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Lyon : plus personne pour hurler la nuit

Clubbing / La nuit, c'est fini, pourrait-on affirmer en paraphrasant la Mano Negra. Clubs et discothèques sont à l'agonie, oubliés des discours et souvent des aides nationales, tenus par la ministre de la Culture à l'écart de son périmètre d'action. Les cris d'alarme se multiplient, des artistes aux syndicats : tour d'horizon de la situation à Lyon. Retournera-t-on danser du côté du Terminal, du Azar, du Petit Salon ou du Sucre ?

« Fermé jusqu’à nouvel ordre » affichent tristement les sites Internet du Sucre, du Terminal ou encore du Petit Salon... Voilà huit mois que les clubs et autres lieux de fêtes nocturnes ont fermé leurs portes. « La fête est terminée », dit Laurent Garnier dans sa lettre ouverte publiée le 26 octobre à l'attention de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, pour qui manifestement le monde de la nuit n’appartient pas au secteur culturel — elle répète que c'est du ressort du ministère de l'Intérieur. « On va dire que le monde de la nuit se repose », préfère ironiser Cédric Dujardin, directeur général de Culture Next en charge du Sucre, qui avait pu ouvrir sa partie rooftop cet été. « Ça nous a permis de garder un lien avec une partie de notre public, et surtout de faire travailler nos personnels de bar, de sécurité, de régie, de programmation », poursuit-il.

Des adaptations qui avaient également permis la réouverture de lieux hybrides comme le Groom, le Sonic ou la Marquise en mode bar assis, entre les deux confinements. « On a essayé d’organiser des soirées hors les murs, des soirées DJ set assis, on a essayé de se diversifier, de contrecarrer la situation, mais il y a un moment où ça a ses limites. Moi je viens du rock, je ne suis pas fan des soirées assises en mode bar », explique Morgane Chanut, directrice artistique du Groom. Le Sonic avait pu lui aussi trouver une alternative en ouvrant la terrasse extérieure de sa péniche et en aménageant un espace diner en intérieur, en annulant tous ses concerts mais en maintenant un semblant de programmation (blind test, soirées Dark 80’s version « tranquille »). Mais Stéphane Bony, co-gérant du Sonic, grince des dents : « oui, on a pu réouvrir, mais honnêtement le protocole était compliqué : on a déjà une petite jauge en temps normal, mais là avec les distanciations, on tombait à une jauge de 25, c’est que dalle. Franchement, autant ne pas ouvrir. »

Sous perfusion

Si la partie club de ces établissements est pour le moment loin de réouvrir — (« Je ne me fais pas d’illusions. Selon moi pas avant l’été 2021 » confie Philippe Francesconi, gérant du Terminal Club) —, certains parviennent tant bien que mal à maintenir une activité diurne. C’est le cas du Sucre, qui continue d’accueillir ses DJ résidents afin qu’ils puissent travailler leurs live sets, et maintient son activité BtoB (qui représente tout de même 30% de son chiffre d’affaire) et d’accueil d’événements privés d’entreprises, grâce à l’installation d’un studio d’enregistrement pour des conférences et séminaires à distance. « C’est ce qui nous fait tenir financièrement : évidemment, ça ne remplace pas l’activité habituelle de nos lieux, mais on va dire que pour l’instant, on est sous perfusion » affirme Cédric Dujardin. En réduisant au maximum les frais structurels, en mettant tous les employés en chômage partiel, en réduisant les frais d’électricité, et en négociant avec les propriétaires de La Sucrière, les gérants du Sucre n’ont pour le moment licencié personne, tout comme Jun Matsuoka, gérant de la péniche La Marquise : « je n’ai licencié personne, je renouvelle tous les contrats malgré cette crise. Ce n'est pas la faute de mes salariés… J'essaie de les protéger au maximum. » Pour d’autres, la situation est plus compliquée : le Terminal Club a du abandonner un CDD et le Sonic n’a pu renouveler aucun de ses CDD, pour la première fois depuis douze ans. Certains tentent de relativiser sur la situation : « on est conscient que c’est dur pour tout le monde. L’idée c’est de ne pas être nombrilistes et de se serrer les coudes » nous glisse Salim Bakar du Petit Salon. Mais pour d'autres la situation devient très compliquée et menace de faire un peu plus couler une économie déjà fragile.

Maintenir le lien

Si rien ne remplace l’ambiance effrénée d’une soirée passée à se déhancher (oui, à nous aussi ça nous manque), la musique a tout de même ce pouvoir de rassembler et de maintenir un lien même dans l’isolement. Pendant le premier confinement, l’équipe du Sucre avait notamment développé des "Internet Rave" sur la plateforme de streaming Twitch, et partage tous les mois les actualités de la scène musicale locale. Des systèmes de livestream ont fleuri sur le Web, comme l’initiative "1 Jour 1 Live" mise en place par la plateforme Teazit qui a notamment accueilli des DJ habitués du Azar Club.

