Robert Rodriguez & Rosa Salazar : « Alita montre un monde dystopique et potentiel »

Alita : Battle Angel
De Robert Rodriguez (ÉU-Arg-Can, 2h01) avec Rosa Salazar, Christoph Waltz...

Alita : Battle Angel / Appelé par l’équipe d’Avatar pour réaliser Alita, Robert Rodriguez signe un divertissement d’anticipation visuellement éblouissant transcendé par la comédienne Rosa Salazar. Tous deux évoquent la conception d’un film au fond politique assumé…

Jon Landau, coproducteur du film avec James Cameron, dit qu’Alita a constitué le plus grand défi de votre carrière. Partagez-vous son opinion ?

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Robert Rodriguez : Il s’agit certainement du plus grand défi de ma carrière. Et c’est génial ! Quand on commence à avoir une carrière assez longue comme la mienne, on a envie de faire des choses nouvelles. Ça fait longtemps que je suis ami avec James Cameron — dont je suis aussi fan. Je m’étais toujours demandé, à la façon d’un éternel étudiant, comme il pouvait continuer à fabriquer des films comme un artisan. On n’imagine pas que Jim a fait ses débuts avec des films à petit budgets — après tout, il a travaillé pour Roger Corman, il a fait Terminator pour presque rien comme j’ai fait El Mariachi. Comment a-t-il pu faire ce saut vers le “gros cinéma“ avec de gros budgets et des échelles bien plus importantes ?

J’ai toujours choisi des films à budget modeste, et comme Jim je veux éviter les studios, parce que j’adore la liberté que donne le cinéma indépendant. J’ai un petit budget, mais je fais en sorte que mon film ait l’air d’en avoir un gros et je peux le tourner en noir et blanc, engager Mickey Rourke tout en restant libre. Alors qu’avec les studios, on a la pression : il faut qu’ils rentrent dans leur argent, par rapport à la distribution, la longueur du film etc.

Pour Alita, c’était formidable parce que j’avais la protection de Jim puisque je faisais le film avec et pour lui. J’avais la sensation d’être dans un film indépendant mais avec un gros budget. Mais j’ai dû quand même changer toute ma méthode : pas d’écran vert, de vrais plateaux, de vrais acteurs… Et des aspects de mon cinéma qui est assez ludique. Par exemple, je peux prendre une guitare et en faire sortir un missile et tout le monde trouvera ça top sans se poser de question. Pas Jim : pour lui, la science-fiction doit être basée sur le fait scientifique pour que les éléments fantastiques soient crédibles. Il doit y avoir un réalisme de base.

Vous avez adapté Sin City et Gunnm ; y a-t-il des différences entre la transposition d’un comics et d’un manga ?

RR : Pas vraiment de différence de fond, mais Sin City é tait plus facile parce que c’était des histoires plus courtes alors que Alita, c’est une trentaine de livres. Jim avait résolu le problème pour moi puisque dès le début, il avait choisi d’adapter les deux premiers livres et un tout petit peu le 3e. Je n’avais pas à lire l’ensemble. Et puis, il l’a rendu plus cinématographique et plus universel aussi. Je crois que si Jim m’avait lancé toute la série en me disant « Fais comme tu veux », je me serais senti perdu. Le challenge ici n’est pas tant la différence « comics ou manga », mais l’échelle et la quantité de matériel disponible.

N’auriez-vous pas peur de ne pas voir la fin de l’histoire au cinéma, compte tenu de la longueur de la série ?

RR : C’est un des problèmes. Voilà pourquoi chaque film doit raconter une histoire à part entière, il doit être soit autosuffisant et ne pas donner l’impression qu’il n’est que le chapitre d’une grande saga. J’adore la valeur de la narration. C’est seulement à la fin de El Mariachi que le héros devient un mec à l’étui de guitare plein de guns. Pour Spy Kids, ce n’est qu’à la dernière scène que l’on se rend compte de la réalité des missions. A chaque fois, on peut imaginer qu’il y aura une suite, sans que celle ci soit obligatoire. Chaque film est une histoire à part entière.

Dans Alita, on a l’impression à la fin du film qu’elle a le sens de qui elle est, qu’elle a compris quelle était sa nature profonde. Donc on peut très bien imaginer d’autres aventures, mais aussi que la boucle est bouclée, que sa quête identitaire a en quelque sorte pris fin. Ce serait plus facile d’inventer d’autres histoires, mais à chaque fois je me dis c’est un film qui est complet puisque le personnage sait ce qu’il est devenu — ou peut-être ce qu’il peut devenir.

