Rêver et voir la beauté du monde

Daisy Fel a bénéficié d'un riche héritage artistique qui a sans doute favorisé l'éclosion de son talent. Sa maman était professeur de dessin, également peintre. Se lancer, toute jeune fille, à l'assaut de la capitale, pendant la guerre, relevait d' un certain courage sous-tendu par une vocation bien arrêtée. Si Daisy n'a pas hérité du coup de crayon de sa maman, elle a grandi dans un milieu artistique où elle a appris le sens de la couleur, où les visites dans les musées, les expositions, l'ont sensibilisée à l'art, à la beauté des choses.

Elle s'est moulée dans un cocon où s'est façonné en secret l'œil de cette chrysalide qui devait un jour émerger et donner naissance à l'artiste qu' elle est devenue, à cette visuelle amoureuse des mouvements et des formes, intéressée surtout par l'aspect créatif et plastique, par l'invention de personnages. Ce n'est pourtant pas la voix artistique que Daisy avait choisie au départ. Même si elle avait passé un baccalauréat artistique et fait l' école des Beaux-Arts, elle s'était engagée dans l'étude des langues. Un D.E.U.G. d'Anglais en poche, elle embarque pour Londres afin d' effectuer l'année de stage à l'étranger obligataire dans le cursus universitaire. Et là ! Changement de cap ! A Londres, Daisy découvre un creuset artistique très riche où il se passe des tas de choses, où foisonnent des musiciens qui font de la musique improvisée. Elle lâche tout, arrête ses études. Elle a dix-huit ans, envie de faire de la danse contemporaine. Elle entre dans le monde de la danse qu'elle ne quittera plus et qui ne la quittera plus. Auteur, poète, elle a envie de montrer la beauté du monde, de faire rêver son spectateur. Ce qui lui plaît, c' est de mettre en oeuvre  des idées. Elle lance une idée, avec des intentions puis ça se cristallise, avec le concours de tous les participants : scénographes, costumière, danseurs, créateurs dont les univers viennent compléter sa poétique de la danse à la frontière du théâtre, et l'oeuvre naît de toutes ces énergies artistiques. Comme les personnages de romans créés par l' écrivain qui se mettent à vivre leur propre vie, chaque création est une surprise qui échappe un peu au créateur et chaque représentation est unique, jamais tout à fait la même. Et cela fait vingt ans que ça dure.  

Les vingt ans de Litecox

Depuis vingt ans, la compagnie Litécox crée des spectacles mais accomplit aussi tout un travail avec des amateurs : jeunes, adultes ou enfants. Tous les âges sont concernés. Cette saison anniversaire est l'occasion de découvrir ou de revoir les créations de la compagnie au cours d'un foisonnement d'événements ponctué par un premier temps fort au théâtre Jean Dasté de la Comédie de Saint-Étienne, le 7 février 2012. La première partie comporte la présentation d'un petit film rétrospectif de quinze minutes, puis le spectacle Imago créé il y a deux ans à Sorbiers à «L'Échappé» (Non, il n'y a pas de faute d'orthographe ! Il ne faut pas de «e». Cela vient du nom du pas de danse : échappé, battu). Imago est une pièce très peu vue. Elle n'a jamais été présentée à Saint-Etienne. C'est une ode à la féminité qui parle des cycles de la vie. L' idée est née de la magnifique exposition qui eut lieu à Saint-Etienne : les Enrubannées. La scénographie, très simple, faite de rubans est une pure merveille. Au début de la pièce chorégraphique, les quatre danseuses sont enveloppées dans leur cocon. Puis, elles commencent à sortir. Petit à petit, elles émergent, passant de l'état larvaire au stade de chrysalide et se mettent enfin debout. L'une d'elles déroule un grand ruban orange qui fait référence au fil d'Ariane. Ensuite, c'est le duo des jumelles, attachées par un ruban. C'est un passage symbolique sur la relation humaine, la manipulation. C'est très graphique. Les danseuses évoluent dans les rubans jouant avec l'équilibre, enluminées par les jeux de lumière. Puis nous passons à la séquence suivante (Daisy travaille beaucoup en séquences) : les navettes. C'est une partie qui fait référence au monde du travail, au tissage. Sur des musiques bulgares, les danseuses font des gestes répétitifs, mécaniques, comme si  elles étaient elles-mêmes des engrenages. C'est très simple, très beau. Puis, après cette partie énergique, vient une partie très lente : le jardin zen. A la fin, un personnage arrive, tout en blanc : c'est l' archange de la lune. Comme l'archange Gabriel qui annonce à la vierge la naissance du christ, l'archange de la lune annonce le futur. Il déroule un ruban blanc tandis que les trois autres danseuses remettent leur mue. C'est la symbolique de la disparition. Ces trois personnages pourraient être les trois Parques. La boucle est bouclée. Ce spectacle fait référence à la mythologie et à la route de la soie. Saint-Etienne était au bout de la route de la soie. Imago est une splendeur qui devrait toucher particulièrement les stéphanois émus de retrouver leur patrimoine industriel avec les références aux rubans, aux navettes à la route de la soie. La  deuxième partie de cette saison anniversaire se déroulera  du 2 au 6 avril sur le site de la cité du désign au  bâtiment des forces motrices. Il s' agit d' une exposition qui est une rétrospective de toutes les créations de la compagnie qui doivent, de 1992 à 2012, atteindre la vingtaine. Cet événement est réalisé en partenariat avec l'EPASE et avec l'ESADSE (Ecole supérieure d'art et de design de Saint-Etienne). Des élèves de l'école des Beaux-Arts travaillent sur la scénographie de l'exposition, constituée de volumes sur lesquels seront projetés des images.

Des résidences qui s'enchaînent

Mais où Daisy Fel puise-t-elle autant d' énergie ? Car  en plus de tout le travail nécessaire pour l'organisation de l'anniversaire de la compagnie, ce petit bout de femme travaille déjà à la  préparation de sa prochaine création qui aura lieu en mars 2013 pendant la biennale du Design. Il s'agit de textes sur la danse et sur l'art. C'est plus comme une performance au sens d'expérience artistique. En art contemporain, le mot performance a ce sens. Et ce n'est pas tout. Il faut aussi signaler le travail de terrain qu'accomplira Daisy Fel au sein des trois structures culturelles où la compagnie est en résidence : à la maison de la culture de Firminy, au Karavan théâtre de Chassieu et au théâtre de Privas, en direction de divers publics. Elle fera un travail de sensibilisation (parcours en classe, formation des enseignants, stages), rencontres avec le public (lectures dansées, discussions après spectacles), interventions dansées dans l'espace public. Le champ de la création  est infini et ouvre aux artistes des voies très variées. Si Daisy Fel n'a pas suivi les traces de sa maman sur les chemins de la peinture, elle a perpétué ses talents artistiques en les inscrivant au firmament de la danse et gageons que Madame Fel serait ravie de contempler l'exposition de sa fille et d'admirer ses créations chorégraphiques comme autant de tableaux accrochant le spectateur pour l'entraîner dans un monde de rêve et de beauté.

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