à bien des égards, des talents de Joseph, son père, mais il ne veut pas les exercer aux mêmes endroits. À la différence des autres comédiens, l’arnaqueur ne dit pas qu’il joue : il n’y a pas la barrière de sécurité entre lui et ses spectateurs, qui sont ses victimes.

Mika veut faire le métier de son père — un métier de jeu — mais dans un endroit où les règles sont claires, où il ne fera de mal à personne et où il ne sera pas prédateur face à des proies. Ce qui est compliqué, c’est le droit à rêver d’être comédien, aujourd’hui, dans une France en crise. Ce métier peut faire peur à beaucoup de parents et pas seulement dans les classes populaires. Peut-on y rêver de l’endroit où l’on est ?

Ayant grandi à Bayonne, en province, dans les années 1980 et je voyais bien le genre de blocage existant concernant les métiers artistiques : quand vous n’avez pas de réseau, que vous ne connaissez ni cinéaste, ni écrivain. Il faut à des parents une grande ouverture d’esprit pour dire « super, vas-y ». Leur réflexe, c’est de se dire que c’est dingue et qu’il faut un plan B.

Ce parcours vous parle, Kad ?

K.M. : Oui. Le rôle de Mika, c’est moi : j’étais les deux sur le tournage. Je ne viens pas des milieux artistiques, ni des milieux aisés, ni de Paris. Même si n'on était qu’à 30 km de Paris, pour nous c’était le bout du monde. C’est dur de dire à ses parents qui travaillent tous les jours, la mère coiffeuse, le père dans les chemins de fers, qui prennent le train de banlieue, qu’on faire une école de théâtre.

Quand le père dit : « — Comédien ? Ouais ouais, très bien. En attendant, tu vas aller chercher du boulot. — Mais c’est du travail, papa. ». Les gens qui ne sont pas de ce milieu là ne peuvent pas l’imaginer.

Après la seconde on m’a bifurqué vers un C.A.P de vendeur, de commerce. Même si dans ma tête j’avais le rêve de cette que je vis aujourd’hui, il fallait quand même que je travaille pour faire plaisir à mes parents. Alors j’ai regardé des annonces dans les journaux locaux : on cherchait des vendeurs pour des Encyclopedia Universalis (rire). On faisait un petit stage où on nous apprenait comment faire… Mais surtout on n’était payé que si on vendait. C’était un peu le même genre d’urgence et de survie que Joseph : ça coutait 4000 francs à l’époque pour 30 ou 40 volumes ; personne ne pouvait s’acheter ça. J’ai réussi à en vendre une seule, à un copain dentiste, à Evry ou par là. (rires)

Je me revois encore sonner à la porte des gens, comme Joseph. on entendait souvent le son d’un chien, il n’y avait pas la méfiance d’aujourd’hui. Mais c’était une épreuve : il fallait être un acteur. Le but c’était de rentrer chez les gens et d’être assis dans le salon ou sur la table de la cuisine — il faut avoir une bonne tête. Moi, j’arrivais à les embrouiller assez facilement… jusqu’à ce que dise que c’était 4000 francs…

Qu’en avez-vous retiré ?

K.M : J'ai passé ma vie à embrouiller, pardon de dire ça. Même au service militaire, j’ai été reformé : c’était soit je partais un an faire le service, soit je partais au club Méditerranée en G.O… Faire le suicidaire, c’était vraiment un rôle d’acteur. Je faisais genre qu’il ne fallait pas du tout me laisser prêt d’une fenêtre parce que j’étais capable de me jeter… J’étais dans mon plus grand rôle. (rires). Quant à mon oral de C.A.P., je pense que j’ai embrouillé mon examinateur.

Parfois même dans mon métier d’acteur, j’ai dû embrouiller les réalisateurs ou les gens du casting, parce que la vie, c’est ça au fond.

Vous n’en éprouvez pas un sentiment d’imposture ?

K.M : Ah mais je suis un imposteur ! Mais je commence à accepter les compliments… J’ai toujours eu l’impression d’avoir eu de la chance, et c’est vrai.

Xabi, dans quelles mesures étiez-vous sûr de ne pas vous être fait embobiner par Kad en le choisissant ?

