"Adolescentes" : Petites à petit…

Documentaire / Le cinéaste Sébastien Lifshitz accompagne deux adolescentes pendant 5 ans. Précieux, grave, sensible, ce portrait sociologique d’une incroyable acuité photographie désarrois et évolutions de la jeunesse contemporaine ainsi que du pays. Immanquable.

Brive-la-Gaillarde. Emma et Anaïs entrent en classe de 5e. Aussi dissemblables physiquement que socialement (l’une est issue d’une famille plutôt aisée, l’autre d’un milieu populaire), les deux copines de 13 ans seront suivies par la caméra de Sébastien Lifshitz jusqu’à leur bac. Chronique…

La télévision a par le passé développé des séries documentaires suivant des groupes d'enfants au fil du temps — l'iconique Seven Up ! de Michael Apted (1964-2019…) en Grande-Bretagne puis Que deviendront-ils ? de Michel Fresnel de notre côté de la Manche (1984-1996). Une fiction pour le grand écran a également su intégrer le processus de la métamorphose adolescente au cœur de sa démarche artistique, Boyhood de Richard Linklater — d’ailleurs, l’affiche d’Adolescentes, avec sa vue plongeante sur les protagonistes allongées dans l’herbe, semble lui rendre un discret hommage. À la fois intrigant, vertigineux et terriblement édifiant, ce voyage de 5 ans condensés en 2h15 que propose Sébastien Lifshitz opère enfin la synthèse entre documentaire et cinéma, à hauteur de jeunes filles/jeunes femmes dont la transparence (ou candeur ?) n’est pas sans rappeler la série BD Les Cahiers d’Esther de Riad Sattouf.

Deux et d’elles

Jusqu’à présent reconnu et distingué à de nombreuses reprises pour ses documentaires et portrait portant sur les thématiques LGBT+, Sébastien Lifshitz ne change au fond guère de paradigme puisqu’il choisit de mettre en lumière un groupe considéré comme minoritaire dans notre société. Au plus près de ses deux sujets, immergé dans leur quotidien sans jamais être intrusif ni franchir les limites de l'indiscrétion voyeuriste, le cinéaste signe un double portrait générationnel d'une fascinante justesse et d'une saisissante densité. Adolescentes dit beaucoup des attendus tourments de cet âge des possibles — les naturelles questions sentimentales, les interrogations entre copines autour du “passage à l'acte“, les introspections quant à leur devenir de femme, d'étudiante, d'adulte…—, en photographiant le quotidien comme les événements remuant la France : attentats de 2015, présidentielle de 2017… Le pays est ainsi concomitamment saisi dans sa globalité et au travers la juxtaposition des classes sociales si distinctes auxquelles appartiennent Emma et Anaïs. Où l'on constate que chacune ne disposant pas des mêmes armes, la reproduction des élites est aussi inéluctable que la poisse colle à la misère — de l’inégalité illustrée par l’exemple. Et assez singulièrement, les deux jeunes filles vont avoir à fuir la toxicité relative de leur famille pour s’accomplir : l’une par une émancipation rapide, l’autre par l’éloignement scolaire et l’affirmation du choix de ses études. En cela, Adolescentes s’adresse aussi aux parents, pour leur rappeler que leur enfants un jour devront quitter le nid.

Ce genre d’œuvre cinématographique tient du miracle. La diminution des producteurs aventureux (en l'occurrence, il faut louer Muriel Meynard, la productrice), la réduction des guichets de financement ainsi que l’étrécissement continu des enveloppes allouées aux “films du milieu“ condamnent a priori un tel projet n’entrant quasiment dans aucune case. Pensez donc : aucune “vedette“, un tournage immobilisant des actifs pendant plusieurs années (et retardant d’autant un hypothétique retour sur investissement), une durée totale suffisamment importante pour tracasser les exploitants et les éventuels diffuseurs télé — une gageure. Pareilles audace et réussite méritent d'être payées en retour.

★★★★★ Adolescentes de Sébastien Lifshitz (Fr., 2h15)…

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