Sixty Fingers : les Rolling Stones au Parc OL

Rolling Stones

Parc OL

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Rock / À l'occasion des 60 ans du groupe, les Rolling Stones, dont les deux principaux membres en ont vingt de plus, s'arrêtent à Lyon pour un récital hors d'âge toujours aussi prisé. Mais qu'est-ce qui fait encore courir les Stones ? Et après quoi ?

En 2022, les Rolling Stones, 60 ans au compteur, sont encore très probablement le plus grand groupe du monde. Et cette réalité appelle un paradoxe dans le continuum rock'n'roll : le rock ne peut par essence être pratiqué que par la jeunesse, puisque d'une certaine manière, il l'a inventée. Mais on ne prend pas sa retraite de rocker comme on se retire du football (parce qu'on a mal aux pieds). On ne s'en sort pas, en tout cas on ne s'en sort pas vivant. En témoigne la surreprésentation de morts prématurées dans la corporation – les Stones ont leur propre représentant au "Club des 27" – et le nombre de survivants courant après leur légende avant même l'âge de la retraite. En 1965, les Who chantaient « I hope I die before I get old » (avant de changer d'avis et de faire de très beaux vieillards) et quand Kurt Cobain entreprit de se faire sauter le caisson, il laissa une lettre qu'achevait ce vers de Neil Young « better to burn out than to fade away », se glissant dans sa légende comme on se coule dans un cercueil. 

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Comment expliquer alors que "le plus grand groupe de rock du Monde" soit aussi le plus vieux – et l'était déjà il y a quinze ans lors de son dernier passage lyonnais ? L'est-il toujours, grand ? Est-il si vieux ? À voir : publicités vivantes pour la DHEA, si Keith tient moins sa guitare de ses doigts déformés par l'arthrose qu'elle ne le tient, Mick célèbre encore avec autant de vigueur, et une ligne de championne de gym UNSS, sa fameuse danse du poulet qu'on mitraille. À 79 ans, pour Mick, et 60 pour le groupe, ça pourrait paraître un peu pathétique mais la chose fait toujours sacrément envie malgré le prix astronomique des sésames pour le show – à Lyon entre 95 et 315 euros. 

Six mois à vivre

Travaillés par le mythe de l'éternel retour, les Stones sont toujours là, plantes vivaces sous leurs airs de vieilles branches. En 2006, Keith, recordman du monde des overdoses manquées, se fait une commotion cérébrale en tombant d'un cocotier ? Il est sur scène dans les semaines qui suivent, après une opération du cerveau – il se vantera pas mal d'avoir été trépané et d'avoir aimé ça. On ne compte plus ses pépins de santé et les communiqués qui l'envoient dans la tombe ? En guise de réponse, le guitariste a lancé un jour : « des médecins m’ont dit que j’avais six mois à vivre et je suis allé à leurs enterrements ». Immortels, les Stones ? On le pensait jusqu'à la mort de Charlie Watts, qui avait quand même vaincu d'une main un cancer de la gorge en 2004. Et il n'est pas interdit de continuer, après. Si en tout cas, ils en donnent l'impression c'est peut-être parce qu'ils sont déjà morts – et on ne parle pas, là encore, des flirts de Keith avec la faucheuse à l'occasion de quelques overdoses où il prit la lumière au bout du tunnel pour le néon de la salle de bain. 

Dans son essai Un Démocrate, Mick Jagger 1960-1969 (Édition Naïve), François Bégaudeau ne dit pas autre chose : né un jour de 1960 de sa rencontre sur le quai d'une gare avec Keith autour d'incunables de blues, Mick, golem à paillettes sorti de la bouche lippue de Michael Philipp Jagger, est mort en décembre 1969, lors du Woodstock raté que fut le festival d'Altamont, tombeau des illusions 60's. Mort en tournant le dos à la foule qui l'avait fait roi. Il y a cette scène de Gimme Shelter, le film des frères Maysles qui documente la chose, où au milieu de Sympathy for the Devil, Mick le générateur d'émeutes, l'anarchiste ondulant, se présente comme le diable, prince du désordre, « Pleased to meet you » et tout le tintouin, avant de s'interrompre, comme un garçonnet en panique, suppliant la foule de se calmer quand elle ne fait qu'incarner, jusque dans la mort, celle de Meredith Hunter, le chaos qu'il invoque depuis toujours.

Le diable, qui a la frousse de sa vie, se muera après Altamont en un monstre froid, opaque, maniaque du contrôle, tout le monde et personne à la fois, jamais lui-même (« je connais très bien Mick, c'est un tas de types sympas », dira le guitariste Ron Wood). Le diable toujours, mais habillé en Prada, micro dans une main, cordons de la bourse dans l'autre, bank-rocker anobli, enrichi des leçons de son ancien manager Andrew Loog Oldham. Les Beatles étaient plus célèbres que le Christ, les Stones seront mieux implantés que Coca Cola : une entreprise qui fascine jusqu'aux magazines économiques, ultra lucrative, passée de Brian Jones au Dow Jones et symbolisée par le rouge vif d'une langue pendante parce qu'avide, logo aussi célèbre que celui de McDonald's ou Apple. 

Les pieds devant

Les zombies post-Altamont ont beau être morts, ils reviennent toujours, parce que, c'est bien connu, les zombies, même riches comme une armée de Crésus, ont toujours faim : de cash, de show, de lumière, de rock'n'roll sûrement aussi, vieux réflexe, depuis le temps. Si à partir de la fin des années 70, les albums du groupe surfent presque systématiquement sur l'air du temps musical (funk, disco, hard-rock, reggae...), chaque retour sur scène est davantage une invocation du fantôme de leur glorieux passé : leurs classiques, dont certains sonorisent des réclames au profit de multinationales, constituant toujours l'essentiel de leurs tournées sponsorisées, Best-of live dont les fans viennent se repaître comme on va au musée – ou en pèlerinage. 

Car le mythe subsiste, il a la vie dure, les Stones étant toujours parvenus à maintenir l'image de mauvais (vieux) garçons inventée par Loog Oldham, grand ordonnateur du marketing stonien (le fameux « laisseriez-vous votre fille sortir avec un Rolling Stone ? »). Keith en étant l'incarnation pince-sans-rire, la mascotte bonhomme, l'oncle sur qui on peut compter pour faire disjoncter une fin de banquet. Alors oui, Keith a depuis longtemps affirmé avoir arrêté les drogues et considérablement réduit la tise. Pas parce qu'il est devenu raisonnable – manquerait plus que ça –, juste par lassitude. 

De la même façon, pour les mêmes raisons, les Stones pourraient prendre congé du rock'n'roll. Mais comme l'a dit Keith un jour : « la seule manière de quitter les Stones, c'est les pieds devant ». C'est d'une certaine manière leur malédiction. Il y a des lustres, Mick Jagger déclarait : « je préfère être mort que de chanter Satisfaction à 45 ans ». Dépassé par sa créature, le voilà contraint de le faire, en dandy automate, à presque 80 ans. Parce que le rock'n'roll et le business sont les deux vrais insatiables immortels de l'affaire ? 

Pas seulement, si l'on se fie à cette réflexion du frontman : « Les gens ont cette obsession. Ils veulent que vous soyez comme vous étiez en 1969. Ils veulent que vous le fassiez, sinon leur jeunesse s’en va avec vous. » Au vrai, c'est après la jeunesse de leur public que les antiques Stones sont obligés de courir, hamsters pris au piège de la roue du show-business. Ce piège qu'ils ont inventé.

The Rolling Stones + Nothing But Thieves
Au Parc OL le mardi 19 juillet

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