"Aurore" : Agnès Jaoui donne émotion et fantaisie

Aurore
De Blandine Lenoir (Fr, 1h29) avec Agnès Jaoui, Thibault de Montalembert...

Le Film de la Semaine / Portrait d’une femme à la croisée des émotions et de la vie, cette comédie culottée sur la ménopause brise réellement les règles. Interprète du rôle-titre, Agnès Jaoui donne émotion et fantaisie à ce grand-huit émotionnel, usant de son superbe naturel. Tendre et drôle.

Aurore a la cinquantaine et les hormones en panique. Et quand son aînée lui annonce qu’elle est enceinte, sa cadette son désir d’arrêter ses études, son nouveau patron ses délires jeunistes, la coupe déborde. Au milieu de ce chaos surgit alors un fantôme de son passé : son premier amour.

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Heureusement que des actrices comme Agnès Jaoui existent dans la galaxie souvent monochrome du cinéma français pour épouser la figure de la normalité à l’écran. Pour donner une silhouette, un corps et un visage à un personnage féminin irréductible à une seule caractéristique physique ou psychologique ; pour accepter d’être ce qu’elles sont, et non entretenir un paraître pathétique. À ces comédiennes qui s’offrent “nues” à la caméra — non sans vêtement, mais dans la vérité de leur âge et la pureté d’un jeu dépourvu d’afféterie, il convient de manifester avant toute chose un maximum de gratitude. Car on peut parier que sans la conjonction du talent et de la notoriété d’Agnès Jaoui, Aurore n’aurait pas vu le jour.

Du genre tout public

Film funambule, Aurore se joue de la gravité de son sujet avec une remarquable adresse. Loin de ne s’adresser qu’à une moitié du public, il parle de la féminité, de ses petits et grands tracas et de ses mystères évolutifs à chacun… et à chacune. Blandine Lenoir dédramatise en effet cette puberté à l’envers, montrant à quel point certaines femmes en connaissent mal les mécanismes et les effets — c’est le propre d’un tabou.

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Et si elle s’/nous amuse avec les clichés sur les bouffées de chaleur ou les variations d’humeur de son héroïne, elles les met en parallèle avec les réactions sinusoïdales de la fille d’Aurore attendant son premier enfant : la ménopause n’est pas une fin, mais le commencement d’une nouvelle étape. Quel contraste avec cette époque pas si lointaine — rappelée par Françoise Héritier dans un document édifiant intégré dans le film — où la femme était au mieux considérée comme supplétif de son “seigneur et maître” !

Tournant autant en dérision les comportements machistes rétrogrades que les paradoxales lois de l’attraction, cette comédie légère et profonde réussit enfin haut la main le test de Bechdel. C’est si peu fréquent que l’on s’en rend compte en voyant la scène qui le valide. Il y a encore du boulot, les gars… et les filles.


Agnès Jaoui : « plus on montrera des femmes normales, plus on les acceptera »

Agnès Jaoui et sa réalisatrice Blandine Lenoir ont fait belle impression aux Rencontres du Sud d’Avignon, où elles ont présenté en primeur Aurore, une comédie insolite sur la ménopause et contre la tyrannie des apparences.

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Aurore aborde un sujet concernant les femmes de plus de cinquante ans, et sort justement au moment où l’on parle de la difficulté des actrices de cet âge de se voir confier des rôles…
Agnès Jaoui
: Le cinéma reflète peu ou prou la société civile, où les femmes ont moins de postes importants. Si on écrit un rôle de chirurgien ou de commissaire, de personnalité politique, on ne va pas forcément penser à une femme, alors que ça pourrait être simplement le cas. Souvent, on va se sentir obligé de faire en sorte que ça devienne un sujet en soi.

Ce que je trouve aussi très énervant, c’est que les acteurs masculins de 40 à 70 ans ont souvent des épouses ayant 20 ou 30 ans de moins qu’eux, et que plein de femmes se battent pour eux alors qu’ils sont vieux et bedonnants. Ça m’irrite profondément parce que dans la vie, Dieu merci, beaucoup d’hommes de 50 ans et plus sont avec des femmes de leur âge parce qu’ils les aiment.

Bizarrement, quand on passe au cinéma, elles perdent 20 ans — et 20 kg en général (rires). D’ailleurs, il y a aussi des femmes qui font du cinéma qui tombent dans le même “piège”. Cela fait partie de notre colonisation mentale, de notre acceptation sournoise et inconsciente de l’inégalité entre les hommes et les femmes de nos jours. Même s’il y a des avancées.

Toutes les actrices n’auraient pas accepté ce rôle…
Peut-être… Je n’en sais rien. Certaines, en tout cas, pendant assez longtemps ne sont même pas mamans parce qu’elle savent (ou pressentent) qu’il faut rester un fantasme. En devenant mères, on perd un peu de potentiel fantasmagorique. Et puis surtout, beaucoup de mes consœurs sont beaucoup plus jeunes que moi maintenant (sourire). Parce qu’elles ne vieillissent pas. Mais je les comprends : si un producteur cherche un rôle de 40 ans et que vous en avez 44, ça va être difficile, alors que si vous en avez 32, il n’y a aucun problème. Alors 50, 51, 52… c’est carrément affreux !

Le fait de réaliser vos films vous libère-t-il de toutes ces contraintes ?
Pas de toutes, mais de beaucoup. Je subis comme tout le monde le pouvoir de l’image qui est extrêmement important. Je ne vois que des femmes sans rides, jeunes. Et lorsque je me regarde après, je me dis : « Merde ! C’est pas beau, je ne suis pas belle, il faut faire quelque chose ! » C’est pour ça que des films comme celui de Blandine [Lenoir, NDLR] sont importants. Plus on montrera des femmes normales, plus on les aimera et on les acceptera.

Votre personnage manifeste une opinion tranchée par rapport à la chirurgie esthétique…
Quand les femmes sont refaites, on est d’une cruauté terrible — je dis “on”, car c’est autant valable pour les femmes que les hommes. Et quand on n’est pas refaite, on est aussi atroce en disant : « Qu’est-ce qu’elle est tapé, elle a pris cher ! » Quelle est la solution, si ce n’est… montrer ? Heureusement, il y a des tas de femmes et d’hommes qui s’en foutent. Parce que c’est autre chose que l’apparence physique qui nourrit.

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