Yann Cucherat : « on prélèvera 4% des subventions accordées aux institutions pour les redistribuer aux petites structures »

Élections Municipales 2020 / Second volet de nos entretiens consacrés à la campagne pour les Municipales à Lyon, avec cette fois Yann Cucherat, l'actuel adjoint aux Sports et aux Grands Événements, qui nous détaille le programme culturel qu'il mettrait en application pour les six années à venir s'il était élu maire. Arrivé en troisième position avec 14, 92 % des voix au premier tour, le candidat s'est depuis vu retirer l'étiquette LREM pour cause d'alliance avec Les Républicains d'Étienne Blanc, négociée par son mentor Gérard Collomb. 

Qui sera votre adjoint ou adjointe à la Culture si vous êtes élu ?
Yann Cucherat :
Ce n’est pas acté. On a un programme commun à partager, à diffuser aux Lyonnais et aux Lyonnaises, nous n'en sommes pas à réfléchir à qui sera dans l’exécutif, qui portera telle ou telle délégation. C’est important pour nous de ne pas distribuer les postes maintenant et d’être rassemblés autour d’un projet. Dans toutes les discussions que nous avons eues, on n’a jamais parlé de poste — mais uniquement de l’intérêt à porter ce projet ambitieux, en lien avec le contexte que l’on connaît actuellement.

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Ce qui peut s’entendre sur plusieurs délégations. Mais la culture est particulièrement en crise en ce moment : savoir qui sera l’adjoint couvrant ce secteur dans quelques jours est une décision très attendue par les acteurs culturels.
Dans mes équipes, il y a des gens de grande qualité qui pourraient prendre cette responsabilité à bras le corps dès le lendemain des élections. Par respect pour le travail d’équipe actuellement mené, nous n’avons pas identifié une personne. Mais j’ai en tête plusieurs noms, qui pourraient être de très bons adjoints à la Culture.

Un plan d'urgence à 5M€ pour la culture

Ce secteur connaissait déjà des difficultés de manière structurelle, beaucoup aujourd’hui sont en danger et pas n’importe qui, puisque l’on parle aussi de la Maison de la Danse ou de Arty Farty. Est-ce qu'un plan d’action a déjà été préparé par vos équipes et vous-même pour répondre à cette situation d’urgence ?
On a évidemment réfléchi à un plan d’action pour la culture, et plus généralement pour le monde économique et associatif. L’un des objectifs est de ne laisser personne sur le bord de la route après cette crise sanitaire qui est en train de se transformer en une crise économique majeure. Pour l’instant, on la touche à peine du doigt, elle va s’accentuer progressivement. C’est le socle de notre programme : essayer d’accompagner les Lyonnais et les Lyonnaises qui sont le plus en difficulté.

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Pour ce qui concerne le milieu culturel, auquel je suis attaché puisque j’ai porté sur ce dernier mandat la politique événementielle en lien avec beaucoup d’acteurs du secteur, j’avais déjà pu cerner un certain nombre de difficultés au préalable, auxquelles on a essayé de répondre. Mais il est évident qu’il faudra aller beaucoup plus loin.

Plusieurs choses ont déjà pu être mises en place. Par exemple, Tout l’Monde Dehors, avec beaucoup de petites compagnies et d'artistes qui d’habitude jouent durant tout l’été sur ces scènes gratuites : on a décidé de les accompagner financièrement et de maintenir les subventions initialement accordées, même s’ils n’étaient pas en capacité de jouer. C’est une mesure très concrète, montrant notre volonté de continuer à accompagner ceux qui sont le plus en difficulté.

À côté de ça, il y aura des fonds nationaux et européens qui vont être mis en place et sur lesquels il faudra s’appuyer pour accompagner ces structures. Nous avons envisagé deux choses à l’échelle de la Ville de Lyon : d’abord débloquer 5M€ pour accompagner les compagnies et les structures les plus en difficulté. Toutes ces structures, comme Arty Farty que vous avez cité, qu’elles soient indépendantes ou pas, petites ou grandes, embauchent des gens et créent la dynamique de notre territoire. Il est essentiel de les préserver. Car s’il y a bien un secteur impacté, c’est celui de la culture. On débloquera en urgence ces 5M€, budget qui nous semble réaliste — nous ne sommes pas dans un concours de chiffre. S’il fallait un peu plus on trouverait des solutions, s’il fallait un peu moins on s’adapterait aussi.

