L'Italie mise à nu

De passage à Grenoble pour l’avant-première de son saisissant documentaire Draquila, Sabina Guzzanti nous a éclairés sur son statut de cinéaste contestataire, deux mots qui vont décidément bien mal ensemble dans l’Italie de Berlusconi… Propos recueillis par François Cau

Petit Bulletin : On vous a connu en France avec votre documentaire Viva Zapatero !, qui décrivait vos démêlés de satiriste avec la censure italienne. Et là, vous tombez le masque comique…
Sabina Guzzanti : Je m’accorde avec le sujet. Viva Zapatero ! tournait autour d’un programme satirique retiré de l’antenne, et parlait de liberté d’expression. Le film contenait des scènes humoristiques mais avait un propos plutôt dramatique, à l’exception de la scène finale, qui résonnait comme une célébration de la démocratie. Avec Draquila, on est quelques années plus tard, à l’enterrement de cette démocratie, après que personne n’ait rien fait pour empêcher l’escalade autoritaire de ce régime.

Votre film est franchement déprimant, avec cette accumulation d’exactions politiques qui n’en finissent pas…
Ce genre de malversations peut se produire de différentes façons, et il est fondamental de rester vigilant sur chaque violation de la Constitution, parce que les conséquences sont bien évidemment terribles. C’est très superficiel de se cantonner à l’idée que Berlusconi n’est qu’un idiot avec un sens de l’humour lamentable, ou que les italiens sont stupides de ne pas prendre en compte la réalité. En réalisant ce film, l’un de mes objectifs était d’expliquer pourquoi ce gouvernement reste en place. Les intellectuels italiens clament depuis de nombreuses années qu’on ne peut pas simplement expliquer ça par son monopole sur les médias, même si ça l’a considérablement aidé, et que ça a notamment fait croire aux victimes du tremblement de terre de l’Aquila qu’elles étaient les personnes les plus chanceuses sur Terre. Si vous regardez le film attentivement, vous commencez à avoir des débuts de réponses, des raisons ancrées en profondeur au niveau national, les liens avec la mafia, le blanchiment de l’argent sale…

Face aux scandales, Draquila pose la question de ce qu’on peut faire en réaction.
Le tout est de rester sérieux, de ne pas prétendre qu’on n’est pas face à une situation dangereuse, ne pas se reposer sur l’espoir qu’un jour quelqu’un viendra nous sauver – les italiens redoutent de se retrouver sans leader, ce qui est une façon assez puérile de voir les choses. Berlusconi n’aurait jamais atteint un tel niveau de pouvoir si les journalistes avaient fait leur travail. Mais ils ne sont pas syndiqués, et si l’un d’entre eux a un minimum de décence face aux événements il se fait virer, et les autres sont bien contents de prendre sa place… Donc quelque part, on a ce qu’on mérite ! Dans le film, j’insiste sur cet homme qui décide de rester chez lui contre l’avis et les pressions de la Protection Civile, parce que c’est le genre de résistance dont on a besoin. Il faut vivre la vie qu’on a choisi, ne pas avoir peur, ne pas être lâche ; je ne dis pas qu’il faut être fou ou déraisonnable, mais juste ne pas suivre systématiquement les autres.

La présentation cannoise du film a été assortie d’une polémique, avec le ministre de la culture italien qui menaçait de boycotter le festival si votre film était projeté…
C’est leur façon de faire, on a l’habitude. Bien sûr, quand c’est arrivé, j’avais honte, c’est tellement ridicule et arrogant… C’est leur stratégie : d’abord, ils intimident les spectateurs italiens en leur disant que ce n’est pas un film, juste un brûlot extrémiste et diffamatoire, et que quiconque va le voir se rend complice. Et après, la suite logique est d’intimider le festival en maniant l’arme de l’incident diplomatique – d’un côté c’est positif, ça fait de la pub et une controverse typiquement cannoise, mais ça fait également que la prochaine fois, les programmateurs y réfléchiront à deux fois avant de se mettre en délicatesse avec un pays entier… Et au final, au lieu d’amener les responsables politiques à se justifier des accusations qu’on assène avec des preuves tangibles et de nombreux témoignages, cette stratégie fait que les politiques sont ceux qui attaquent, et c’est moi qui ai dû me justifier pendant la conférence de presse cannoise : est-ce que j’ai trahi mon pays, est-ce que j’ai fait quelque chose d’irréparable, est-ce que je suis communiste, est-ce que je déteste Berlusconi personnellement… Tout ça alors que ce qui est montré dans le film est si horrible, si terrifiant…

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Vendredi 29 octobre 2010 Avec ce film-enquête gorgé jusqu’au vertige de révélations scandaleuses, Sabina Guzzanti quitte ses habits de clown pour ausculter les dérives du gouvernement Berlusconi.

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