Une faim de Lyon

Traiter du patrimoine en région, c’est évidemment avant tout se pencher sur Lyon, dont quatre des quartiers sont classés au patrimoine de l’UNESCO depuis seize ans. Histoire d’une mutation, celle d'une ville fanée qui a fini par mettre au jour ses joyaux architecturaux, au point d’attirer une denrée inconnue auparavant : les touristes. Nadja Pobel

En train de déchiffrer les noms du mur des écrivains, tentant de prononcer les termes "rosette" ou "beaujolais" sur le marché Saint-Antoine, prenant la pause en haut de la montée de la Grande Côte ou sur l’esplanade de Fourvière, scrutant l’une des onze nouvelles tables d’orientation flambant neuves : les touristes sont partout. Cela n’avait rien n’évident il y a encore vingt ans. S’il n’est pas question ici de dresser une hagiographie de la politique de Gérard Collomb, qui durant les treize dernières années a amplifié les événements gloutons de foule (de la Fête des Lumières à Nuits Sonores, sans compter les colloques professionnels) et rendu la rivière et le fleuve aux Lyonnais, force est de constater que l’édile a prolongé le geste amorcé par Raymond Barre en rendant à Lyon une partie de ses fastes. Car si la ville a changé, c’est d’abord au bénéfice de ses habitants, avant qu’elle ne devienne un produit de consommation culturelle markété (pas toujours très esthétiquement) par la marque Only Lyon imaginée par l’Office du Tourisme de Lyon - devenu habilement celui du Grand Lyon en 2010.

Renaissance Vieux-Lyon

Bien avant de figurer à l’UNESCO, Lyon a été, en 1964, la première ville française dont un secteur (Saint-Georges, Saint-Paul et Saint-Jean regroupés sous l’appellation Vieux-Lyon) a été protégé selon la loi du 4 août 1962 sur les secteurs sauvegardés, dite "loi Malraux". L’Etat ne protégeait jusqu’alors que des chefs-d’œuvre, pas des ensembles. Cette reconnaissance, portée par la RVL (Renaissance Vieux Lyon), voit d'ailleurs ses 50 ans fêtés cette année avec de nombreuses manifestations (voir ci-contre). À l’époque, elle tombait à point nommé : le quartier était en effet considéré comme «un ramassis de taudis tout juste bon pour l’équarisseur» par Edouard Herriot et promis au démolissage par son successeur Louis Pradel. Roi du béton, ce dernier voulait y faire passer une voie rapide pour prolonger le pont Maréchal Juin. Plus tard, la RVL obtint de haute lutte la mise en place d'une politique d’urbanisme nouvelle par Francisque Collomb, et ce dès son arrivée en mairie centrale en 1976, avec préemption d’immeubles n’ayant pas trouvé preneurs au profit des HLM, la piétonisation de la rue Saint-Jean (1979) ou l’ouverture de la station de métro éponyme et les "conventions cours-traboules" (1991). Aujourd’hui, plus de mille logements ont été rénovés et les Lyonnais convient naturellement leurs visiteurs à arpenter les contreforts de Fourvière pour y découvrir un condensé de l’histoire de la ville.

UNESCO, le Graal

C’est donc assez naturellement que, lorsqu’est envisagé, entre autres par Régis Neyret, un des présidents de la RVL, de prétendre à une inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, le Vieux-Lyon est mis en avant. Nous sommes alors en 1995, le maire centriste Raymond Barre vient de succéder à Michel Noir, qui durant son mandat avait notamment mis en lumière les bâtiments emblématiques de la ville (universités, Hôtel-Dieu, mairie…). Publicitaire, Denis Trouxe récupère le portefeuille du patrimoine et de la culture et la tâche de mener à bien cette demande de classement, dans l’air depuis déjà très longtemps. Dès leur arrivée à Lyon, les experts de l’UNESCO préconisent, à la surprise générale, de classer une zone plus large, d’une part car «l’habitat médiéval du Vieux-Lyon entrait en concurrence avec de nombreuses villes italiennes», mais surtout car Lyon présentait, selon eux, un témoignage exceptionnel de la continuité d'une installation urbaine sur plus de deux millénaires. Les agrandissements n’ont pas entraîné de destruction ; les usines ont été érigées à l'écart, à Villeurbanne ou sur la rive gauche du Rhône, à la Mouche ou à Gerland ; l’architecture domestique, jamais ostentatoire, prime sur l’architecture monumentale ; les édifices publics de grande qualité se fondent dans un paysage assez similaire des bâtiments privés…