La deuxième chose que l’on envisage, c’est ce que j’ai fait quand j’étais adjoint aux Sports : j’avais enlevé une partie des subventions aux plus grands clubs pour les redistribuer aux plus petites structures. C’est ce que l’on envisage de faire avec les grandes institutions culturelles qui sont accompagnées — non pas trop, car si elles le sont à cette hauteur-là, c’est qu’il y a des besoins réels et qu'elles font le rayonnement de la ville et son intérêt culturel. Mais on leur prélèvera 4% des subventions qui leur sont accordées pour les redistribuer à de plus petites structures sous la forme d’appels à projets. L’objectif est de permettre à des structures lyonnaises de se produire sur des scènes locales : avec ces 4% que l’on pourrait retirer sur les grandes institutions qui sont moins en difficulté que les plus petites, on pourrait recréer une dynamique positive pour nos structures locales. On mettrait en place un jury pour cet appel à projets, pour que ce soit clair et efficace, avec l’adjoint à la Culture et les adjoints d’arrondissement, mais il y aurait aussi des gens de la DRAC, et on pourrait imaginer qu’un journaliste ou d’autres institutions qui ont pignon sur rue puissent participer à ce jury pour trouver les compagnies à mettre en lumière.

C’est quelque chose que l’on veut vraiment développer, qui a fonctionné, qui a installé un cercle vertueux en matière de politique sportive avec des grandes institutions comme l’OL, le LOU, l’ASVEL qui sont décriées parce qu’elles ont beaucoup d’argent… Moi, je n’oppose jamais les grandes institutions ou les grands clubs sportifs aux plus petites structures. Elles sont complémentaires. Comment créer du lien et des passerelles entre ces acteurs-là ? Je pense que dans ce moment particulier, avec ce besoin de solidarité, il faut trouver des leviers qui permettent à cette dynamique culturelle locale de pouvoir continuer à vivre, jouer, rayonner et toucher les gens.

4% pour l’année 2021 ou bien chaque année pendant la durée du mandat ?
On partirait sur la durée du mandat. Ce n’est pas une aide ponctuelle, c’est quelque chose que l’on veut installer dans le temps. Ce qui ne veut pas dire que ces grandes institutions ne pourraient pas voir aussi leur budget évoluer en fonction soit des contraintes, soit des besoins. L’idée n’est pas d’opposer. Mais de trouver des compléments intelligents entre tout ce qui fait culture. Que tout le monde y ait accès : que l’on ne soit pas obligé d’aller à l’Opéra, à l’Auditorium ou aux Célestins pour être sensibilisé à la chose culturelle. Que l’on puisse avoir avec d’autres structures une approche différente.

Au premier tour, vous aviez annoncé une sanctuarisation du budget actuel de la culture : est-ce toujours d’actualité malgré la crise économique ?
Oui, je confirme. Sanctuarisation du budget. Plus 5M€. Pour différentes raisons : la première, c’est qu’on a la chance d’avoir une ville plutôt bien gérée. Avec une capacité d’investissement aujourd’hui conséquente, à peu près un milliard d’euros sur le prochain mandat. Ce qui n’est pas rien, sans augmenter les impôts. On va jouer sur la bonne santé financière de la Ville pour pouvoir accompagner cette crise et notamment ceux qui en ont le plus besoin. Il est évident que si la crise sanitaire venait à se prolonger trop longtemps, il faudrait réinventer les choses. Gouverner, c’est s’adapter. Notre rôle premier est de protéger les Lyonnais et les Lyonnaises dans toutes les dimensions, à tous les moments de leur vie, et le pan culturel qui est un axe majeur de notre ville, de son dynamisme mais aussi de son rayonnement, doit aussi l’être.

Puisque l’on parle de rayonnement… Un sujet s’est invité dans la campagne dès le premier tour : la Fête des Lumières. Faut-il la remodeler ? Second sujet, lié : vous désiriez aller encore plus loin en créant une Maison de la Lumière pérenne, dans un lieu qui pourrait être le Palais Saint-Jean, le bâtiment de La Poste place Antonin Poncet ou encore un ancien entrepôt TCL…
Ce sont deux questions différentes. Il y a tout d’abord cette Fête des Lumières qui n’est pas simplement une mise en lumière de la ville pendant quatre jours. Il faut bien avoir en tête son esprit originel, qui est la fin d’une pandémie, un remerciement spontané des Lyonnais et des Lyonnaises qui ont allumé des bougies dans une grande solidarité. Depuis trois ans que je la porte, j’ai essayé de renouer avec le lumignon originel, pour que justement elle garde son rayonnement international qui fait sens et je vais expliquer pourquoi. Mais qu’elle reste aussi proche des habitants : c’est pour ça que l'an dernier "Rivière de Lumières", sur la Saône, était une œuvre que j’ai portée à bout de bras, qui a été très difficile à mettre en place ; il y avait quelque chose de très doux, poétique, simple. On était dans la sobriété. C’est essentiel que la Fête des Lumières garde cette identité en lien avec le lumignon.