Vous avez ici délégué la photo, le montage ou la musique à d’autres personnes. Allez-vous pour votre prochain film revenir à vos habitudes de touche-à-tout ?

RR : À dire vrai, mon prochain film est déjà tourné et sort dans deux mois. Je l’ai tourné pour 7000$ — plutôt 3000$ —, et à nouveau, j’ai à nouveau été l’homme-orchestre. Dans ce budget, j’ai même pu tourner un documentaire expliquant comment faire un film pour 7000$. Comme vous le voyez, je n’ai pas perdu mes vieilles habitudes ! Ça s’appelle Wild 11, et c’est une métaphore sur le fait de vendre son corps à la science pour financer son film — ce que j’ai fait pour El Mariachi. L’histoire est celle de quelqu’un qui arrive dans un labo médical et qui se demande si on essaie de le tuer ou si ce sont les drogues qui produisent leurs effets.

Cela dit, quand vous avez des gens qui peuvent faire la technique, c’est une joie de pouvoir se focaliser sur l’histoire, les acteurs, la 3D… C’est merveilleux d’engager des monteurs etc. C’est une collaboration merveilleuse. Quand mon monteur bloquait sur une scène, il me l’envoyait et je la remontais, ce qui est assez rare dans l’industrie, surtout à Hollywood. C’est une des raisons pour lesquels j’ai aimé cette collaboration. C’est un film au niveau d’un film de James Cameron — c’est pour cela que ma mythologie n’aurait pas marché. Avec un scénario aussi ambitieux, je n’aurais jamais pu faire le genre de film que je faisais avant. D’ailleurs, Jim peut aussi tout faire sur un plateau, mais il a besoin de gens de qualité pour donner l’envergure qu’il souhaite à un film.

Votre cinéma est volontiers sombre et violent. Êtes-vous aussi pessimiste que Kishiro quant à l’avenir de notre société ?

RR : Dans Spy Kids, il n’y a pas de violence. Quand il y en a dans mes films, elle est contrebalancée par l’humour. Beaucoup de passages sont drôles parce que j’ai commencé dans la BD : je ne peux pas m’empêcher d’être dans le ludique. Pour Alita, c’est la première fois que je tourne un film avec un avertissement. Mais le manga est bien plus violent, et je m’en suis éloigné pour atteindre tous les publics. Si vous regardez mes films, soit je les fais pour les tous petits enfants, soit pour les grands enfants. En général, je ne suis pas dans le juste milieu.

Mais ce qui est important dans Alita, c’est que son histoire demeure contemporaine. Elle l’était en 1999 quand Jim a pensé l’adapter pour la première fois, elle l’était en 2005 quand il était presque prêt à la tourner et finalement elle est complètement d’actualité quand le studio nous a donné le feu vert, avec cette histoire où des femmes prenant un peu le pouvoir, et aussi ce bas-monde, qui ressemble de plus au chaos dans lequel nous vivons partout actuellement. Son côté à la fois intemporel et contemporain attirait Jim : Alita montre un monde dystopique et potentiel, où l’héroïne incarne l’horreur et la beauté ; l’espoir et la réalité d’une situation chaotique.

Le fait d’avoir une héroïne a-t-il été important à vos yeux ?

RR : Je viens d’une grand famille hispanique — cinq garçons, cinq filles — et j’ai toujours trouvé qu’il y avait un manque de héros hispaniques, mais aussi de d’héroïnes tout court. Alors que mes cinq sœurs étaient des super badass ! On les retrouve un peu dans Spy Kids et Alita me les rappelle aussi. Quant à ma fille, elle a le même âge et son côté têtu, brave…

J’ai connu ce genre de femme et je peux m’identifier en tant qu’homme à Alita. Chacun peut s’identifier à elle : à quelqu’un qui se pense insignifiante mais qui a le pouvoir de changer les choses et le monde. Alors, si moi, Robert, je peux m’identifier à une gamine de 13 ans, ça veut dire que tout le monde peut. Que c’est notre histoire à tous et qu’elle est universelle.

Rosa, comment vous êtes-vous préparée au rôle d’Alita ?

Rosa Salazar : Je me suis entraînée pendant 5 mois avec mon sensei Keith Hirabayashi à un mélange d’arts martiaux pour ressembler au Panzer Kunst, qui est l’art martial mythique de Gunnm, le manga dont est tiré Alita. J’ai fait du kickbocking, du rolleblade (très dangereux et qui fait peur) et du strap-training, des combats avec des bambous…

La dimension féministe du personnage vous a-t-elle motivée ?

