Mélissa Laveaux : « Je me suis réappropriée ma propre culture »

Mélissa Laveaux

Théâtre Quarto

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Blues / Le festival Rhino Jazz(s) entre dans la force de l’âge, soufflant ses quarante bougies avec une édition-anniversaire qui envoie du bois. Cinquante concerts dont le second volet de l’hommage à Bowie, des artistes confirmés et de belles découvertes en perspective. Nous avons rencontré une musicienne étonnante, aussi douée que militante, qui se produira sur la scène du Quarto à Unieux : la franco-canadienne d’origine haïtienne Mélissa Laveaux viendra défendre Radyo Siwèl, magnifique album dans lequel elle revient sur ses origines familiales en fouillant l’Histoire tumultueuse de la perle des Antilles.

La tournée qui accompagne votre dernier album vous amène à jouer pour la première fois dans la région stéphanoise…
Tout à fait ! J’ai joué début septembre près de Lyon, à Miribel, dans le festival Woodstower. La tournée suit son cours malgré les rotations avec les musiciens qui m’accompagnent. Je partage mon batteur Martin Wangermée avec Sly Johnson et ma bassiste Elise Blanchard avec Oumou Sangaré, il faut donc parfois les remplacer ! Mais ça va, on reste super relax, on reçoit un accueil très chaleureux dans de belles salles, on a vraiment de la chance. Jouer en trio nous permet de trouver plus facilement le groove de chaque chanson, c’est une formule très flexible qui nous laisse de l’espace et donc la possibilité de vraiment travailler sur le son. Les chansons évoluent au fil des concerts, avec l’oreille attentive de notre ingé-son, Mathieu Noguès. Cela devient un travail collectif et c’est bien comme ça !

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Pour faire tomber l'ignorance et les différentes formes d'oppression, il faut écouter les gens, comprendre leurs besoins.

Pour préparer l’écriture de votre tout dernier album, Radyo Siwèl, vous avez fait un important travail d’investigation sur l’histoire d’Haïti…
J’ai fait de nombreuses recherches sur la période de l’occupation américaine qui a duré de 1915 à 1934, j’ai lu des récits de voyages, j’ai appris beaucoup de choses étonnantes comme par exemple le fait que les USA envoyaient des espions noirs sur l’île ! J’ai avant tout cherché à comprendre l’influence que cette occupation a pu avoir sur les principaux acteurs artistiques de l’île, comment les soldats réprimaient le vaudou... J’ai donc étudié beaucoup de partitions, essentiellement celles des chants populaires de résistance. J’ai trouvé énormément d’informations dans les archives nationales du centre Fokal à Port-au-Prince, une vraie mine pour qui veut connaître l’histoire de cette île qui fut la première république noire libre du monde. Je me suis fait aider pour être certaine de bien tout comprendre car dès ma naissance mes parents ont préféré que je parle le français et l’anglais, mais pas le créole. En revanche, la musicalité de langue, elle est là, en moi, dans mes souvenirs de ma petite enfance, dans les chansons de Martha Jean-Claude qui reste pour moi la référence absolue. Parfois je relève une phrase dans une chanson de l’époque, à partir de laquelle je bâtis un nouveau morceau, à ma propre sauce. C’est drôle, je me suis en fait réapproprié des chansons de ma propre culture !

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Vous semblez être une femme engagée, militante, féministe assumée…
Pour moi, être féministe ou plus généralement militante, passe par une forme d’auto-émancipation et tend vers un soutien solidaire envers les femmes, mais aussi les hommes. Nous parlions de Martha Jean-Claude, c’est une artiste qui justement m’a beaucoup influencée, pas seulement musicalement. Je croyais qu’elle avait dans certaines de ses chansons des propos misogynes, mais en étudiant ses textes plus en profondeur je comprends qu’elle exhortait simplement les soldats américains à quitter son île. Les valeurs que ma mère m’a inculquées ont été complétées par mes lectures universitaires. Ça me paraît complètement naturel de penser que l’équité entre les personnes et le bonheur de tous sont des défis sociaux et politiques majeurs. Pour faire tomber l’ignorance et les différentes formes d’oppression il faut écouter les gens, comprendre leurs besoins. Sur ce plan, le patriarcat fait beaucoup de dégât à lui tout seul et d’ailleurs, quand on entend le tout dernier discours de Donald Trump à l’ONU, où il se vente en occultant bien sûr toutes les choses horribles qu’il a faites depuis qu’il est au pouvoir, on peut penser qu’on est quand même loin d’être sortis de l’auberge !

Je travaille beaucoup de manière intuitive, il faut que je joue les nouveaux morceaux en live pour voir comment ça sonne et comment le public les reçoit.

Revenons à la musique… Quels sont vos projets à court ou long terme ?
En parallèle de la tournée Radio Siwèl, je suis sur le spectacle musical Et parfois la fleur est un couteau qui va être rejoué le 24 novembre à Paris et dont prépare la diffusion. Il s’agit d’un conte initiatique avec des musiques inédites où se mêlent folk canadien et afro-rock haïtien. C’est parfois un peu compliqué de tout gérer en même temps, d’autant que je commence aussi à préparer un nouvel LP ! Je travaille sur plusieurs pistes qui pourraient presque constituer plusieurs albums, il faudra bien sûr choisir au final mais pour l’instant je n’en suis encore qu’au travail d’écriture. Je fais écouter des choses à Laurent Bizot, le fondateur du label No Format avec qui je travaille depuis dix ans. Mais en règle générale je préfère le convaincre sur scène plutôt qu’avec des maquettes un peu réductrices sur lesquelles mes idées ne sont pas aussi bien exécutées qu’avec un vrai batteur ou un vrai clavier. Je travaille beaucoup de manière intuitive, il faut que je joue les nouveaux morceaux en live pour voir comment ça sonne et comment le public les reçoit. C’est une méthode qui me paraît plus naturelle. Et pour la suite il y a encore pas mal de choses que j’aimerais vraiment faire, comme par exemple composer la bande son d’un film. Je tiens à jour une petite liste d’envies artistiques et je me rends compte que j’en ai déjà réalisé plusieurs avec de belles collaborations. J’espère bien poursuivre le plus longtemps possible un carrière de musicienne à plein temps, mais c’est inquiétant de voir un marché de la musique en plein bouleversement qui laisse finalement peu de place aux créateurs de musique.

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Vous êtes canadienne et votre label est parisien : comment la rencontre s’est-elle produite ?
L’équipe de No Format m’a repérée sur MySpace alors que j’étais encore étudiante au Canada. Ils ont mis à peu près six mois à essayer de me convaincre à venir en France. Je suis venue passer seulement deux semaines à Paris pendant l’été 2007 car j’avais encore un semestre à boucler à l’université. Mais en décembre, grâce au soutien du label, tout s’est accéléré avec l’obtention de la Bourse Lagardère : je me suis installée à Paris le mois suivant ! Je suis donc résidente française depuis janvier 2008.

Si vous n'aviez pas percé dans la musique, quelle sorte d’engagement aurait guidé votre existence ?
Le bien être des patientes en milieu hospitalier est un sujet qui m’interpelle depuis le début de mes études supérieures. J’en ai d’ailleurs beaucoup parlé en début d’année lors des soirées Afrocyberféminismes à la Gaîté Lyrique à Paris.

Mélissa Laveaux, vendredi 19 octobre à 20h30, Le Quarto à Unieux, dans le cadre du Rhino Jazz(s)

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