Au-delà de ça, dans un contexte difficile, la Fête des Lumières fait travailler des artistes de tous bords, des techniciens. On dépasse le milieu culturel en travaillant aussi avec des vanniers. Des designers, des urbanistes. Toute l’année, elle crée des ponts avec le monde entier. Et ça pour moi c’est important parce que Lyon, c’est une ville de tradition humaniste, ouverte sur le monde. Elle a toujours été accueillante, pris soin de ceux qui la font vivre au quotidien, mais si elle n’a pas son ouverture sur le monde elle va perdre ça… La Fête des Lumières pendant toute l’année est un vecteur incroyable de lien avec les plus grandes villes du monde et c’est très important de le dire : si pendant cette crise sanitaire on a réussi plus rapidement que d’autres à aller chercher des masques, avec la Chine ou le Japon, c’est parce qu’on a des ponts forts avec certaines villes avec qui on a tissé des liens grâce à la Fête des Lumières.

Quand on fait des voyages promotionnels dans le monde entier, les gens nous reconnaissent par ce festival qui est le plus grand festival de lumières de la planète. On est copiés et recopiés, il y a un savoir-faire qui est diffusé à l’international sur l’artistique : ceux qui se produisent à la Fête des Lumières peuvent ensuite se produire dans le monde entier, vendent leurs œuvres aux plus grands festivals — parce qu’ils sont d’abord venus à Lyon. Derrière, on crée ces passerelles économiques et diplomatiques.

Quand on a 250 000 nuitées supplémentaires sur le territoire, pour l’hôtellerie, les commerces, les bars : c’est un pan considérable de leur économie. Il faut prendre en compte toutes les dimensions de cette Fête des Lumières ! Bien sûr, elle est maintenant plus concentrée sur le centre-ville, mais c’est une contrainte à laquelle on est obligé de faire face à cause des normes de sécurité. Si l’on avait pu continuer à jouer à l’échelle de tous les arrondissements, on le ferait. Je veux lui redonner ce côté traditionnel et on a dû commencer à y travailler avant ces élections, car il fallait lancer les appels à projets pour que les artistes se préparent. Vous verrez qu’il y aura une dimension très sobre autour du lumignon. Mais en gardant ce côté féérique, où les gens s’émerveillent devant une œuvre, parce que l’on magnifie l’architecture, parce qu’on redonne vie à un pont, parce que l’on raconte une histoire avec la lumière qui est devenue un matériau de création. Je souhaite renforcer cette dimension-là, mais en restant toujours ingénieux.

Création d'un Pavillon de la Lumière

Concernant la deuxième partie de ma réponse : nous voulons un lieu dédié à la lumière. Que l’on appellera Pavillon Lumière ou autre, je ne sais pas encore. Qui fait sens avec la politique culturelle et événementielle que je souhaite porter à la Ville de Lyon : un événement ne doit pas uniquement se jouer sur une journée ou un week-end. Il doit aussi permettre d’avoir une dimension culturelle toute l’année. Pour la Fête des Lumières, c’est la même chose. Après le cinéma, la gastronomie, on a les lumières qui sont un marqueur très fort de notre territoire. Il faut que les gens qui viennent consommer positivement dans notre ville, les touristes, les familles, il faut qu’on leur montre tout ce savoir-faire lyonnais : la lumière doit avoir un lieu dédié. Où l’on pourrait faire des rétrospectives de la Fête des Lumières, présenter l’édition qui va arriver, qui pourrait raconter l’histoire traditionnelle de cette Fête, être un lieu de recherches et d’innovations avec des artistes qui pourraient croiser leur savoir-faire. On pourrait aussi y associer le Club des Partenaires, un pan important du modèle économique de la Ville de Lyon, où pouvoirs publics et privés se sont toujours accordés pour porter des projets de grande qualité. C’est essentiel et je souhaite le faire sortir de terre sur le prochain mandat, ce lieu totem.

