"Yves" : robot après tous

Yves
De Benoit Forgeard (2019, Fr, 1h47) avec William Lebghil, Doria Tillier...

Un rappeur en échec se retrouve propulsé au sommet grâce à l’aide de son réfrigérateur intelligent, qui va peu à peu exciter sa jalousie… Une fable contemporaine de Benoît Forgeard sur les périls imminents de l'intelligence artificielle, ou quand l’électroménager rompt le contrat de confiance. Grinçant.

En galère personnelle et artistique, Jérem (William Lebghil) s’est installé chez sa feue grand-mère pour composer son album. Mentant sur sa situation, il s’inscrit pour devenir testeur d’un réfrigérateur tellement intelligent baptisé Yves qu'il va devenir son valet, son confident, son inspirateur et finalement son rival…

Mieux vaut rire, sans doute, de la menace que constituent les progrès de l’intelligence artificielle et le déploiement – l’invasion – des objets connectés dans l’espace intime. D’un rire couleur beurre rance, quand chaque jour apporte son lot "d’innovations" dans le secteur du numérique et des assistants personnels ou de l’agilité des robots androïdes. Sans virer dans le catastrophisme ni prophétiser pour demain le soulèvement des machines décrit par la saga Terminator, mais en envisageant un après-demain qui déchante lié à l’omniprésence de ces technologies ou à notre tendance à tout leur déléguer inconditionnellement.

Mister Freezer

Yves n’est certes pas le premier conte contemporain à fustiger par l’absurde le recours aux dérivatifs mécaniques et autres objets transitionnels pour adultes dépressifs en manque affectif. Seulement, si dans le porte-clé de I Love you de Marco Ferreri (1986) ou la poupée en silicone de Monique : toujours contente de Valérie Guignabodet (2002), les héros étaient captifs d’êtres inanimés n’offrant que le degré zéro de l’interaction, Yves se rapproche davantage du Hal de 2001 : L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968) par sa capacité au "deeplearning" prouvant qu’il serait capable de passer le Test de Turing haut les processeurs. Mais aussi ses interrogations métaphysiques susceptibles de le faire contrevenir aux Lois d’Asimov – le "code moral" implémenté aux robots et leur imposant de ne pas nuire à l’Humanité.

Visiblement intéressé par les sociétés partant en quenouille (voir son précédent opus, le bancal Gaz de France sorti en 2016), le réalisateur Benoît Forgeard touche ici juste en exploitant les failles du citoyen lambda et sa propension à la paresse. Son réfrigérateur devançant les désirs consuméristes, lampe d’Aladdin moderne ou cervelle d’or du conte de Daudet, appauvrit donc plus Jérem qu’il ne l’enrichit en lui volant ce qui constitue le sens de sa vie : l’aptitude à faire de la musique (et à rencontrer du succès) ainsi que l’amour de So, la statisticienne chargée de suivre le test à son domicile. Toujours aussi délibérément kitsch et arty et bien fréquenté, le cinéma de Forgeard souffre un défaut majeur : il s’offre des fins trop optimistes. Hélas…

Yves
De Benoît Forgeard (Fr., 1h47) avec William Lebghil, Doria Tillier, Philippe Katerine…

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