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Nos petites bulles - Novembre 2010

Chaque mois, la sélection BD du Petit Bulletin. Novembre 2010 : où il est question de peinture, de communisme, d'architecture, d'un petit lapin blanc et d'un grand soldat. Voici les BD qui ont retenu notre attention le mois dernier. Benjamin Mialot

Le Fils de Rembrandt (Sarbacane)
Scénario et dessin : Robin
Pas facile la vie de «fils de», surtout quand on a pour père, certes un génie pictural, mais surtout un fêtard invétéré, doublé d'un piètre gestionnaire, triplé d'un incontrôlable coureur de jupons. C'est pourtant celle qui échoit au jeune Titus suite au décès prématuré de sa mère. Pétillantes et touchantes comme pouvaient l'être celles du Petit Nicolas de Sempé (le trait leste et plein de vie de Robin y est pour beaucoup), les joies et galères du bambin sont évidemment l'occasion de dessiner en creux les portraits d'un artiste et d'une époque. Trois niveaux de lecture, ce n'est pas rien et ce n'est fort heureusement pas trop, Robin se gardant bien d'étouffer le lecteur sous les détails historiques et biographiques. Du coup, les deux cents pages du "Fils de Rembrandt" défilent comme un spaghetti dans les bouches de la Belle et de son Clochard, absorbé que l'on est par ce que dévoile cette lorgnette frappée du sceau des passionnantes éditions Sarbacane. Asterios Polyp (Casterman)
Scénario et dessin : David Mazzucchelli
L'événement BD du mois d'octobre, sans contestation possible, et un sérieux prétendant pour la première place des classements de fin d'année. C'est dire la puissance esthétique et émotionnelle d'"Asterios Polyp", aboutissement de quinze ans de recherche de l'Américain David Mazzuchelli qui raconte la remise en question d'un brillant architecte dont les idées n'ont jamais été concrétisées. C'est simple, rarement (jamais ?) une œuvre aura bénéficié d'une mise en forme autant en adéquation avec son fond : la personnalité de chaque individu est définie par un jeu de couleurs, un type de contours et une police (froid et géométrique pour le calculateur Polyp, rosé et tremblant pour son idéaliste compagne...), l'environnement s'altère en fonction de l'identité de celui qui l'observe, la moindre information a droit à son code (séparé de son jumeau, mort à la naissance, Asterios est toujours vu de profil)... À ce stade, ce n'est plus du talent c'est du génie, ce n'est pas un louable chef-d'œuvre, c'est un aspirateur à superlatifs. Les Grands Soldats (Gallimard)
Scénario : Laurent Rivelaygue Dessin : Olivier Tallec
Si "Asterios Polyp" n'est pas sans partager avec les ouvrages de James Joyce son audace désintéressée, c'est au "Gulliver" de Jonathan Swift que nous a fait penser "Les Grands Soldats". Pourquoi ? Parce qu'y est conté le passage à l'âge adulte tardif d'un humble berger irlandais, le colossal Cathal Crann, enrôlé de force dans le régiment de géants du roi de Prusse. Régiment connu sous le nom de Grenadiers de Postdam et qui, pour la petite histoire, a bel et bien existé. L'intérêt du livre ne réside cependant pas là, mais dans la vivacité de ses oripeaux de comédie de mœurs. Taciturne mais hanté, Crann va en effet découvrir la vie au contact de demoiselles aux mœurs légères et de puissants aux mauvaises manières tous plus expressifs les uns que les autres. Et tant pis si la conclusion laisse interdit tant ce qui précède est amusant, surprenant (l'intrigue s'étoffe d'éléments fantastiques et policiers) et savoureux pour les pupilles. La Mort de Staline – Tome 1 (Dargaud)
Scénario : Fabien Nury Dessin : Thierry Robin
Il monte, il monte, il monte Fabien Nury et "La Mort de Staline" le voit atteindre un nouveau palier. Ce qui n'est pas rien, quand on sait la qualité de son travail sur le western "W.E.S.T.", sur le sous-estimé "Je suis légion" et, surtout, sur "Il était une fois en France", fresque historique où l'Occupation s'appréhende à l'aune du parcours de Joseph Joanovici, ferrailleur juif aux comportements ambigus. D'histoire, il en est évidemment question dans "La Mort de Staline", mais sous couvert d'un humour noir aussi inattendu que jubilatoire. Adoptant la forme d'un huis clos où l'hystérie le dispute à la gravité, ce récit des dernières heures du Petit père des peuples et des luttes de pouvoir, magouilles et complots qui naquirent dans l'intervalle appelle une deuxième partie qui promet de l'être tout autant, Nury ayant eu la bonne idée d'introduire un élément fictif (un mot lu par le tyran juste avant son attaque) plein de promesses. Quant à Thierry Robin, il fournit un travail d'une lisibilité et d'une justesse de ton exemplaires. Intérieur (Actes Sud)