Je souhaite aussi que l’on revienne à quelque chose qui a existé au début des années 2000 : la semaine lyonnaise culturelle. Qui permettrait à chaque fois que l’on fait un déplacement, pendant une semaine, sur place, qu’il se passe quelque chose en lien avec les acteurs culturels locaux dans le pays que l’on irait visiter. On pourrait y amener des compagnies culturelles, qui seraient des marqueurs de notre savoir-faire dans n’importe quel domaine : arts plastiques, musique, théâtre, poésie, photographie… Et qu’ils soient des relais de la dynamique culturelle de notre territoire, comme le sont les grands acteurs privés qui nous accompagnent habituellement.

Une des choses qui a pu être reprochée à la précédente mandature, c’est une politique culturelle trop axée sur l’événementiel…
Oui, je suis d’accord.

Vous avez parlé de rayonnement, d’attractivité, et de l’importance de lier une politique culturelle à une action à l’année. Quelle est le bon équilibre entre attractivité et action culturelle sur le territoire, voire création d’écosystème ?
On veut un événementiel qui ne soit pas que grand public, pas juste fait pour les flux de masse type Fête des Lumières. Ce n’est pas du tout dans cet esprit-là que l’on conçoit la politique culturelle locale : on veut de l’événementiel toute l’année, mais en lien avec les compagnies, avec les tiers-lieux que l’on souhaite mettre à disposition, pour que les artistes puissent venir jouer dans des lieux différents de ceux où ils jouent traditionnellement.

On veut que la culture s’ouvre à nos habitants qui n’y ont pas forcément accès ou qui n’y vont pas spontanément. C’est pour ça que l’on imagine faire un certain nombre de résidences, dans les écoles, comme nous l’avons évoqué avant le premier tour, et l'on pense aussi aux résidences senior. Cet événementiel que je souhaite n’est pas uniquement axé autour des grands festivals comme Quais du Polar, Lyon BD Festival ou la Biennale de la Danse. Ce sont des marqueurs forts, mais la culture se joue tous les jours, partout. La différence que j’aurais avec mes adversaires politiques du moment : les Lyonnais doivent être acteurs de cette culture-là. Je veux qu’on les initie, qu’ils la touchent du doigt. Je veux favoriser les liens entre ceux qui la pratiquent, ceux qui en ont fait un métier ou une passion, et des gens plus éloignés. On va y travailler avec des tiers-lieux, on en a déjà identifié quelques-uns, pour jouer ou pour des résidences. Mais on va aussi utiliser la rue, avec les nouvelles modes comme les graffs, toute cette culture contemporaine qui peut habiter des lieux de manière éphémère, pour laquelle on va mettre à disposition des friches.

Il est très important aussi que l’on trouve des lieux pour nos structures. Pour des petites compagnies ou autre, il y a des petites salles que l’on pourrait mettre à disposition. La bibliothèque de la Part-Dieu pourrait être réaménagée : on pourrait y trouver un esprit différent, où l’on ne vient pas seulement récupérer des livres et consommer de la lecture, on pourrait aussi venir y découvrir une autre forme artistique, dans ces grands espaces. Ce sera un enjeu majeur après ces élections : aller identifier un certain nombre de lieux qui sont soit existants, soit que l’on pourrait créer dans des opérations urbanistiques, pour avoir plusieurs lieux dédiés à la pratique culturelle.

Par contre, là où je trouve que nous avons de la place, c’est dans nos écoles. L’éducation, c’est essentiel. Si je veux ouvrir les adultes de demain à un monde différent, à une autre approche culturelle, à avoir une certaine sensibilité à la fibre artistique, il est important que l’on touche les enfants au cœur. Et avoir dans nos écoles des résidences — il y a eu des exemples concrets avec des danseuses qui venaient jouer, s’entraîner, répéter et étaient en contact avec les enfants pendant plusieurs années — ça fait sens. Dans un autre pan de mon programme, je souhaite que les enfants aillent faire des classes environnementales pour être sensibilisés aux enjeux de la biodiversité : je suis exactement sur le même registre sur le plan culturel. Il faut que l’on arrive à faire pénétrer la culture d’une autre manière dans nos écoles, sur les temps scolaires ou périscolaires.

