Janvier : On s'émancipe ?

Panorama ciné / Changement d’année, remise à zéro des compteurs, attente du printemps… Dans l’air flotte comme une envie de se débarrasser de ses vieux oripeaux ; de s’affirmer parmi le groupe dans toute son identité et sa singularité. Avec plus ou moins de bonheur sur les écrans…

Une fois n’est pas coutume, c’est avec un trio de courts métrages jeune public d’une stupéfiante qualité graphique que l’on débutera notre panorama. Donnant son titre au programme, L'Odyssée de Choum (29 janvier) nous fait suivre le parcours d’une petite chouette à peine éclose recherchant l’œuf lui tenant lieu de frère ou de sœur, emporté par une tempête. Une histoire tendre et enlevée, où l’on perçoit chez le réalisateur Julien Bisaro tant l’influence des maîtres nippons contemporains que l’affirmation d’un style autonome. Très prometteur.

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Autre histoire de fratrie, Waves (même date). Les ambitions de Trey Edward Shults sont manifestes : illustrer la théorie des dominos en l’appliquant à une famille où la pression paternelle exercée sur le fiston, apprenti lutteur, va provoquer une cascade de drames. Volontiers démonstratif — et surtout, répétitif — dans son arsenal stylistique qui multiplie panoramiques circulaires en milieu clos et effets clinquants, Shults s’offre cependant une belle séquence abstraite au mitan de son film, transition efficace pour changer de personnage principal. Inégal.

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Tellement proches…

D’autres sont tenté·e·s d’aller à l’encontre de leurs proches. Telle Billi, la protagoniste de L'Adieu (The Farewell) de Lulu Wang (8 janvier). Apprenant qu’on a diagnostiqué un cancer à sa grand-mère chinoise sans le lui annoncer, et que toute sa famille vivant entre les États-Unis et le Japon prétexte un mariage pour lui dire au revoir, la jeune fille hésite à révéler à son aïeule la réalité de son état de santé. Toute vérité est-elle bonne à dire ? C’est tout le fossé entre orient et occident, mais aussi entre les générations que ce film « inspiré d’un mensonge authentique » dépeint. En parlant, en sus, comme toujours, de la métamorphose de la Chine actuelle. Toujours en Asie, mais en Inde, Le Photographe de Ritesh Batra (22 janvier) fait croire à sa grand-mère qu’il est sur le point de se marier afin que l’ancêtre continue à prendre ses médicaments. Bien qu’appartenant aux basses couches de la société, il convainc une jeune étudiante de jouer le rôle de la promise. Entre comédie sociale et romantique, l’argument à des airs de Ang Lee première manière. Et si le film révèle la survivance d’un système violemment hiérarchisé, il souffre hélas d’étranges ellipses ainsi que d’une réalisation parfois hasardeuse. Sur un registre roméoetjuliettisant voisin se situe Swallow de Carlo Mirabella-Davis (15 janvier). Issue d’un milieu populaire et propulsée par son mariage dans une classe supérieure, son héroïne Hunter subit également le poids d’un environnement exigeant et dominateur. Enceinte, elle ressent brusquement l’irrépressible besoin d’ingérer des objets hétéroclites. Jouant sur un décor glacé quasi aseptisé, à l’image de la famille du conjoint, Swallow est un pur film psychanalytique où Hunter va, via son TOC, “recracher“ un passé refoulé. Avec son air de poupée figée, Haley Bennett convient parfaitement à l’ambiance étrange induite par la mise en scène clinique.

Politique et toc

Après son accueil enthousiaste à Toronto doublé d’un Prix du Public, Jojo Rabbit (29 janvier) est donné parmi les favoris dans la course à l’Oscar. Sur le papier, le film de (et avec) Taika “Ragnarok” Waititi possède de solides atouts puisqu’il ose conter sur un mode comico-absurde les désarrois d’un membre des jeunesses hitlériennes (dont le meilleur ami imaginaire est… Adolf lui-même), découvrant qu’une adolescente juive vit cachée dans ses murs. Hélas pour lui, Waititi n’est pas Benigni et son humour, pas assez corrosif ni décalé, tombe trop souvent à plat. Ajoutons qu’à notre époque où l’inculture historique prend des proportions effroyables, où le second degré n’est plus compris (voire plus du tout accepté), cette production plus timorée dans le burlesque que Les Producteurs de Mel Brooks, peut être reçue par des fronts bas comme gentiment nostalgique. Une déception à la hauteur du potentiel du sujet.

Autre douche froide que le mal titré Merveilles à Montfermeil (8 janvier), première réalisation solo de Jeanne Balibar, par ailleurs interprète de ce film. Pseudo comédie politique prêchant le vivre-ensemble dans les banlieues, ce machin écrit et joué en dépit du bon sens par une troupe de bobos hors sol semble fustiger par le ridicule les exécutifs de gôche engagés dans un clientélisme social mâtiné de new age ; bref donner des arguments à l’extrême-droite juste avant les municipales. On a vu plus judicieux. Et plus drôle, surtout…

Noir-divergence

Concluons avec deux polars ayant le mérite d’explorer des rivages peu coutumiers. Les Siffleurs du précieux Corneliu Porumboiu (8 janvier), ultime film de la compétition encore inédit — si l’on excepte le Kechiche, évidemment — plonge un flic piégé par une brune fatale liée à la mafia roumaine dans l’apprentissage d’une langue sifflée. Pas pour le plaisir d’être polyglotte : dans le but de favoriser l’évasion d’un caïd de la drogue incarcéré. Jouant sur des contrastes chromatiques almodovariens, des silences antonionesques et des retournements d’alliances, Les Siffleurs est une pure quête porumboiuienne, où la forme est autant disséquée que le fond et, finalement, tout fait sens. Aussi peu loquace est le policier veuf de Un jour si blanc (29 janvier), digérant mal l’accident ayant emporté son épouse et enquêtant en-dehors des règles sur l’infidélité de la défunte. Avec ses plans longs traquant le temps, le cinéaste Hlynur Pálmason crée une atmosphère épaisse à la mesure du sentiment d’isolement moral subi par le héros. Mais aussi une illustration de la singularité insulaire islandaise, liée à sa météo, sa langue, son histoire. Et un pendant adroit à sa riche littérature noire.

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