«Une approche instinctive et poétique de la création»

Portrait / Thierry Escaich, compositeur, organiste, improvisateur, poursuit sa résidence à L'Orchestre National de Lyon avec délectation et sérénité. Pascale Clavel

Aller à la rencontre d'un compositeur français actuel des plus inspirés est une expérience singulière. Thierry Escaich arrive des États-Unis, part en répétition dans une heure, a un concert ce soir, un autre demain et pourtant, l'homme est accueillant, prêt à nous parler de la création artistique en toute simplicité. La porte est ouverte, on entre sur la pointe des pieds, on est avec Bach, Mozart et Brahms tout à la fois, on se sent en équilibre fragile au bord de cet incroyable univers qu'est la création artistique. Thierry Escaich est un musicien boulimique d'apparence tranquille et il suffit de lire la longue liste de ses premiers prix de conservatoire pour être déjà dans un total éblouissement : harmonie, contrepoint, fugue, orgue, improvisation, analyse, composition et orchestration. Lui n'en parle pas, c'est sa force tranquille, son bagage obligé pour un compositeur aux œuvres plutôt intranquilles. On apprend par bribes, au fils d'un entretien qui rappelle ses compositions - un peu hors du temps, un peu morcelé - le temps qu'il faut pour écrire. De Bach à lui-même
L'œuvre de Thierry Escaich, colossale et éclectique, prend ses sources à des endroits aussi divers qu'atypiques. «Mes premières influences viennent de Bach très certainement parce que Bach c'est l'orgue, c'est aussi l'équilibre parfait entre l'harmonie et le contrepoint. Quant à mon orchestre, il vient beaucoup de l'école impressionniste française Debussy/Ravel. Pour le reste, j'ai une assise assez forte dans le romantisme peut-être par mon côté improvisateur. La rythmique un peu instable de Brahms se retrouve aussi dans ma musique. Les dernières influence ce sont ces couleurs qui ont pu être trouvées au XXe siècle par Ligeti ou Berio».
Ses compositions en sortent colorées comme La Fantaisie concertante et Le Concerto pour orgue, sont souvent remplies d'une instabilité rythmique redoutable comme dans Ad ultima laudes pour douze voix mixtes, pétries d'un mysticisme profond. On a souvent tendance à lui demander s'il se sent l'héritier d'Olivier Messiaen. Le rapprochement est facile : Messiaen organiste, improvisateur, compositeur, professeur au CNSMD de Paris, titulaire d'une grande église parisienne... Des parcours qui peuvent paraître semblables. Thierry Escaich, poliment agacé, se dit être à l'opposée sur le fond du discours. «Messiaen cherche une sorte de sérénité, un sentiment d'éternité dans cette espèce de foi inébranlable, et moi, je suis beaucoup plus agité, beaucoup moins stable qu'il pouvait l'être. Ma musique est beaucoup plus mouvante, plus rapide».Ses nuits hallucinées
Depuis septembre 2007, Thierry Escaich est en résidence à l'ONL : temps particulier de création, de rencontres, de doutes et de grandes possibilités (il a un orchestre à disposition et le fameux orgue de l'Auditorim, le Cavaillé-Coll/Gonzalez). Cette semaine est un bon exemple pour comprendre sa résidence. Hier et aujourd'hui, il a joué un concerto en tant qu'organiste pour montrer le répertoire de son instrument. L'orchestre le découvre comme soliste. Demain, il joue en chambriste avec quelques instruments de l'orchestre certaines de ses pièces mais également des pièces romantiques et post-modernes. Enfin, la semaine prochaine, c'est une nouvelle composition pour orchestre et Mezzo-soprano qui est donnée.
Sa toute nouvelle création, Les Nuits hallucinées, lui a demandé six mois de travail quasi monacal pour une œuvre de vingt minutes. La composition demande du temps. Jusqu'à présent, il a plutôt écrit des pièces pour petits chœurs a capella ou avec orgue.
«Sur la pièce elle-même, c'est le rapport aux texte qui m'a intéressé. J'ai choisi tout d'abord un thème : le thème de la nuit, nuit hallucinée, sorte de rêve phantasmatique. Puis, j'ai décliné ce thème général avec trois poèmes différents. Les Djinns de Victor Hugo, puis un poème du post-romantique Tristan Corbière et enfin la nuit d'Henri Michaux». Cette œuvre est une sorte de symphonie en trois mouvements : un allegro moderato, ouverture assez expressive et dense suivi d'un petit scherzo fantasque et d'une sorte de finale vivace en forme d'arche. Quelle que soit l'œuvre qu'il crée, nous l'aurons compris, sa musique naît d'un besoin primitif et viscéral d'exprimer son univers. Il se joue des modes, des clichés, des intentions que l'on voudrait lui prêter. Sa musique est faite de mouvements et d'images. Les matériaux s'imbriquent, se transforment, l'oreille est puissamment secouée et mise à l'épreuve. L'orchestre amplifie les voix, qui elles-mêmes se fondent dans l'orchestre, l'orgue sait devenir voix démultipliées ou orchestre de chambre. Toujours chez lui, la couleur, le rythme et l'image sont là comme trois piliers sur lesquels tout repose. Dans chacune de ses œuvres, le temps se dilate, l'auditeur est captivé. Les Nuits hallucinéesÀ l'Auditorium de LyonSamedi 24 mai

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 7 mars 2017 Si chacun connaît la partie d’échecs entre le Chevalier et la Mort dans Le Septième Sceau de Bergman, l’affrontement composé par Fritz Lang dans Les Trois (...)
Lundi 25 mars 2013 De tous les festivals qu’il a tricoté depuis son arrivée à la tête de l’opéra, Serge Dorny livre le plus spectaculaire, le plus visionnaire et le plus culotté : Justice/Injustice, qui réunit une création mondiale, trois œuvres contemporaines, des...
Jeudi 7 février 2013 L’Auditorium de Lyon programme le Concerto pour clarinette de Thierry Escaich, œuvre contemporaine, fraichement écrite par un compositeur hors cadre. De l’émotion en abondance, du spirituel en ligne de fond. Pascale Clavel
Dimanche 6 janvier 2013 Peut-on dire, sans tomber dans le clin d’œil historique trop appuyé, que cette deuxième partie de saison est marquée du sceau de Robert Badinter ? L’Opéra de (...)
Jeudi 5 janvier 2012 Festival French Kiss deuxième mouture à l’Auditorium. Le directeur général Laurent Langlois y tient comme à la prunelle de ses yeux et promet un "festival qui embrasse tout le répertoire de la musique française". Pascale Clavel
Jeudi 1 octobre 2009 Entretien / Thierry Escaich est un compositeur qui dilate le temps, joue avec les couleurs et expose une œuvre visionnaire. Pour sa dernière saison en résidence à l’Orchestre National de Lyon, il compose un concerto pour violon et orchestre....
Dimanche 8 juin 2008 Classique / Thierry Escaich va faire de l’ombre à Fauré, Sibelius et Bizet dans la même soirée. Son Miroir d’ombres pour violon, violoncelle et orchestre éblouit tant qu’on en oublierait le reste. Pascale Clavel

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X