Juliette De Oliveira (candidate dans le 5e arrondissement et conseillère culture de Yann Cucherat durant la campagne) : C’est un dispositif qui existait déjà et qui s’appellait "Enfance, Art et Langage", qui met en place des artistes pour des résidences longue durée sur plusieurs années, où ceux-ci viennent une fois par semaine dans les maternelles et proposent des activités autour de leur art.

Les quais flottants d'Étienne Blanc repris

C’est une vision positive des tiers-lieux et de l’urbanisme transitoire, comme annoncé au début de la campagne. Mais vous parlez aussi de création de lieux pérennes, désormais.
Yann Cucherat : On a repris une idée des équipes d'Étienne Blanc, avec les quais flottants. Qui sont pour nous un projet structurant où l’on pourra créer du foncier, qui aura différentes vocations : installer des commerces de proximité sur des coûts que l’on maîtriserait, mettre de l’artisanat et des créateurs, des associations. Lesquelles pourraient avoir des lieux ouverts aux gens qui viendraient s’y balader, parce que ce seront des lieux de vie. Un des axes majeurs de la politique que je souhaite mener, c’est le lien. En culture, c’est ce qui prime avant tout : le lien que tu noues avec l’Autre, celui qui regarde l’œuvre, la scène. Quel lien tu crées avec le public ? C’est dans mon ADN.

Quels futurs tiers-lieux avez-vous déjà identifiés ?
Juliette De Oliveira :
La Robinetterie dans le 8e arrondissement. Et l’ancien site Tissot, qui serait réhabilité pour faire des résidences d’artistes pérennes. Nous voulons en faire des lieux dédiés à la culture.

Lors d’une rencontre avant le premier tour, vous me disiez qu’il était très important qu’une ville se construise avec des lieux respectant leur histoire et leurs racines, et que vous étiez contre la vente de l’ancienne École des Beaux-Arts, prévue par Gérard Collomb, qu’il y avait peut-être quelque chose à inventer sur cet espace ?
Yann Cucherat :
Je suis d’accord. Il y a beaucoup de lieux comme ça… mais il faut faire attention à ne pas trop se précipiter. Pour l’ancienne École des Beaux-Arts, comme pour d’autres sites, parfois il y a nécessité de les mettre à disposition d’un tiers quand on n’est pas en capacité de faire en sorte que ce lieu vive et soit entretenu, que la production soit de qualité dedans. Je suis très prudent sur le fait de dire « il faut garder » ou au contraire « il faut s’en séparer ». Ce sont des choses qui s’étudient avec des gens experts en la matière. Ça vaut pour l’ancienne École des Beaux-Arts.

Vous avez évoqué au détour d’une réponse la bibliothèque de la Part-Dieu. Quelle est la politique que vous envisagez pour la lecture à Lyon ?
Yann Cucherat : Première chose, on a la chance d’avoir une offre de bibliothèques de qualité à l’échelle de la ville. Dans chaque arrondissement il y a au moins une bibliothèque. On veut retravailler sur les horaires d’ouverture. C’est important, même si on ne diffère pas beaucoup des autres candidats sur ce point. En se calant plutôt sur les horaires des bureaux universitaires, car derrière, on doit pouvoir avoir un lieu où l’on puisse faire des recherches.

La seconde chose, c’est que l’on a un réseau du livre qui est conséquent. Il est très important que l’on puisse avoir un service métropolitain sur lequel l’offre lyonnaise puisse irriguer un certain nombre de villes autour. C’est essentiel. Quand on est la ville-centre, il faut des passerelles qui se créent avec les autres.

Enfin, les bus qui vont dans les quartiers populaires permettent l’accès à la lecture et un accompagnement pédagogique pour les enfants : on envisage de redéployer quelque chose qui a existé à une période, de manière très visible, avec un bus dédié et des gens formés pour aller dans les quartiers populaires où lire n’est pas un réflexe spontané. Avec des ateliers de conteurs, de l’éducation populaire, pas juste une offre de prêt de livres. Quais du Polar, Lyon BD Festival : ils essayent toujours de s’ouvrir à autre chose : c’est ce que l’on doit faire.