« On voulait continuer à promouvoir la scène lyonnaise malgré tout. On a réussi à proposer à une trentaine de DJs de venir performer dans l’établissement vide, et on a mis en place un système de captation pour retransmettre en direct. Les gens sont super réceptifs ! » affirme le gérant du Terminal, qui propose aussi des sessions sur YouTube. Des initiatives qui, bien qu'elles ne remplacent pas des performances in vivo, permettent aux artistes, pour beaucoup en grande difficulté car ne vivant principalement que de ces événements, de se produire malgré tout. Louis Granat, de son nom de scène Hyas, qui se produisait régulièrement au Groom ou au Petit Salon, tente tant bien que mal de valider son statut d’intermittent avec des livestream. « J’ai jusqu’à février pour valider tous mes cachets, et il m’en reste pas mal. Cet été, je n’ai pu en valider que deux… J’ai beaucoup de propositions non rémunérées, mais je ne peux pas accepter parce que je suis dans une urgence financière. En plus, depuis mars, les cachets sont plus faibles. Les DJ sets c’est ma source de revenu principale. Passer de quatre à cinq concerts par semaine à plus rien du tout, c’est très compliqué… Ça me freine dans plein de choses, de projets. En attendant, je survis » dit-il. Un exemple glaçant de la difficulté de cette crise pour les indépendants. « Notre plus grande peur c’est que beaucoup de structures indépendantes en périssent. La culture serait amputée d’une diversité phénoménale » complète Cédric Dujardin.

Un secteur oublié

Car si l’on prend un peu de recul sur la situation depuis huit mois, on s’aperçoit rapidement que la situation sanitaire et ses conséquences économiques creusent un peu plus le manque de reconnaissance des institutions face aux acteurs de la nuit. Un mépris récemment entériné par le refus du Sénat de valider un amendement porté par Thomas Dossus, sénateur EELV du Rhône, qui avait pour but de venir en aide au secteur de la musique électronique à hauteur de 20M€, finalement affectés au patrimoine. Nombreux sont ceux qui prennent la parole et tirent la sonnette d’alarme pour dénoncer un secteur à bout de souffle : Laurent Garnier donc, mais aussi le comité Sphère électronique piloté par Technopol qui s’est rendu au ministère de la Culture, ou encore Vincent Carry, directeur général d’Arty Farty, à l’origine de l’Appel des Indépendants et organisateur du festival Nuits sonores (qui « doit avoir lieu en 2021, quelle qu’en soit la forme, la taille, la réécriture »), et qui a publié une tribune dans Libération. « Avec cette crise, on se rend compte qu’il y a une certaine forme de méconnaissance, d’indifférence, voire de mépris du paysage politique et culturel français vis-à-vis de ce secteur, qui est inquiétant et regrettable. Qu’on soit obligé, en 2020, de redire qu’il y a une partie du paysage nocturne qui appartient au paysage culturel français global… c’est très inquiétant. », nous confie-t-il.

Stéphane Bony, de son côté, soupire : « moi je n’écoute même plus les discours, puisque de toute façon on n’est même pas concernés… ». Le gérant de La Marquise, Jun Matsuoka, explique : « je pense que nous sommes lus par le gouvernement. Ils ne nous ignorent pas complètement non plus. Par contre, ils privilégient la santé publique, l’économie avant tout. C'est leur choix. On ne peut rien y faire. » De tristes constatations qui amènent à penser que le secteur de la nuit souffre encore bien trop souvent d’une image négative (et fausse) auprès des riverains et des institutions gouvernementales qui le réduisent à des enjeux hédonistes. Pourtant, et c’est bien là les points défendus par Laurent Garnier et Vincent Carry, le secteur de la nuit appartient bel et bien à l’espace de la culture et de la création, du partage, de la convivialité et de la contestation dans lesquels se discutent et se jouent de nombreux enjeux à la fois artistiques mais aussi sociaux. « C’est dans ce type d’endroit que se constitue une génération de citoyens qui veulent repenser le monde », nous affirme Vincent Carry.

Quelles aides pour ce secteur ?

Concrètement, la plupart de ces lieux n’ont touché depuis mars que les 1500€ du fonds de solidarité pour les petites entreprises et les indépendants, et certains ont pu également bénéficier du dispositif de Prêt Garanti par l’État. Il a fallu attendre le dernier discours du président de la République pour qu'une aide aux discothèques soit évoquée, à hauteur de 20% de leur chiffre d’affaires annuel. La Région Auvergne-Rhône-Alpes a de son côté mis en place son volet 2 de l’aide complémentaire au fond de solidarité, qui va s'adresser aux discothèques, avec une aide allant de 2000€ jusqu’à 45 000€. Mais le Sonic par exemple, dont le statut hybride de café-concert n’est représenté que par le code NAF de "bar", ne peut bénéficier de ces aides. « On coche plein de cases pour payer pleins de trucs, mais on n'a rien en retour quand on est en difficulté ! », dénonce Stéphane Bony. Qui a toutefois bénéficié d'une aide de la Ville de Lyon de 50 000€ dans le cadre du fonds d'urgence culturel.

Jean-Philippe Duclos, gérant de L’Ambassade, pointe du doigt le manque d’aides pour les gérants : « en tant que gérant, on ne touche rien. Comment peut-on laisser des gens qui cotisent sans rien pendant des mois ? On est abandonné. J’ai senti le truc venir, alors comme beaucoup de collègues, je suis aller travailler ailleurs. Pour survivre. » Du côté de la Ville de Lyon, le 19 novembre dernier, le conseil municipal a validé les premières attributions du fonds d’urgence culturel à hauteur de 4M€. Les structures et artistes indépendants avaient jusqu’à début septembre pour déposer un dossier (ils furent au nombre de 359). Quelques rares noms du secteur de la nuit sont présents : Culture Next et le Sonic ont pu en bénéficier. Un soutien qui permettra à certains établissements de sortir (un peu) la tête de l’eau, en attendant la réouverture. « On trouvera les moyens de faire danser les gens ensemble. Pour l’instant, dansez seuls chez vous ! » conclue Cédric Dujardin.

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