In fine, les 427 hectares classés (en France, seule Bordeaux fait mieux avec son port de la Lune), autrement dit 10% de la surface de la cité, correspondent aux limites qui ont été celles de la ville jusqu’à la Révolution française. Il s'agit, comme le rappelle Denis Trouxe, «des contours tracés par les frontières naturelles de Lyon, le Rhône et la Saône, les collines mais aussi les anciens remparts d’Ainay et du boulevard de la Croix-Rousse» : soit le Vieux-Lyon bien sûr, mais aussi Fourvière, la Croix-Rousse et la Presqu’île. Denis Trouxe se souvient de l'incrédulité des Lyonnais au moment où l’UNESCO a acté cette inscription, en 1998 : «ils étaient – comment souvent en province – dans l’auto-flagellation. Ils n’imaginaient pas leur vieille ville si belle et la vendaient alors en fonction du temps que l’on mettait à la quitter : à 4h de la mer, 2h de la montagne…». Lyon rejoint ainsi les quatre sites urbains classés avant elle : Venise, Prague, Porto et Saint-Pétersbourg. Excusez du peu. «D’un seul coup, les tour opérators ont inscrit Lyon à leur programme. On ne s’y arrête plus juste pour manger le midi en allant à Nice ou Chamonix. Aujourd’hui, on y dort» renchérit Trouxe. A tel point que six millions de touristes font désormais escale à Lyon chaque année. 54% sont de nationalité étrangère contre 22% en 2004 - des Allemands, des Espagnols, des Italiens et même des Canadiens depuis peu (les Américains représentant au total 41% des touristes étrangers). C'est toutefois le tourisme d’affaires qui s'est développé avant le tourisme de loisir et les congressistes sont devenus si nombreux à privilégier Lyon que la ville est passée du 70e au 25e rang mondial en la matière : «Lyon et ses seulement 460 000 habitants sont placés devant Chicago, Sydney et San Francisco !», s'exclame Denis Trouxe.

Rehab’

Bien sûr, les touristes bousculent voire envahissent les Lyonnais. Les transports, à commencer par le très contestable Rhonexpress, ont plus été pensés pour les travailleurs internationaux aisés que pour l'habitant lambda. Mais cette reconnaissance de l’UNESCO a aussi obligé la ville à soigner ses apparences. Des projets de rénovations sont constamment en cours. La fontaine des Jacobins, la basilique de Fourvière, le Grand temple, l’église Sainte-Irénée ont ainsi retrouvé leur jeunesse, tandis que la primatiale Saint-Jean, le palais Saint-Jean attenant et le palais Bondy sont, entre autres, en train d’être réhabilités. La fontaine Bartholdi de la place des Terreaux est aussi sur les rangs. L’Hôtel-Dieu est de son côté amené, si les investisseurs suivent, à devenir une résidence de luxe pour happy few, là où la médecine pour tous connut de grandes heures de son histoire. La place Bellecour perd elle peu à peu ses librairies (les Nouveautés, Chapitre…) mais compte toujours plus de visiteurs (+ 12% de fréquentation des visites guidées individuelles en 2011 par rapport à 2010) au pied de la fière statue de Louis XIV.

Quant à la formule TBC de Denis Trouxe, pour "traboule/bourgeoisie/cuisine", elle reste la base du voyageur mais s’est étoffée, ne serait-ce que parce que la soierie et les canuts ainsi que la gastronomie ont depuis été inscrits au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Surtout l’émerveillement ne faiblit pas. Il suffit, par exemple, de traverser le pont de la Feuillée pour voir un peu d’Italie et d’Espagne se condenser sous nos yeux. «La commission de l’UNESCO et nous n’avons été que des metteurs en scène d’un produit que nous n’avons pas fabriqué. La pièce a été faite par les Lyonnais et leur histoire au fil des siècles» résume Denis Trouxe, rendant aux lyonnais ce qui fut presque à César. «Nous avons été de bons directeurs et de bons acteurs jouant un chef d’œuvre que nous n’avons pas écrit».

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