Vous avez déclaré vouloir développer les arts numériques. Pour l’instant, ce sont différents acteurs de la ville qui sont un peu dans leur coin, comme des confettis éparpillés.
C’est très juste. J’ai été sensibilisé à ça pendant la Fête des Lumières, avec les différents artistes : j’ai compris qu’il y avait une expertise très forte en art numérique ici, qui n’était pas agrégée et ne rayonnait pas comme ce devrait être possible. Tous ceux qui arrivent ici à se faire reconnaître, ce sont ceux qui ont réussi à se fédérer. Les arts numériques ont le vent en poupe, répondent à une sensibilité innovante. Une forme artistique est en train de se développer, qui fait sens avec l’évolution de notre société : agréger ces différents acteurs autour d’un festival des arts numériques à Lyon pourrait faire écho à ce savoir-faire local. Ça pourrait devenir un autre marqueur fort de l’identité lyonnaise.

Un festival de la gastronomie

Vous avez aussi évoqué la création d’un festival de la gastronomie ?
Dans ma politique événementielle. Mais je ne veux pas que mon propos soit déformé en ne parlant que de "festivals". Ce festival de la gastronomie, sur lequel j’avais déjà réfléchi pendant ce mandat, est pour moi important. On a la Fête des Lumières en hiver, il nous faut un autre gros marqueur de la ville, qui ne soit pas hors-sol, et la gastronomie est essentielle. Il existe déjà beaucoup de choses : comment on les assemble pour que le temps d’un week-end, d’une semaine, les personnes autour de ce socle puissent créer un temps apaisé où les gens puissent se réapproprier l’espace public, déambuler, écouter de la musique, goûter des saveurs locales, s’initier au bien-manger, quelque chose qui dépasse le plaisir du goût et qui soit dans une dimension d’hygiène alimentaire ?

Ce qu’a essayé de faire Arty Farty avec le festival Attable…
Exactement. Pour différentes raisons, ça n’a pas été renouvelé, mais ça part de cette dimension-là, qui sur différents lieux a voulu mettre le produit et le goût au cœur d’un festival. J’avais adoré cette première édition à laquelle j’avais participé. Mais là, l’idée c’est vraiment de l’imaginer à l’échelle de la ville, avec tous les acteurs : on a de grands cuisiniers, on a autour tout ce qu’il faut en termes de produits. C’est toute une alchimie que je souhaite mettre en musique.

Un autre dossier urgent qui vous attend si vous êtes élu, c’est de pallier la retraite de Thierry Téodori, le directeur de la Halle Tony-Garnier. Avez-vous un projet pour cette salle et pour l'écosystème lyonnais ?
La Halle Tony-Garnier est un lieu emblématique. Les gens la connaissent dans le monde entier. J’ai pris plaisir à y vivre des émotions fortes. C’est magique. Aujourd’hui, il faut bien reconnaître que les salles culturelles doivent évoluer. La Halle Tony-Garnier devrait se moderniser pour continuer à accueillir des groupes de qualité. C’est obligatoirement en lien avec le projet de nouvelle salle voulue par l’Olympique Lyonnais. On doit le prendre en compte. Thierry Téodori a vraiment très bien géré ce site. Plusieurs scénarii ont été évoqués pour la suite. Six exactement, un premier où on laisserait la structure en l’état, un autre où ce serait vendu au secteur privé — avec des modèles différents situés entre ces deux-là. Plusieurs pistes sont possibles, le prochain exécutif décidera. Moi, je ne suis pas pour opposer les salles. La Halle Tony-Garnier, le Palais des Sports, demain la salle de Jean-Michel Aulas. Si les trois font la même chose ce ne sera bénéfique pour personne. Il faut une offre complémentaire. C’est un enjeu majeur pour le prochain maire, autour des scènes culturelles : tout de suite mettre tout le monde autour de la table. Ce qui ne s’est pas fait jusqu’à maintenant. Chacun y est allé de son projet personnel. On doit avoir une offre cohérente sur le territoire et c’est parce que les gens seront autour de la table que l’on pourra prendre la bonne décision pour la Halle Tony-Garnier. C’est un vrai regret que les gens concernés ne se soient pas parlés avant.

Comment voulez-vous faire évoluer le secteur de la danse, à l’heure de la construction des Ateliers ?
C’est quelque chose que j’ai suivi de près, Dominique Hervieu est quelqu’un que j’apprécie énormément. Elle m’a fait découvrir des scènes magnifiques à la Maison de la Danse. Ce projet des Ateliers de la Danse est un projet structurant majeur. C’est essentiel dans une ville comme Lyon qu’il y ait ce type d’ateliers, ouverts, qui permettent de créer, d’innover. Mais là, ils sont dans une difficulté… monstrueuse. Bien plus que d’autres institutions locales car leur budget tient sur la billetterie. La première urgence sera de trouver des solutions pour accompagner la Maison de la Danse. Au-delà du projet des Ateliers à Guimet, que j’accompagnerais sans retenue tellement je trouve le projet séduisant, il va aussi falloir trouver des solutions pérennes. Certainement qu’ils feront partie du dispositif d’accompagnement dont on a parlé.