RS : Mais biens sûr (en français dans le texte) ! Je suis féministe et chaque rôle que j’accepte, chaque chose que je fais suit cette perspective. Je choisis toujours mes rôles en songeant aux messages qu’ils délivrent. Le personnage d’Alita agit ainsi, parce qu’elle est consciente de venir d’un tas de détritus, d’une décharge et qu’elle pense n’avoir rien à offrir. C’est justement à travers sa quête identitaire qu’elle comprend au contraire posséder en elle une force extraordinaire pouvant changer le cours de sa vie et celui du monde. En tant qu’actrice et que femme, j’ai vécu le genre d’expérience. C’est important que ce message s’adresse autant aux jeunes filles qu’aux jeunes garçons.

Le corps “augmenté“ d’Alita vous fait-il rêver ?

RS : Je vais peut-être vous dire un truc très ennuyeux, mais 30% de femmes ont des problèmes thyroïdiens et c’est mon cas : je fais de l’hyperthyroïdie. Si je pouvais avoir un corps augmenté, je remplacerais immédiatement ma thyroïde. J’ai lu que c’était un deuxième cerveau qui régule énormément de choses dans notre corps. Quand mon médecin m’a annoncé mon problème, je ne savais même pas la situer ! Mais je ne vais pas aller trop loin dans l’explication : il faut laisser aux hommes le temps de comprendre (rires)

Au-delà le corps, évoquons le regard d’Alita sur lequel un travail particulier a été réalisé. Comment l’avez-vous découvert après les effets spéciaux ?

RS : Quand on travaille avec des visionnaires comme Robert, James et Jon, on partage dès le départ cette vision. Quand ils m’ont montré le premier art conceptuel du personnage d’Alita, elle avait déjà ces grands yeux. Jon et Robert voulaient absolument rendre hommage au manga originel dans lequel elle a ces grands yeux, mais aussi montrer qu’Alita venait d’une autre planète, et la différencier des autres habitants d’Iron City. Jon répète à l’envi que les yeux sont les fenêtres de l’âme ! (rires)

Je n’ai pas été choquée ni effrayée parce que je le savais ; ce qui est marrant, c’est que lorsque ma mère a vu le premier trailer et je lui ai demandé si quelque chose l’avait frappée, elle m’a dit « je n’ai rien vu de spécial. Ces yeux, sont tes yeux ! »

Le film montre dans un flashback une scène de bataille sur la Lune. Est-ce que vous savez si cela présage d’une suite détaillant ce passé ?

RS : Ces flash-back nous ramènent à sa vie antérieure, mais aussi nous expliquent comment elle est tombée, cette chute jusqu’à la décharge où on la retrouve. On voit la bataille où son corps est coupé en deux. Cette bataille, la référence dans le film est très claire : la Chute. Oui, je sais exactement d’où elle vient et où elle vient car j’ai lu tout Gunnm, et même sans vous dire la suite, c’est tellement dingue ce que j’ai lu, un univers tellement incroyable où l’on voit des cervelles sur des balances, des méchants qui ne sont jamais tués… On est dans la folle imagination de Kishiro qui raconte tout ça. Et d’ailleurs, il est en train d’écrire des Chroniques martiennes où justement il va dire comme Alita a perdu son corps d’humaine.

Quelle impression éprouvez-vous lorsque vous vous découvrez à l’écran ?

RS : C’est assez surréaliste. C’est comme si vous marchiez dans la rue et que vous retrouviez cette jumelle perdue de vue depuis des années. C’est un peu étrange, cette impression d’être deux moitiés qui se retrouvent, d’être à la fois comme ma jumelle, ma sœur, ma fille, une version mutante de moi-même. Alors qu’en réalité, Alita c’était un création individuelle et différente. Ce n’est pas tant qu’elle me ressemble : on est pareilles.

Comme actrice, la première fois que j’ai vu le film, je n’arrivais pas y croire. Et comme toutes les actrices, j’ai commencé à critiquer mon jeu : « J’aime pas ce tic, cette micro-expression que j’ai avec ma bouche, que je suis la seule d’ailleurs à voir ». Et Jon Landau m’a dit : « c’est génial que tu sois en train de regarder et critiquer ta performance : c’est ce qu’on t’avais promis, qu’on allait voir ta performance, ton jeu et non ton allure, ce à quoi tu ressembles ». C’est fantastique, vous devriez essayer un jour et vous verrez ! (rires)

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