Illustrissime Dominique Blanc

La Locandiera

La Comédie de Saint-Etienne

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Nous sommes un samedi soir. Dominique Blanc vient d'offrir une remarquable prestation avec à ses côtés André Marcon. Dans La Locandiera, mis en scène par Marc Paquien, l'actrice sans César mais toujours en compagnie de Molière, nous ouvre la porte de sa loge. Le temps de parler de ce fantastique spectacle, de théâtre, de sa carrière. Bref, en un mot : d'AMOUR ! Rencontre sensationnelle avec une femme d'exception.

Comment vous sentez-vous après votre prestation de ce soir en arrivant dans la loge ?
L'état dans lequel je me sens dépend beaucoup de la représentation et la représentation dépend beaucoup du public. Du moment que les gens réagissent et qu'il y a une grande qualité d'écoute, je me sens très bien. Pourvu qu'il y ait eu du partage, de la communion... Le partage cela peut être des rires, un silence un peu plus profond, de l'intimité partagée. 

Votre engagement sur scène est total. Comment parvenez-vous, avec la carrière qui est la vôtre, à trouver l'énergie du plaisir sur scène ?
Depuis une dizaine d'années, j'ai eu un enchaînement de rôles assez tragiques et lourds. J'avais envie de changer de cap et d'horizon et donc d'aller vers la comédie. C'est un changement radical. Ce métier est passionnant pour cela, pour tous les changements qu'il peut autoriser. Quand Marc Paquien m'a proposé de travailler avec lui, on a cherché une pièce qui pourrait nous emballer tous les deux. Personnellement je suis à la fois tombée amoureuse de Goldoni et du personnage de Mirandolina.

Je pense que Goldoni est un auteur de géni absolu, un grand géni comique et dramatique, qui connaît la sensibilité des comédiens. Il a été le fossoyeur de la commedia dell'arte. Il est le premier qui s'est mis à écrire des partitions pour les comédiens et surtout les comédiennes. La partition de Mirandolina est magnifique car elle a un cerveau hors du commun, c'est évident. C'est un grand stratège, quelqu'un qui met en scène les gens dans son petit théâtre qui est une auberge. Au jeu de la la séduction et de l'amour elle va se brûler les ailes elle aussi, en tombant amoureuse de ce chevalier qui est irrésistible.

C'est une pièce assez politique car l'amour est impossible. Je ne sais pas si les choses ont beaucoup changé. Vous imaginez quelqu'un qui vit dans les beaux quartiers ou qui est trader à New-York et qui tombe amoureux d'une jeune femme, je ne sais pas, d'origine immigrée ? Leur amour serait probablement condamné par la société. Je pense que notre société n'est pas forcément plus tolérante.

C'est une pièce qui dé-range, au sens qu'elle fait sauter les rangs sociaux. L'amour semblerait trouver une justification dans le politique ?
Absolument ! C'est une pièce écrite en 1753. Cette femme, du fait qu'elle est orpheline, profite d'une liberté qu'elle ne pourra pas garder, hélas ! En tous les cas pendant ce temps-là elle s'autorise cette liberté. En ce sens elle est une héroïne libertaire sensationnelle.

En période de crise, cela fait du bien de parler d'amour. Quel regard portez-vous sur l'amour dans notre société au travers de ce texte ?
C'est un texte éminemment contemporain. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est le public quand il sort. En général des hommes et des femmes rient beaucoup. Ils s'apostrophent en disant que les choses n'ont pas tellement changé. Je les écoute et ça me fait rire ! Ma vision de l'amour est entière. C'est un peu une raison de vivre, si ce n'est que c'est la seule raison de vivre. La seule aventure qui vaille le coup d'être vécue, l'amour dans tous les sens du terme, dans toute sa générosité et sa profondeur.

Ce qui est frappant quand on lit cette pièce, c'est l'amour que Goldoni a pour le genre humain. Parce qu'il écrit nos mensonges, nos trahisons, on est tous aussi infectes les uns que les autres, mais on est aussi tous irrésistibles. On n'arrête pas de mentir et d'être hypocrite mais on est tous irrésistibles. Voilà ce qui me plaît chez Goldoni, il aime profondément le genre humain. C'est un grand humaniste.

Doit-on se satisfaire de cette dimension tragique de l'amour qui nous est présentée dans l'histoire entre Mirandolina et le chevalier ?
Certainement pas. Je pense que l'amour peut exister sous beaucoup de formes et ce qui est intéressant c'est de le conjuguer et de le pratiquer, sinon je ne sais pas tellement pourquoi on est là. L'amour ne doit surtout pas être formaté. On vit une époque qui nous explique toujours comment il faut aimer, comment il faut élever ses enfants, comment il faut consommer. On a tellement peur de l'autre, de l'étranger, de l'inconnu, de ce qu'on ne fait pas, de ce qu'on ne connaît pas. Les peurs sont nombreuses. C'est accentué par la crise, les gens sont très angoissés. Si on essaie de sortir de ces chemins-là, on se rend compte de l'actualité absolue de la pièce. 

La pièce rend hommage aux stratagèmes de la séduction féminine, qu'en est-il, selon vous, de ceux des hommes ?
A priori, les hommes ont la réputation de moins dissimuler mais je ne sais pas si c'est vrai. Je crois que c'est le genre humain qui est comme ça. Que les hommes comme les femmes sont capables de mentir, de se travestir, de jouer la comédie. Par contre pour qu'une femme puisse écrire une pièce comme ça, même au XXIe siècle, cela reste très difficile. 

Goldoni donne aux personnages féminins des rôles atypiques, en terme d'humour par exemple ?
Oui et puis pour le théâtre italien c'était le début des rôles de comédiennes. Avant c'était la commedia dell'arte et il n'y avait pas du tout des rôles de femmes. Après il y en avait, mais on passait sa vie entière à jouer le même personnage. Au fond ce n'était que du grand cabotinage. Et Goldoni a mis fin à ça. Quand on voit toutes les séries télé, on voit des trucs monstrueusement écoeurants, où les acteurs font les singes et il faut toujours rester très vigilant pour ne pas faire le cabot.

Au regard de votre carrière, vous avez joué l'amour dans toutes ses formes. Dans quel registre vous reconnaissez-vous le mieux ?
Vous savez, moi ce que jaime c'est le 360° ! C'est prétentieux de dire ça. Mais si je vois ça comme une traversée d'océan, ce sont des changements de cap, de direction, d'équipe, d'auteur. Mon métier est dans le changement. Il faut être le plus souple possible donc travailler ses muscles et ses nerfs le plus possible, le plus longtemps possible pour pouvoir jouer jusqu'au bout. Ce qui est quand même mon rêve. Ce métier, c'est l'art de la navigation !

Une question locale pour finir : quel rapport avez-vous à Saint-Etienne ?
Pour moi Saint-Etienne c'est les meilleurs chocolats du monde, c'est le chocolat Weiss. C'est un chocolat que j'ai connu quand j'étais toute petite. J'ai hâte d'y être. Les tournées c'est ça aussi, découvrir la ville, aller au théâtre et discuter avec les gens. On ne peut pas rester enfermé dans sa loge.

La Locandiera, du 10 au 12 avril, 20h, Théâtre Jean Dasté

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