Il va y avoir un changement à la tête du Théâtre de la Croix-Rousse à la fin de l’année. Et Julien Poncet, le directeur de la Comédie Odéon, porte de son côté l’idée d’un festival de théâtre qui pourrait venir en complément d’Avignon. Quelle est votre vision du théâtre à Lyon ?
On a rencontré la semaine dernière un jeune homme qui avant de se produire sur scène était dans la rue pour inciter les gens à venir le voir au Boui Boui, dans le Vieux-Lyon. Ça m’a touché car on se rend compte que ces petites structures ne sont pas suffisamment mises en lumière. Je le pense sans retenue. J’ai grandi autour du festival d’Avignon, j’ai eu l’occasion d’y aller de nombreuses fois, ce qui est touchant dans ce festival, ce que j’évoque depuis le début, c'est cette culture hors-les-murs qui s’invite sur la place publique. Qui va à la rencontre de non-initiés qui vivent les émotions. Moi qui ait cette sensibilité de par mon parcours sportif, de gymnaste, je le perçois tout de suite : le théâtre comme le cirque sont des arts accessibles au plus grand nombre. Sauf qu'au Boui Boui, une toute petite salle, si on n’a pas une sensibilité théâtrale au départ, on n’y va pas finalement. Comment leur donner plus de visibilité ? Plus de lieux d’expression ? Ça rejoint ce que l’on disait tout à l’heure : essayer de trouver des tiers-lieux pour leur donner de l’espace pour se produire. C’est ce que l’on évoquait aussi avec notre budget complémentaire de 4% prélevés sur les grandes institutions : c’est aussi pour faire bénéficier à ces petites compagnies de scènes dédiées. On pourrait imaginer qu'aux Célestins, sur ces fameux appels à projets, on détermine que telle ou telle compagnie puisse venir y jouer son spectacle car le jury en aurait décidé ainsi.

Et si demain il faut accompagner le théâtre d’un festival, ou d’un événement particulier, pour qu'il soit accessible plus facilement et hors-les-murs, il faudra le faire. Mais ce n’est pas moi qui doit prendre cette décision : ce sont ceux qui le vivent au quotidien. Mais le théâtre local n’est pas suffisamment valorisé dans ce qu’il produit et ce sera un axe très fort à travailler.

Vous voulez créer un nouveau lieu du côté de Ménival, mêlant les pratiques sportives et le cirque ?
Les arts circassiens sont la jonction parfaite entre sport et culture. Je l’ai démontré avec les Lions du Sport : j’ai fait venir un certains nombre de virgules artistiques, il y avait souvent du cirque tellement j’aime cet art-là. L’École du Cirque de Ménival est une école réputée. Des travaux sont en cours pour leur permettre d’avoir un lieu de plus grande qualité, mais ce n’est pas suffisant. Ça m’ennuierait profondément que cette école parte de Lyon. Aux Bâtières, je souhaite créer un équipement innovant où il y aura des espaces sportifs, une salle de boxe, une salle de judo, plusieurs petites salles multi-fonctionnelles pour des pratiques associatives, et des espaces dédiés à la culture et notamment pour l’École du Cirque de Ménival. Je sais pour avoir beaucoup d’amis dans ce milieu ce qu’il faut comme équipement et se produire : de la hauteur sous plafond, quelques structures, quelques tapis pour travailler en toute sécurité. Donc quitte à créer un équipement initialement sportif, il faut y associer la culture par le biais de cette jonction incroyable que sont les arts du cirque. Si je suis élu c’est un des premiers projets que je vais lancer tellement je le trouve séduisant. Il faudra l’affiner avec les acteurs, car je ne fais rien tout seul dans ma politique.

