Novembre : Au(x) détour(s) du regard

Panorama ciné / On le sait, voir n’est pas regarder. Ainsi, il est des films qu’on peut laisser filer d’un œil distrait et d’autres à scruter. Et puis d’autres encore, où la question d'un regard attentif se révèle cruciale…

Commençons par regarder au-delà de notre champ de vision, à perte de vue, en compagnie de Thomas Vinterberg. On l’avait quitté évoquant ses souvenirs d’enfance dans La Communauté (2017), le réalisateur de Submarino (!) persiste d’une certaine manière dans le huis clos avec Kursk (7 novembre) récit inspiré par la tragédie du sous-marin nucléaire russe homonyme passé par le fond avec son équipage en 2000. Terriblement d’actualité, alors que les tensions est/ouest regèlent, ce drame raconte l’obstination mortifère des nations et des militaires — quel que soit leur pavillon —, davantage prompts à sauver leurs vaniteuses apparences que leurs marins. Sobrement spectaculaire, cette superproduction internationale travaille les formats d’image, la dilatation du temps et le son avec une enviable finesse.

Pour High Life (même date), Claire Denis s’échappe quant à elle totalement de l’orbite terrestre pour un conte de science-fiction zonant plutôt dans les environs de 2001 et de Solaris qu’aux confins de Star-Wars-Trek. Bercé par les accords languides de Stuart Staples, cette exploration d’un trou noir par un groupe de relégués chapeautés par une infirmière déglinguée repose, comme chaque film de la réalisatrice, davantage sur la création d’une ambiance que sur la linéarité narrative. Avec en sus comme une tentative de vider de sa substance épique la possibilité d’un film d’aventures : la déconstruction du récit absorbe, à l’instar du trou noir, toute velléité de spectaculaire cosmique.

D’autres “ailleurs“ sont aussi visités dans L'Enfance d'un maître (21 novembre), portrait d’un chef religieux tibétain tourné depuis plus de 20 ans (!) par Jeanne Mascolo de Filippis & Bruno Vienne révélant son désir de modernité. On peut saluer la performance “temporelle“ sans perdre de vue qu’elle fait l’éloge d’une personnalité “spirituelle“… Ága de Milko Lazarov (même date) se déroule pour l’essentiel dans une yourte iakoute, entre deux époux gagnés par l’âge et la nostalgie de leur fille. Rude et sobre, ce conte nimbé de magie oscille entre blizzard et bizarre.

Ni vu, ni connu ?

Il y a les liaisons légitimes dissimulées par nécessité, à ne pas confondre avec celles formellement prohibées qu’il faut révéler pour les faire cesser. Dans Carmen et Lola de Arantxa Echevarría (14 novembre), deux jeunes femmes de la communauté gitane doivent vivre en cachette leur relation amoureuse — l’homosexualité féminine étant considérée comme une malédiction dans cette culture soumise à des codes ultra patriarcaux hélas perpétué par les femmes de l’ancienne génération. En filigrane, la réalisatrice montre l’ostracisme et la méfiance dont les Gitans sont l’objet en Espagne, qui s'ajoutent au risque de marginalisation des protagonistes si leur secret venait à être dévoilé. Or l’indiscrétion malveillante des uns et la vengeance des autres conduisent à cette révélation, et au changement tragique de regard des autres.

Rien à voir avec Un amour impossible (7 novembre). Catherine Corsini réussit plusieurs tours de force en adaptant le roman autobiographique de Christine Angot : rendre digeste et dicible la voix de l’autrice sans la contrefaire, et raconter l’emprise toxique d’un homme sur deux femmes… dont l’une est sa fille. La tendre fresque romantique du début s’achève dans le cauchemar de l’amour non pas impossible, mais interdit. Marqué par une interprétation d’une belle homogénéité, ce film révélant une jeune comédienne bluffante dans le “rôle“ d’Angot adolescente, Estelle Lescure, prouve également que Corsini se montre plus à l’aise lorsqu’il s’agit de parler d’une autre vie que de la sienne. Question de distance, sans doute.

La douleur de l’inceste est au cœur d’un autre long métrage, Les Chatouilles (14 novembre). Adaptation du spectacle autobio-cathartique d’Andréa Bescond (qui l’interprète et co-signe la réalisation avec Éric Métayer), ce premier film raconte l’abomination dont elle a été la victime durant sa petite enfance : des attouchements et des viols répétés commis par un “ami“ de la famille. S’il a fallu une dose de courage à peine concevable pour se livrer aussi crûment, saluons également celui de Pierre Deladonchamps, endossant le rôle du salaud prédateur, et de Karin Viard, révulsante en mère iceberg d’égoïsme. Hélas, la sincérité du message est brouillée par la lourdeur métaphorique, rempart nécessaire contre l’impudeur. Donner à voir sans montrer n’est pas chose aisée…

Et pour faire “cour”

Pour finir sur une note plus légère, un petit tour dans celle de récréation, où l’œil des adultes (hors Éduc’Nat’) n’a plus vraiment droit de cité, grâce à Premières Solitudes (14 novembre). Claire Simon y instaure avec des lycéens un jeu de rôle leur permettant de dévoiler les coulisses de leur vie. La force des confessions, parfois violentes, est estomaquante et compense une construction formelle fragile, voire bancale. Même décor scolaire pour Mauvaises herbes (21 novembre), où le réalisateur-interprète Kheiron campe un semi-délinquant se réinsérant en cornaquant une troupe d’élèves sur la mauvaise pente. Positive et franchement drôle, cette comédie sociale bien dialoguée ravit autant l’œil que l’oreille. Pas de jaloux !

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