Scénario et dessin : Gabriella Giandelli
Une bande-dessinée préfacée par Dominique A, dont avait jusqu'alors l'habitude de lire la prose sur des sujets musicaux, voilà qui n'est pas banal, même pour un éditeur du calibre d'Actes Sud. En bons zélateurs de l'auteur de "La Fossette", ce n'est pas nous qui allons nous en plaindre, d'autant que tout l'ouvrage est l'avenant. Pas banal. Pas banal, cet immeuble italien habité par des junkies, des couples au bord de la déchirure et de gamines fantasmant le rock'n'roll. Pas banal ce lapin blanc (Lewis Carroll es-tu là ?) qui, à la veille de Noël, vient épier les états d'âmes plus ou moins triviaux de cette faune en détresse (Charles Dickens, c'est toi ?). Pas banale, non plus, la mise en images qu'emploie Gabriella Giandelli pour rendre compte de cette incursion du fantastique dans un quotidien puant l'immobilisme et le regret : couleurs intenses et granuleuses comme de la craie sur du bitume, floutages plus proches du souvenir glané en phase de sommeil paradoxal que de la technique de paparazzo... Pas banal au sens dérivé d'extraordinaire, en somme. Le carnet de voyage du mois Manabé Shima (Éditions Philippe Picquier)
Scénario et dessin : Florent Chavouet
Les carnets de Florent Chavouet sont au guide de voyage ce que ceux de Guy Delisle ("Chroniques birmanes)" sont au reportage journalistique. Manière de dire qu'ils sont instructifs tout en étant accessibles, sensibles sans être mensongers et traversés d'un humour à la fois ravageur et empreint de respect. Des compliments qui s'appliquent sans forcer à "Manabé Shima", portrait à hauteur d'homme d'une bourgade de pêcheurs. Succédant à "Tokyo Sanpo", plongée dans la tentaculaire et déjantée capitale japonaise parue il y a à peine plus d'un an, "Manabé Shima" procède d'un contraste forcément saisissant. Reste que ce qui frappe le plus, outre ses dessins acidulés (crayons de couleur obligent), c'est le souci du détail et la curiosité dont fait montre Florent Chavouet, capable qu'il est, entre une rencontre marquante et une échappée naturaliste, de reproduire au tabouret prêt les habitations où il a séjourné, de rapporter des techniques de pêche ou de décrire l'organisation de gangs de chats (!). Un chouette complément au "Routard" et à "Lonely Planet". Et aussi
Over Bleed – Tome 1 (Ki-oon) :
Dans le genre manga qui tabasse, "Over Bleed" se pose là. S'intéressant au milieu des combats clandestins par le prisme d'une paire de potes séparés par un pacte suicidaire, ce triptyque du duo 28Round pêche par sa «grossabotitude», mais compense largement par son intensité et sa fureur graphique. Batman – Silence (Panini) :
L'une des meilleures (més)aventures vécues par le justicier de Gotham ces dernières années, par l'intelligence de sa trame (Batman, fragilisé par le doute, y est confronté au gratin de ses antagonistes et à un mystérieux tireur de ficelles) et la la majesté iconique de sa mise en images. Par Jeph Loeb et le Jim Lee. Le Joueur (Soleil) : Adaptation, par Stéphane Miquel et Loïc Godard (Émile Cohl represent) du roman le plus autobiographique de Dostoïevski. Le démon du jeu et les intrigues de la bourgeoisie y sont, grâce à la déférence et au discernement du premier et à la fiévreuse virtuosité du second, plus enivrants que jamais. Supermarket (Milady Graphics) :
Pas l'œuvre la plus marquante de Brian Wood ("DMZ"), mais un bon polar urbain et polémique, qui voit la vie de Pella, jeune et riche banlieusarde d'une mégalopole bouffée par le fric, chamboulée le jour où ses parents sont assassinés en représailles d'un passé louche. Très pop, le dessin de Kristian Donaldson est parfaitement dans le ton. Sabu & Ichi – Tome 1 (Kana) :
Quarante ans et pas une ride pour les enquêtes féodales compilées dans ce pavé d'un millier de pages (trois autres suivront). Et pour cause : Shotaro Ishinomori fut un disciple du dieu du manga lui-même, Ozamu Tesuka. D'où un traitement visuel et narratif d'une modernité effarante. Indispensable.

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