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"Kung-Fu Zohra" de Mabrouk El Mechri : opération daron
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 1 mars 2022 - 3206 lectures
Photo : © Julien Panié / Les Films du Kiosque / Gaumont
Pour faire cesser les coups de son mari, une fan de kung-fu s’initie auprès d’un maître. Mabrouk El Mechri signe une proposition culottée (et forcément clivante) mêlant son amour du cinéma de genre à son intérêt pour les personnages déclassés. Un film avec du propos, qui tombe à propos.
Quand Zohra a épousé Omar, il était attentionné et charmant. Mais l’alcool, les déconvenues professionnelles, les frustrations personnelles ont transformé le prince charmant en un tyran domestique violent et manipulateur. Craignant de perdre leur fille dans une séparation, Zohra encaisse. Jusqu’au jour où un maître ès arts martiaux va lui donner technique et courage pour riposter.
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Dix ans après ses derniers faits d’armes, Mabrouk El Mechri renoue avec le grand écran et surtout avec son registre de prédilection : la comédie dramatique en lien direct avec un sport de combat. Virgil (2005) s’inscrivait ainsi dans le milieu de la boxe, JCVD (2008) tournait autour de la figure (réelle et fantasmée) de l’icône du full contact, Jean-Claude Van Damme. Kung-fu Zohra revisite à présent l’univers des productions issues des studios Golden Harvest — rendant hommage au passage via le graphisme de son affiche au promoteur de leur diffusion en France, René Chateau grâce auquel le cinéaste les a découvertes — comme les séries ou films d’action initiatiques que sont Kung Fu (1972-1975) ou Karaté Kid (1984). La grande différence réside dans le contexte où se déroule l’histoire, partiellement lié à la vision par Mabrouk El Mechri à son retour d’Hollywood du Fatima (2015) de Philippe Faucon — ne constituant pas de son propre aveu un cinéma qu’il pourrait faire, mais susceptible de nourrir son inspiration.
Plus jamais
L’idée peut sembler audacieuse d’associer la question des violences conjugales au cinéma de genre ; on sait pourtant bien depuis Bettelheim que parmi les fonctions du conte, l’une d’elles vise à parler du réel sous des dehors récréatifs. Avec ses chorégraphies, sa mise en scène habile et référentielle reprenant les codes hongkongais, mais aussi ses têtes d’affiche appréciées du grand public (chapeau Ramzy Bédia et Sabrina Ouazani, parfaits), Kung-fu Zohra dispose ainsi de nombreux atouts pour faire passer un message… qui ne se résume pas à de l’autodéfense. Le restreindre à un “mode d’emploi“ sans prendre en compte sa dimension parabolique reviendrait à discréditer par symétrie J’ai pas sommeil (1994) de Claire Denis parce qu’elle y présente un groupe de femmes — Line Renaud en tête — s’adonnant à des cours de self-défense pour pouvoir répliquer en cas d’agression. Ou criminaliser Kill Bill (2003) de Tarantino parce que le personnage de la Mariée opère une vengeance contre le père de sa fille après que celui-ci a essayé de la tuer — un film qui, au passage, paie lui aussi un large tribut au cinéma d’arts martiaux.
Loin de faire de la question des violences faites aux femmes un spectacle ou un alibi, Mabrouk El Mechri la désigne comme sujet et va même plus loin en imprimant à son récit une surreprésentation féminine : la voix off est ici portée par une narratrice différente de l’héroïne. Une observatrice légèrement excentrée (à la manière de Madame Jouve dans La Femme d’à côté de Truffaut), rendant compte avec son recul et sa bienveillance des difficultés de son amie ; sa contribution (et sa sororité, dit-on volontiers aujourd’hui) sera décisive dans l’émancipation de Zohra. Cette volonté de donner une “voix” différente va en cohérence avec la représentation de l’outre-périphérique que le film offre (celle d’une banlieue plus métissée que Saint-Germain-des-Prés), qui vaut à Mabrouk El Mechri l’aberrante accusation de racisme, au motif qu’il ancrerait un stéréotype d’Arabe violent — une vision orientée omettant à dessein les nuances apportées dans l’écriture des personnages, loin d’être réductibles à des caricatures généralisantes. À croire que ces accusations outrancières, donc dérisoires (et plutôt masculines, au passage), cherchent fallacieusement à maintenir l’invisibilisation des violences conjugales — qu’elles soient physiques ou psychologiques. Gageons qu’à l’instar de Jusqu’à la garde, Mon roi ou Ne dis rien, Kung Fu Zohra contribue à cette mise en lumière par des femmes et des hommes de cinéma, d’un phénomène ne dépendant ni d’une origine ethnique ou religieuse, ni d’un désavantage ou d’un privilège social.
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★★★☆☆ Kung-Fu Zohra
Un film de Mabrouk El Mechri (Fr, 1h39) avec Sabrina Ouazani, Ramzy Bedia, Eye Haïdara (sortie le 9 mars)
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