Marion Cotillard et Flore Vasseur : « on arrive à un point où on engage le processus vital »

Bigger than us
De Flore Vasseur (Fr, 1h36)

Bigger Than Us / Produit par Marion Cotillard, réalisé par Flore Vasseur,  Bigger Than Us empile les témoignages de jeunes adultes porteurs d’initiatives citoyennes et/ou environnementales partout sur le globe. Un documentaire un peu trop lisse qui cependant donne l’occasion de s’emparer d’un sujet hélas brûlant : l’urgence d’agir. Rencontre.

Le titre de votre documentaire est porteur d’une intéressante ambivalence : Bigger than us évoque à la fois la dimension tétanisante d’une entreprise dont l’immensité peut (ou doit) justement dynamiser, galvaniser le spectateur…
Flore Vasseur
: C’est relativement assumé. D’habitude, j’ai toujours du mal à trouver les titres. Là, il nous est tombé dessus avant même le début. Je tournais autour des concepts de bigger than life — ces personnages, souvent américains comme Martin Luther King, qui font des choses plus grandes que la vie. J’avais envie de parler du nous, pas d’être dans une dimension individualiste. C’était important aujourd’hui de montrer qu’on est “un seul”. Le titre est sorti, et je suis arrivé assez timidement devant Marion et Denis Carot [le coproducteur du film] et on a tout de suite cliqué en assumant le fait que ça voulait dire plein de choses différentes. C’est la magie d’un bon, d’un vrai titre, pour moi.

Et vous avez raison, le premier entendement, est que l’on est dans un constat d’impuissance face à des choses bien plus grandes que nous, avec le sentiment qu’on ne pourra rien faire. Mais il y a aussi cette idée d’une génération plus petite en âge mas plus grande en maturité ou en sagesse et qui a compris, qui a des clefs. Et puis — et je pourrais dérouler beaucoup — il y a cette idée que, quand la vraie raison pour laquelle on s’engage dans une action ou une cause, c’est que l'on répond à un appel plus grand que soi, qui vous dépasse totalement. C’est une dimension presque spirituelle qui nous anime. On est très content que les gens s’interrogent sur ce titre. Qu’on se pose une question, c’est déjà pas mal !

Le film est une collection de “je” qui se dissolvent dans ce fameux “nous“ au profit du collectif. Comment parvient-on à renoncer au soi ?
Marion Cotillard
: Je ne crois pas qu’on oublie d’être soi. On découvre quelque chose qui est du domaine de la connexion de nous à nous, de nous aux autres, de nous à n’importe quelle forme de vivant, d’organique, de minéral. Et qu'à travers cette connexion, on se rapproche encore plus de soi.

FV : C’est d’ailleurs pour ça que chacune des personnes du film a démarré autour de 12 ans. Certaines ont 25 ans aujourd’hui : elles ont passé la moitié, voire les deux-tiers de leur vie dans leur lutte. Ce sont des personnes dans un rapport au monde très très clivant. Il n’y a pas de dissolution de l’individu, il y a l’affirmation d’un rapport au monde très ancré, très personnel.

Chacun des protagonistes s’est trouve un outil pour agir. Dans la mesure où ce film est né d’une interpellation de votre fils de 7 ans, peut-on dire que vous êtes, Flore, l’outil de votre fils ?
FV
: (sourire) Je ne sais pas si je suis l’outil de mon fils, mais je suis contente de ne pas être l'outil d’un algorithme — donc tant mieux s'il m’a utilisée, c’est bien à cela que les parents servent.

Comment cette connexion entre vous s’est-elle faite ?
MC
: Ce sont les mystères de l’amour et du coup de foudre. On s’est rencontrées autour d’un homme qui s’appelle Satish Kumar — un philosophe, écrivain, activiste et humaniste qui faisait des ateliers et qui, à la suite de ces ateliers, donnait une conférence le temps d’un week-end. Je ne saurais même pas expliquer aujourd’hui ce qui a fait que, quand j’ai vu Flore, il y a eu quelque chose d’évident : avant même qu’on s’adresse la parole, il y a eu une connexion profonde. On s’est rencontrées à un niveau au-delà de de l’intellect.

On s’est reconnues, je crois. À ce moment-là, on ne savait pas qu’on allait se lancer dans cette aventure ensemble, mais au bout de ces deux jours, je suis repartie avec en moi une rencontre très puissante avec Flore. Je savais qu’on allait faire un bout de chemin ensemble ; j’ignorais comment, mais je savais qu’elle allait faire partie de ma vie et que j’allais faire partie de la sienne.

