Aurélie Voltz, Madame la commissaire en chef

Portrait / Un peu plus de deux ans après après son arrivée à la direction du Musée d'Art Moderne et Contemporain de Saint-Étienne Métropole, Aurélie Voltz a résolument pris ses nouvelles marques, loin de Paris, sa ville-racine. Rencontre avec une femme de conviction qui, riche d'un parcours sans faute de goût, entend bien faire bouger les lignes. Texte et photo Niko Rodamel

Alors qu'en 1973 disparaissent de la scène artistique deux illustres Pablo, Neruda et Picasso, naît à Paname la petite Aurélie, au sein d'une famille baignée de culture. Maman est journaliste pour le magazine Connaissance des arts, papa est graphiste. « Dès l'âge de quatre ans mes parents m'ont régulièrement emmenée au Centre Georges-Pompidou qui venait d'ouvrir. Nous allions aussi au marché aux puces, ce qui a sans doute développé chez moi un certain intérêt pour tous types d'arts, jusqu'à l'artisanat. » Aurélie grandit ainsi à Paris dans un appartement peuplé d'objets issus de différentes cultures et de différentes époques. Elle est pourtant davantage portée vers les lettres, le français... Elle entreprend ainsi des études littéraires au cours desquelles elle est très tôt attirée par le XIXᵉ siècle. L'adolescente nourrit notamment une réelle passion pour le mouvement anglais des préraphaélites. C'est peut-être même un tableau en particulier, Ophélia, peint par John Everett Millais en 1851, qui sera un des éléments déclencheurs d'une vocation sous-jacente. « C'est une oeuvre qui m'a vraiment impressionnée et touchée, avant même que je ne commence des études d'histoire de l'art. »

Paris-Berlin

Après un cursus à l’École du Louvre à l'issue duquel elle décroche un diplôme de 2ème cycle en 1994, Aurélie fera ses premières armes à la galerie Durand-Dessert, dans le 11ème arrondissement. « J'y ai travaillé pendant deux ans en tant qu'assistante. Nous étions en lien avec le musée de Saint-Étienne, cela fait donc déjà un certain temps que je garde un œil sur cette institution ! » En 1997, Aurélie rejoint le Musée d'art moderne de la Ville de Paris, avant d'accompagner cinq ans plus tard l’ouverture du Palais de Tokyo, où elle conceptualisera un certain nombre d'expositions en tant que curatrice, jusqu'en 2004. « Au-delà du fait que les deux institutions sont voisines géographiquement, j'arrivais au terme des missions que l'on m'avait confiées, j'avais donc envie d'évoluer vers autre chose, de me recentrer sur la création contemporaine. » Mais la jeune parisienne semble décidément avoir la bougeotte. Désireuse de marquer une coupure avec le microcosme de la capitale, elle choisit de s'installer à Berlin. Commissaire indépendante, la jeune femme trouve rapidement sa place dans le flux permanent de la bouillonnante capitale allemande. Elle travaille pour des galeries ou des foires, organise des voyages pour des collectionneurs ou des associations d'amis de musées. « Ce fut sept années riches de rencontres. Je côtoyais énormément d'artistes, il y avait à Berlin une vraie dynamique. Pour autant, avec du recul, cette expérience m'a permis de prendre conscience que j'étais finalement davantage attirée par une démarche muséale, au service du public. Même si le réseau que je me suis constitué là-bas m'est toujours utile aujourd'hui, il est clair que je n'aurais pas fait carrière dans le marché de l’art. »

