article publi-rédactionnels
Au Point du Jour, jouer pour déjouer les mensonges
Par Nadja Pobel
Publié Jeudi 8 octobre 2020 - 3282 lectures
Photo : © Jean-Louis Fernandez
Théâtre / Pour leur première création au sein du théâtre qu’ils dirigent depuis presque deux ans, Angélique Clairand et Éric Massé ont fait de l’écriture assez fade de Philippe Besson une pièce de théâtre sage.
Au commencement, posé sur une chaise, Philippe Besson est interviewé. Il répond aux questions d’une journaliste chignonée au ton sec et prétentieux ; disserte sur son métier d’écrivain, son homosexualité. Mais ce cadre très formel déjà se distord sous les coups d’une voix-off de l’un et l’autre via laquelle leurs pensées intérieures prennent le dessus et masque les discours convenus. Ce pas de côté va être le squelette de l’adaptation théâtrale que font Angélique Clairand et Eric Massé de Arrête avec tes mensonges, Paru en 2017, le roman est clairement autobiographique puisqu’il relate l’amour de jeunesse de l’auteur, avec un adolescent qui enfouira son identité sexuelle jusqu’à ce que son fils démêle les fils. Ces trois hommes sont l’armature de cette pièce qui se déroule essentiellement en 1984 puis en 2007 et en 2016 pour un épilogue malheureux et les trois acteurs endossent parfois plusieurs fois le même personnage selon son âge. Mieux : le Philippe adolescent et celui devenu écrivain à succès à 40 ans dialoguent, l’un donnant des conseils de couple à l’autre alors à l’aube de sa vie amoureuse.
Ainsi le duo fondateur de la compagnie des Lumas profite de ces inserts pour aérer leur mise en scène très sèche, déterminée par des marques au sol. De même, la vidéo est habilement utilisée : sur un large écran, figurent les rares moments d’évasion que ces amoureux de Barbezieux s’accordaient, y compris au cours d’une boum humiliante où chaque invité est affublé d’un masque d’animal de la ferme à l’exception de ces deux garçons.
Hommes blessés
Tant que les protagonistes sont dans l’action, tout fonctionne mais c’est lorsque qu’ils s’interrogent ou commentent leur vie que cela devient pataud. Qu’est-ce que plaire ? Qu’est-ce que l’absence ? Pourquoi ces deux milieux (l’un est fils de paysan et condamné à rester dans ses terres charentaises, l’autre aime les livres et ira « ailleurs ») ne peuvent pas se lier ? Pas besoin de réponse à cela et encore moins de poser les questions de façon répétée. Les metteurs en scène ont souhaité inscrire ce travail dans le cycle « déchirures sociales » dont cette adaptation constitue le deuxième volet après le très caricatural De l’Eve à l’eau.
Mais le texte est simpliste de ce point de vue-là car n’est pas sociologue qui veut et Didier Eribon, sur un thème semblable, en professionnel de la chose, est bien plus convaincant. Ces pseudos réflexions alourdissent des dialogues que pourtant les comédiens prennent justement en bouche lorsqu’ils sont dans un style direct. Selon ce même constat, la partie finale aurait méritée aussi d’être beaucoup plus elliptique et de ne pas mener à la morgue mais de rester au café Beaubourg où se dénoue cette tragique intrigue de deux hommes qui se sont aimés et qui à l’un d’eux — un "incertain", un "écarté" — la parole a manqué.
Arrête avec tes mensonges
Au Théâtre du Point du Jour jusqu’au 13 octobre
Tous les jours à 20h sauf dimanche ; 5€/13€/18€
Les Lumas en quelques dates
2000 : Fondation de la compagnie par Angélique Clairand et Éric Massé après leur formation à la Comédie de Saint-Étienne
2007 : La Bête à deux dos, ms Angélique Clairand
2014 : Tupp’, ms Angélique Clairand
2017 : Tartuffe, ms Éric Massé
2018 : De l’Eve à l’eau, ms du duo
2019 : Nomination à la direction du Point du Jour
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