Marion, cela fait pratiquement vingt ans que vous évoquez publiquement les questions environnementales. Aujourd’hui, alors que le sujet est omniprésent et que le temps manque presque, avez-vous encore une once d’espoir pour que le sujet puisse progresser ?
MC
: Oui, c’est vrai que la conscience humaine a besoin de temps pour grandir. Je rêve quelque part d’un saut quantique qui ferait que tout le monde prendrait conscience de l’urgence et se mettrait en action… Tous les humains qui ont eu ces questionnements, ces peurs, cette conscience, savent qu'on ne peut plus reculer devant la réalité, devant le constat de notre responsabilité, de notre impact. À un moment donné, on sera poussé à prendre nos responsabilités. Il y a tant d’alertes ont été sonnées ! Comme ce livre de Fairfield Osborne, La Planète au pillage, qui m’a bouleversée et terrifiée en même temps. À la fin des années 1940, il décrit la situation dans laquelle on est aujourd’hui. Ça a un côté vraiment terrifiant parce cette conscience était là, même si elle concernait un tout petit groupe d’hommes et de femmes.

Aujourd’hui, par rapport à l’urgence, je me suis détendue. C’est-à-dire que j’ai une confiance en l’humain même si des choses me font vraiment, vraiment peur. Je sens quand même qu’il y a une conscience qui s’élève sur les sujets environnementaux et sociaux : la révolution qu’on a vécue depuis quelques années, qui a pris ce nom de mouvement #MeToo et qui s’est diffusée à d’autres groupes de gens ; cette révolution féminine, humaine, de la jeunesse… Il y a vraiment quelque chose qui se passe. On arrive à un point où si l’équilibre est vraiment totalement rompu, on engage le processus vital. Et on a quand même un instinct de survie fondamental. Maintenant, est-ce qu’on va prendre les bonnes décisions ? On verra…

FV : Mais est-ce qu’on va laisser cet instinct de survie prendre le dessus ?

MC On ne pourra pas s’appuyer sur la technologie et la science. On le peut pour beaucoup de choses, mais je pense qu’on a le devoir de regarder la nature  dont on fait partie. Et de ne plus se séparer d’elle. Et si à un moment donné on arrive, avec la technologie et la science, à survivre sur cette planète sans s’être remis à notre place dans la nature, je ne sais pas si j’ai très envie de vivre dans un monde d’intelligence artificielle et de transhumanisme. Quand on est enfant, on a plus envie de courir dans un jardin que de regarder des arbres artificiels et de respirer dans une bulle. Maintenant, j’ai confiance et je me dis que cette connexion, on peut la retrouver.

Beaucoup de cinéastes se mobilisent en ce moment pour inciter à une prise de conscience citoyenne globale sur le sujet ; votre film a fait partie d’une sélection cannoise éphémère sur l’environnement. Ne faudrait-il pas une sélection permanente pour maintenir la pression ?
MC
: La forme de l’imaginaire, c’est quelque chose de tellement puissant ! Effectivement, que les cinéastes s'emparent de cette histoire-là, écrire une histoire qui montrerait un monde dont on peut rêver, dans lequel on peut vivre en harmonie, ça peut être cinématographique parce que de toute façon cette dualité est en nous. Il y aura toujours un équilibre à trouver. On voit bien aujourd’hui à l’échelle de la planète qu’un très petit nombre de gens est totalement heureux et totalement libres. Ça crée un vrai déséquilibre planétaire et humain. La force du cinéma, c’est aussi de faire rêver.

Je me souviens quand j’était petite et que j’avais vu 2001, j’avais trouvé complètement hallucinant de pouvoir se parler à distance en se regardant. Aujourd’hui, mes enfants sont nés avec FaceTime, ils attrapent des portables et savent mieux les manipuler que nous. Il y a un pouvoir de l’image pour alimenter l’imaginaire extrêmement puissant. C’est tout le discours de notre ami Cyril Dion. Proposer un récit différent.

L’image peut servir à captiver, mais aussi à libérer…
MC
: C’est plus que l’image, c’est aussi une philosophie, véhiculer une émotion et un questionnement philosophique,

FV : Et ça a toujours été le rôle du cinéma et de la littérature, qui est plus mon milieu d’origine, de tenter de décrire, d’alerter, de révéler… Ce qui extraordinaire avec le cinéma c’est que l’émotion est décuplée. Tout est au service d’un propos, c’est parfait comme art. Aujourd’hui, et Cyril l’a très bien montré, toutes les solutions pour qu’on sorte de la situation dans laquelle on est existent. La raison pour laquelle on n’est pas en route est culturelle. Le cinéma peut aider à poser une nouvelle représentation. Et nous, on est dans le métier des représentations culturelles. Si avec un, deux ou dix films, on arrive à faire bouger sur « qu’est-ce que c’est s’engager? Qu’est ce que c’est vivre sa vie, qu’est ce que c’est être utile? Qu’est-ce qui est important? » Alors on pose des fondamentaux de société qui sont de l’ordre de la valeur et de la projection — pas sur l’écran mais dans la vie immédiate.

Il n'y a pas beaucoup d’arts qui arrivent à émouvoir autant que le cinéma, qui fassent appel à autant de sens. Honnêtement, je ne comprend pas qu’on ne soit pas tous à traiter ce genre de sujets aujourd’hui — déjà, nous, ça nous rend heureux de le faire. Et quand quelque chose vous rend profondément heureux, c’est communicatif.

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