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Michel Cloup : « il y a une vérité dans À la ligne qu'on n'aurait jamais pu approcher seuls »

Rock & Littérature / Avec À la ligne – chansons d'usine, Michel Cloup et Pascal Bouaziz réussissent le tour de force d'adapter en chansons À la ligne – feuillets d'usine de Joseph Ponthus, fruit d'une expérience de l'auteur dans l'enfer des usines agroalimentaires et des abattoirs. Explication avec Michel Cloup, de passage à l'Épicerie Moderne.  

Comment avez-vous décidé d'adapter À la ligne – feuillets d'usine de Joseph Ponthus ?
Michel Cloup : Mon tourneur, La Station Service qui produit beaucoup de lectures musicales, m'avait proposé d'adapter un livre sous forme de collaboration. L'idée m'intéressait, je n'avais jamais fait ça. J'avais envie de travailler sur quelque chose de contemporain et j'ai commencé à lire pas mal d'auteurs français. Mais tout me tombait un peu des mains jusqu'à ce qu'un ami me conseille À la ligne, en me disant que ça me parlerait et que ça se rapprochait de mon univers. Avant même d'avoir terminé sa lecture, je savais que j'allais travailler sur ce livre. Il y avait tout : ce que ça raconte, la forme particulière de l'écriture qui fonctionnait très bien à l'oral puisque c'est écrit en vers libre, sans ponctuation... Surtout, c'est un livre puissant. J'ai aimé sa beauté, son humour, sa vérité, ses contradictions. Il y a quelque chose de très humain. Effectivement, j'ai senti une proximité dans l'écriture. J'aurais aimé le livre sans ce projet et j'avoue que j'étais passé complètement à côté au moment de sa sortie, malgré son succès. C'est un des plus beaux livres français que j'ai lu depuis longtemps.

à lire aussi : Michel Cloup, debout

Comment avez-vous travaillé sur l'adaptation ?
D'abord Joseph, qui connaissait très bien mon travail et m'a confié écouter Diabologum lorsqu'il était étudiant, m'a donné carte blanche, ce qui était un peu stressant. Il n'a suivi aucune étape du travail une fois que je lui ai présenté mon projet : construire un concert avec la trame narrative du livre en gardant les moments qui m'intéressaient – c'est une toute petite partie du livre. Je ne voulais pas d'une lecture musicale classique, je voulais m'approprier le truc. L'idée était de construire un concert avec la trame narrative du livre. Il était hors de question de réécrire quoi que ce soit mais de faire une sorte de collage. Dès le début de ma lecture, j'ai essayé de me projeter sur quelque chose d'oral. Je lisais à haute voix et je partais d'une voix parlée pour arriver à un phrasé mélodique. Or il y a des refrains dans ce livre. Mon idée était de reprendre des phrases et de construire des chansons, de parler aussi de la musique qui est omniprésente dans le livre, qui sauve la vie. Je trouvais ça très beau d'être à mi-chemin du parlé et du chanté, une sorte de chanson hybride. Lui était tout à fait emballé.

Le projet avait été lancé avec Miossec, puis repris avec Pascal Bouaziz. Pourquoi deux voix ?
Parce que je ne me sentais pas d'assumer ça seul et comme c'était un projet à part, j'avais envie de le partager. Au final, il y a même plus que deux voix : il y a la voix de Joseph enregistrée par moments, celle des ouvriers... J'aimais bien cette idée de partir d'un texte autobiographique mais que plusieurs voix l'incarnent, parce que c'est une voix parmi tant d'autres. J'avais pensé à Pascal dès le départ mais j'avais souvent collaboré avec lui et j'ai voulu essayer quelqu'un d'autre. On a commencé avec Miossec mais ça n'a pas fonctionné pour diverses raisons. Pascal a rejoint le projet et c'était une excellente chose parce qu'on est vraiment connecté.

Ce n'est pas un auteur de chansons qui s'imagine ouvrier

Ce qui est troublant, c'est qu'on a vraiment l'impression que ce projet qui émane des mots d'un autre se trouve justement à la jonction de vos deux univers...
Il y avait déjà une proximité avec le texte de mon côté et Pascal l'a sentie également. Dès qu'on a commencé à travailler dessus ensemble, il y avait comme une évidence. D'autant plus troublante que ni l'un ni l'autre n'avons l'habitude de travailler sur d'autres textes – en dehors de reprises, ce qui est très différent. Ce qui nous intéressait dans ce texte, c'est que ça poussait un peu plus loin le travail que nous avions pu faire sur ces thématiques, chacun de notre côté. Ce qu'on n'aurait pas pu faire seuls parce que ce livre est un récit autobiographique, écrit par quelqu'un qui avait vraiment travaillé à l'usine parce qu'il avait besoin d'argent. Ce n'est pas un auteur de chansons qui s'imagine ouvrier ou un journaliste qui enfile un bleu de travail pour un reportage de six mois. Il y a une vérité dans ce bouquin qu'on n'aurait jamais pu approcher seuls.

Comment se fait-on sa place dans le texte d'un autre, qui est justement le récit réaliste d'une expérience vécue ?
Alors ça, c'est une excellente question. Je pense qu'il faut avant tout un peu d'inconscience et de naïveté (rires). Avec le recul on aurait pu se gaufrer complètement. Ça vient aussi du fait que le contact humain avec Joseph a été excellent. Quand on s'est rencontré, j'ai eu l'impression de retrouver un vieux copain. Cette relation a été précieuse dans la réussite du projet. Il y a eu beaucoup de discussions qui nous ont nourri, même dans la conception de la musique. Il y a tout un tas de concepts dans le livre sur le rythme dans le travail... En parler avec lui nous a aidé à construire une ambiance musicale. Mais on a surtout foncé tête baissée en espérant que quelqu'un nous arrête si on n'était pas dans le vrai (rires).

Vous avez réalisé un vrai travail de montage, un peu comme pour un film, n'avez-vous pas eu peur de changer la perspective du livre, son schéma narratif ?
Non, parce que ça faisait partie de l'enjeu du projet. Ce que je trouvais beau et qui allait amener quelque chose dans la progression musicale, c'était cette progression de l'usine de bulots jusqu'à l'abattoir, cette espèce de montée dans l'horreur, ces allers-retours à la maison avec la fatigue, la tristesse, les week-ends de fatigue, ça a aidé à construire un plan musical. L'idée c'était de se focaliser sur les moments clés du livre et comme c'est une adaptation c'est forcément subjectif. Il va y avoir plusieurs adaptations du livre, au théâtre, au cinéma, en BD et ça ne sera pas du tout la même chose. Chacun va y prendre des choses différentes et les développer. Le but c'était de rendre justice au livre et de ne pas le trahir, y compris dans les intentions vocales, musicales, de faire quelque chose de fort mais pas trop. La violence, par exemple, a été l'un des gros enjeux de l'adaptation. J'ai dit à Joseph qu'il y aurait une montée de la violence sans compromis, comme dans le livre. Il ne s'agissait pas de baisser le son sur les abattoirs sous prétexte que ça fait mal aux oreilles. Les abattoirs tels qu'ils sont décrits, ça fait mal aux oreilles, ça fait mal au corps, il fallait en rendre compte.

Michel Cloup, À la ligne – chansons d'usine (Ici d'ailleurs)
À l'Épicerie Moderne ​le jeudi 10 février à 20h30

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