Combats, amours et songes…

Panorama ciné octobre 2019 / Traditionnellement chargé en volume et en titres de qualité, octobre est un rude champ de bataille. Comme la vie, souvent à l’inspiration des films à l’affiche ce mois…

Voici l’habituel contrecoup de la rentrée et des festivals réunis ; ce moment béni où l’on ne se demande pas si l’on va aller au cinéma, mais ce que l’on va aller voir en premier. Pour commencer en douceur, faisons un rêve avec des films se nourrissant d’ésotérisme, d’onirisme ou d’utopie réalisée. Prenons l’optimiste Tout est possible (The biggest little farm) de John Chester (9 octobre), stimulant documentaire racontant comment un jeune couple américain a réussi en quelques années opiniâtres sur une terre morte à rebâtir une ferme biologique vertueuse, en raisonnant sa production et en apprenant de ses (nombreuses) erreurs. Seul bémol : le film “omet“ de préciser le coup pharaonique de l’investissement, pas à la portée du premier apprenti paysan venu, hélas. Question changement de vie, Un monde plus grand de Fabienne Berthaud (30 octobre) se pose là. Ce biopic de la preneuse de son Corine Sombrun raconte la découverte de son don de chamane au fin fond de la Mongolie ainsi que sa longue initiation permettant aujourd’hui à des scientifiques d’étudier le phénomène de transe chamanique. Que l'on croie ou non à cette magie, il s’agit aussi d’un film sur la consolation après un deuil assorti d’un parcours initiatique. Et il y a la Mongolie… Plus perturbant, dans le bon sens, s’avère L'Angle Mort de Patrick-Mario Bernard & Pierre Trividic (16 octobre), sur une idée d’Emmanuel Carrère, où l’on suit les péripéties d’un homme doué d’invisibilité — talent qui lui coûte cher en énergie vitale — s’éprenant d’une voisine aveugle. Montrant à quel point la perception d’une différence est chose très relative, L’Angle Mort (sans nul doute le chef-d’œuvre du duo) tient à la fois du conte à la Daudet, du drame amoureux et du film de super-héros décalé. Une réussite de poésie réaliste.

Enfin, le plus ouvertement porté sur le songe est Chambre 212 de Christophe Honoré (9 octobre), fantaisie entre rêve et cauchemar dans lequel une femme est, durant une nuit, visitée à la manière de Scrooge par des esprits — les doubles de ses amants d’antan. S’ensuit un examen de minuit entre le cocasse et le bizarre évoquant le cinéma de Blier, où tous les temps et destins se superposent dans un cauchemar quantique. Du bric et du broc sauvés par l’inventivité transmédiatique de ce film théâtralisant. Et par ses comédien·nes

Bagarre(s)

L’autre dominante du mois n’incite guère à l’éther des rêves puisqu’elle nous renvoie à la brutalité de ce monde, où l’Homme se trouve plus souvent contraint de balancer son poing à son prochain que de lui tendre la main. Dans Vous êtes jeunes, vous êtes beaux, premier long de Franchin Don (2 octobre), un Gérard Darmon sénior se tape ainsi des combats clandestins devant des jeunes pour payer son EHPAD ; une farce sinistre dans un film à la stylisation épurée rappelant Nicloux. Pietro Marcello revisite avec intelligence Jack London dans Martin Eden (16 octobre) situé dans un XXe siècle composite et italien, scandé d’images d’archives. L’ascension du héros n’en est que plus ironiquement tragique et, étonnamment, actuelle. Italien également est le combat du repenti de la mafia dont Marco Bellocchio retrace l’histoire dans sa saga fleuve Le Traître (30 octobre). Une œuvre épique et salutaire pour expliquer la Péninsule d’aujourd’hui, qui fait pendant à Il Divo de Sorrentino.

Le même jour, c’est un autre combat que livre Oleg, héros malheureux du film homonyme de Juris Kursietis. Travailleur letton émigré en Belgique, il tombe dans l’illégalité et pour son malheur dans les filets d’une mafia polonaise. On pense à Skolimowski face à cette histoire d’exploitation en forme de spirale effroyable révélant les méfaits collatéraux du libéralisme à l’européenne. La misère est à la source d’Atlantique de Mati Diop (2 octobre). Mais on est moins convaincu par ce Grand Prix cannois, où des réfugiés noyés en mer reviennent réclamer justice en prenant possession des vivants restés à terre : la fable y est laborieuse.

Enfin, la guerre, la vraie, s’invite dans deux fictions et un documentaire. Ce dernier, Pour Sama, de Waad al-Kateab & Edward Watts (9 octobre), réalisé à partir d’images tournées en Syrie, laisse une impression désagréable — l’autrice frisant le mauvais goût en se filmant avec insistance et usant de techniques compassionnelles et d’effets à la limites de l’obscénité. On préférera à la même date le très réussi Papicha de Mounia Meddour, portrait d’une jeune femme rebelle dans l’Algérie du début des années 1990, au moment où le plomb commence à couler et la terreur à régner. Et puis, comment ne pas rendre hommage à Camille [Lepage], la photographe dont Boris Lojkine signe le biopic avec Nina Meurisse (16 octobre). Un regard sur l’Afrique — la République de Centrafrique — et sur le métier d’informer. De quoi ouvrir les yeux à pas mal de monde…

Pas encore vus, mais ça ne saurait tarder, deux films cannois : le Dolan Matthias & Maxime (9 octobre), ainsi que le Nakache & Toledano qui a fait la clôture du festival, Hors Normes (23 octobre). Enfin, lauréat d’une autre compétition, le Lion d’Or sur la Lagune Joker de Todd Phillips (9 octobre ) manque bien évidemment à l’appel. Qu’il ne s’esclaffe pas trop ; il ne restera pas longtemps en-dehors de nos bat-radars…

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