X. M. : Il n’était pas du tout dans mes choix de cinéphile, car il a fait beaucoup de comédies qui ont bien marché ; je ne m’imaginais donc pas travailler un jour avec lui. Et puis j’ai vu Baron Noir, la série qu’il a faite sur Canal +. Tout d’un coup, je suis tombé sur un personnage ressemblant à bien des égards à Joseph : un type pour qui tous les moyens sont bons pour y arriver à des fins nobles. On comprend qu’il est à l’aile gauche du parti socialiste — personnellement, je sympathise avec ses convictions — mais qui trafique dans les comptes.

C’est un salaud, mais Kad Merad avec sa barbe lui amène une bonhommie, une empathie immédiate. Et moi, pour mon personnage d’escroc, il fallait absolument que je tombe sur quelqu’un comme ça.

Ce que je veux, c’est qu’on soit avec ce personnage, qu’on soit troublé par lui parce qu’il est toxique pour son fils d’un côté, mais que de l’autre il se débat, il fait ce qu’il peut… Il faut qu’on l’aime quoi ! Ce qui est génial avec un acteur comme Kad Merad, c’est qu’il ne vous laisse pas le choix : quand les gens le voient à l’écran, ils sourient… J’avais ressenti ça avec Denis Podalydès, avec qui j’ai fait mes 2 premiers films. Tous deux ont cette faculté à susciter la proximité.

Comment peut-on demander à Kad Merad de jouer la sincérité alors que le personnage est en permanence dans le mensonge et donne l’impression de se mentir à lui-même ?

Je ne sais pas… En même temps, n’y a-t-il pas dans la toute dernière scène p quelque chose de très dépouillé dans la manière dont il dit : « c’est mon fils » ? On avait tous l’appréhension de cette dernière phrase, qui signifiait en fait : « je suis tellement fier de lui ». Avec Kad Merad, on a fait 10 prises, mais en réalité dès la première prise, c’était là. C’était joué avec tellement de simplicité et de justesse qu’on en a fait d’autres pour être sûrs.

Pour le dire différemment, je suis admiratif de Kad Merad : je suis tombé raide dingue depuis le tournage, c’est une rencontre merveilleuse. J’aimerais continuer de faire des choses avec lui. Je le place au même rang que Denis Podalydès.

Ce sont deux comédiens qui ont une palette de jeu incroyable, et une manière simple et concrète de travailler. Denis on l’imagine très cérébral, alors qu’il a une dimension très simple. Quant à Kad Merad, on me disait : « surtout, retiens-le, il ne faut pas qu’il fasse le clown, il ne faut pas qu’il fabrique… ». Pour moi, il ne fabriquait pas du tout, c’est un acteur extraordinairement simple et concret dans ce qu’il joue et ça m’a complètement troublé. Parfois, des acteurs, la cinquantaine passée gagnent en densité humaine. Pour moi, Kad Merad il y a 10 ans, n’avait pas la capacité de jeu qu’il a aujourd’hui. Donc je ne sais pas ce qui l’attend mais déjà avec Baron Noir et ce film les frontières bougent. J’ai lu et entendu des commentaires qui me font très plaisir, du style : « il y a un truc incroyable, j’ai aimé un film avec Kad Merad ».

Avez-vous commencé votre écrire prochain film ?

Oui j’ai d’autres projets, mais je veux aller ailleurs. Je fais partie de ces artistes qui ne veulent pas creuser le même sillon. Huit fois debout, mon premier film, était déjà une chronique sociale, ensuite j’ai fait dans le merveilleux, Les Conquérants, mais si vous voulez je ne me vois pas en Robert Guédiguian junior quoi — cela serait le plus confortable, le plus simple, mais bon. Je sais que j’aimerais bien continuer de tourner avec Kad Merad, de la même manière qu’après Huit fois debout j’avais eu cette envie de faire un deuxième film avec Denis Podalydès — et c’est ce qu’on a fait. Il y a des comédiens avec qui je me dis que l’histoire n’est pas finie.

Vous envisageriez de réunir Denis Podalydès et Kad Merad ?

Ça fait partie des choses auxquelles je pense. Denis… enfin je veux dire, un acteur peut tout jouer. Mais quand j’ai écrit Comme des Rois, je ne voyais pas Denis dans Joseph car un acteur transporte avec lui son parcours de cinéma, de théâtre… Et Denis a quand même une image liée à un univers. Là, je n’arrivais pas à le projeter dans ce milieu populaire — c’est peut-être un manque d’imagination. Mais Denis fait aussi partie des comédiens avec qui, pour moi, il reste mille choses à faire : il à très envie de jouer des méchants. Donc je réfléchis à des choses…

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