Back in France

En 2011, Aurélie Voltz retrouve le territoire français. En prenant la direction des Musées de Montbéliard, elle renoue avec une palette artistique plus universelle, balayant toute l'étendue temporelle de l’histoire de l’art. « Ce genre de musées offre la possibilité de monter des projets transversaux, en demandant par exemple aux artistes de produire des expositions qui permettent de relire toutes les collections, mettant en perspective des domaines allant de l'archéologie à l'art moderne et contemporain en passant par les sciences naturelles. » Lorsqu'elle pose ses valises à Saint-Étienne pour prendre les rennes du MAMC en octobre 2017, la maison est alors en pleine ébullition puisqu'on s'apprête à fêter en grande pompe le trentième anniversaire du musée, sous la houlette de Martine Dancer-Mourès. « J'ai accompagné cet événement avec plaisir. Cela a été pour moi une sorte d'année zéro m'autorisant à prendre mes marques en douceur et à préparer la suite. J'ai bien sûr maintenant carte blanche, tout en gardant en tête un des axes majeurs fixés par les élus de la Métropole qui est de remontrer généreusement les collections du musée. Il y aura donc toujours, conjointement aux projets qui me tiennent personnellement à coeur, une exposition consacrée à nos collections. » Pour la nouvelle directrice, la présence de vingt mille œuvres dans les réserves est une vraie richesse, une boîte de Pandore de laquelle on peut tirer des fils dans tous les sens, offrant la possibilité d'une incroyable multiplicité d'options. Quant aux expositions temporaires qui constituent l'autre volet de la programmation, Aurélie peut s'appuyer sur une excellente connaissance des réseaux publics et privés, en France comme à l'étranger, capitalisée depuis trente ans. Actuellement, le MAMC propose quatre nouvelles expositions. Avec L'équilibre des blancs, madame la commissaire se dit particulièrement fière d'exposer pour la première fois en France la peintre hongkongaise Firenze Lai. « C'est une artiste que j'avais découverte un peu par hasard en 2014, lors de la foire internationale de Bâle, Art Basel. Elle était représentée par la galerie chinoise Vitamin Creative Space. Je suis tombée en profonde vibration devant ses toiles. » Le musée présente une soixantaine d'oeuvres de Firenze Lai, peintures, dessins et gravures, dans l'une des grandes salles.

Par opposition aux centres d'arts qui sont en quelque sorte des laboratoires, on ne peut pas se permettre d'improviser dans un musée comme le nôtre : je suis déjà en train de penser à 2023 !

« La biennale Art Press permettra de rendre visible la jeune création via le prisme de l'école stéphanoise. »

Aurélie Voltz prend régulièrement le parti d'ouvrir le musée à d'autres commissaires. « Ils peuvent exprimer une vision différente de la mienne ou parfois apporter leur expertise sur une période donnée. Même si c'est à moi de garantir la cohérence des différents projets, je ne souhaite pas tout programmer seule. »

Émergence

Aurélie se fait également un devoir de rester attentive aux artistes émergents, par ses contacts, ses visites ou ses lectures de la presse spécialisée, y compris sur le web. « Je ne peux pas constamment voyager pour visiter des expositions, je suis aussi gestionnaire d'un équipement avec un rôle de manager qui exige une forte présence dans les murs. » Elle suit donc de près ce qui se passe dans les lieux indépendants de la région, comme à Lyon avec La Salle de bains, mais aussi à Saint-Étienne avec les Limbes ou l'Assaut de la Menuiserie. « Il y a ici des équipements culturels très actifs comme l'ESADSE, l'école d'architecture ou l'école de la Comédie, avec également des artistes qui, après avoir fait leurs études d'art à Saint-Étienne, sont restés sur le territoire. Tous ces acteurs ont une vraie volonté de travailler ensemble et constituent une force commune. » Aurélie Voltz annonce la prochaine naissance d'un rendez-vous national d'art contemporain à Saint-Étienne, préparé de façon tripartite par l'ESADSE, le MAMC et Art Press, la revue internationale de référence dans le monde de l'art actuel. « Après l'école : biennale Art Press des jeunes artistes permettra de rendre visible la jeune création via le prisme de l'école stéphanoise. » Aurélie a encore beaucoup d'autres projets en tête. En 2021, elle présentera notamment la première exposition personnelle en France de l'artiste franco-britannique Marc-Camille Chaimowicz. « Par opposition aux centres d'art qui sont en quelque sorte des laboratoires, on ne peut pas se permettre d'improviser dans un musée comme le nôtre : je suis déjà en train de penser à 2023 ! »


Repères

1973 : voit le jour à Paris

1994 : obtient un diplôme de 2ème cycle à l’Ecole du Louvre

1995 : intègre la Galerie Durand-Dessert

1997 : rejoint le Musée d'art moderne de la Ville de Paris

2002 : devient curatrice au Palais de Tokyo

2004 : quitte Paris pour Berlin

2011 : prend la direction des Musées de Montbéliard

2017 : arrive à la tête du MAMC de Saint-Étienne Métropole

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