Le manque de places dans les MJC pour les pratiques amateurs est un sujet récurrent ces dernières années.
On a une difficulté qu’il ne faut pas cacher : aujourd’hui les MJC, les associations sportives sont souvent saturées car beaucoup de gens veulent y inscrire leurs enfants et elles ne sont pas en capacité d’accueillir tout le monde. Ce serait très démagogique de ma part de dire qu’on va tout solutionner du jour au lendemain. Ça fait six ans que j’y suis confronté pour les pratiques sportives et les gymnases, les associations voudraient plus de créneaux pour y accueillir plus d’enfants. Gérer une ville, c’est prendre en compte les nécessités et les capacités. Notre capacité à investir est conséquente. Mais est-ce que l’on décide de ne faire que des nouveaux équipements pour élargir l’offre et accueillir plus d’enfants ? Car en parallèle, il faut aussi que l’on rénove un parc vieillissant. Que ce soit les équipements sportifs, culturels, les MJC. Certains ont besoin de rénovation énergétique, ce qui est un axe fondamental du XXIe siècle, mais j’ai aussi des gymnases avec des ruptures d’exploitation régulières parce qu’il y a des fuites d’eau. Si je rénove, je ne peux pas créer de nouvelles structures. Il faut trouver le juste équilibre. Donc on a décidé sur le prochain mandat de rénover, beaucoup : 100M€ seront investis dans la rénovation de nos équipements, écoles, lieux culturels, MJC. Il faudra imaginer des tiers-lieux, préempter parfois un rez-de-chaussée auprès d’un promoteur immobilier, plutôt que créer de nouvelles MJC.

Vous êtes alliés pour ce second tour avec Étienne Blanc et Les Républicains. Qui, lorsque Laurent Wauquiez est arrivé à la Région, ont opéré plusieurs coupes de subventions en particulier sur des festivals LGBTI comme Écrans Mixtes — même si cette dernière a été rétablie cette année par Florence Verney-Carron. Est-ce que vous avez discuté de cette question avec Étienne Blanc ? Est-ce qu’un festival comme Écrans Mixtes par exemple peut être inquiet de cette alliance ?
Avec Étienne Blanc, j’ai rencontré une personne que je ne connaissais pas avant la campagne. Quelqu’un de respectueux et à l’écoute. On n’a eu aucun mal à s’entendre sur la fusion de nos projets, en essayant d’extraire ce qu’il y avait de mieux chez l’un et chez l’autre. Durant tout ce mandat, j’ai accompagné un certain nombre d’événements comme Écrans Mixtes que vous avez cité, mais surtout des événements sportifs en lien avec Tigali par exemple, toujours autour d’un public LGBTI mais très ouvert finalement à tous les publics. À aucun moment ce sujet n’est venu sur la table comme pouvant être en rupture de notre rassemblement. Je me suis engagé pendant six ans à accompagner ces manifestations, je peux vous garantir sans retenue que je continuerais et que même je l’améliorerais à chaque fois que ce sera possible, parce que dans une ville de Lyon, de tradition humaniste, ouverte sur l’Autre, qui accepte les différences, on doit aussi permettre de mieux cohabiter et de mieux comprendre les différences des uns et des autres : ces événements sont des marqueurs essentiels pour répondre à cet enjeu.

Voyez-vous la vie nocturne en lien avec la culture ? Avez-vous envisagé la création d’un poste de maire de la nuit ?
C’est intéressant, c’est vrai. J’ai abordé ce sujet, pas sous le spectre du maire de la nuit, mais plutôt sur l'équilibre entre gens qui font la fête la nuit et riverains. Cet équilibre est essentiel et déterminant. Le Vieux-Lyon, avec une vie nocturne qui peut parfois être excessive — pas tout le temps —, a des problèmes de cohabitation non négligeables. Je n’oppose pas jour et nuit, mais ce sont des moments particuliers, il faut que chaque public puisse s’y retrouver. On a travaillé énormément là-dessus, sur la Charte de la vie nocturne avec les établissements, pour qu’il y ait une qualité de vie adaptée à ceux qui dorment et travaillent le lendemain. Beaucoup d’établissements l’ont signée. Je pense qu’il faut aller plus loin. Je fais un événement qui s’appelle Re Lyon Nous, où les gens font une balade non chronométrée, avec des haltes culturelles. J’ai inscrit dans mon programme la volonté d’en faire une édition nocturne pour traverser par exemple des musées la nuit. Car je trouve que Lyon est merveilleuse de nuit, elle est encore plus belle. On a un savoir-faire des techniciens de la ville en matière d’éclairage urbain pérenne exceptionnel. Donc avoir une vie nocturne culturelle, artistique, poétique, j’y souscris sans retenue.


Pour réécouter le débat sur la culture organisé par Le Petit Bulletin et Rue89Lyon avant le premier tour :

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