​Juliet Berto, l'inoubliable et mystérieuse icône

Neige
De Jean-Henri Roger, Juliet Berto (Fr, Bel, 1h30) Avec Jean-François Stévenin, Juliet Berto, Robert Liensol

Portrait / De toutes les idoles féminines de la Nouvelle Vague, elle est celle dont l’aura a toujours été accompagnée d’un mystère aussi paradoxal qu’insondable ; celle aussi qu’une mort prématurée aura vitrifiée dans ses légendes précoces et successives, à l’aube de nouvelles gloires prometteuses. La ressortie de Neige est l'occasion de reparler de Juliet Berto (1947-1990).

« Sur les vieux écrans de 68/Vous étiez Chinoise mangeuse de frites/Ferdinand Godard vous avait alpaguée/De l'autre côté du miroir d'un café… » Six ans après La Chinoise, film prophétique des événements de Mai-68 pour toute une génération de baby-boomers, Yves Simon dédie à une jeune comédienne de 26 printemps rien moins que la chanson-titre de son album, Au pays des merveilles de Juliet. C’est dire son aura. Imagine-t-on aujourd’hui une comédienne française de cet âge bénéficier d’une pareille dédicace ? Ne cherchez pas : il n’y en a pas.

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Née sous le nom d’Annie Jamet dans une famille ouvrière de Grenoble, celle qui s’est rebaptisée Juliet et a pris le patronyme de son premier époux, le comédien Michel Berto, a rapidement fait son chemin. Surfant le premier ressac de la Nouvelle Vague, elle croise Jean-Luc Godard dès 1963, qui détecte une personnalité atypique derrière son mystérieux minois : un regard recru, une lippe grave ainsi qu’un timbre de voix démentant la rondeur encore poupine du visage. Et cette sophistication à la fois élégante et décalée qui fait d’elle une petite sœur putative de Jeanne Moreau ou de Delphine Seyrig, à mille lieues des jeunes premières BCBG à la Deneuve ou Romy Schneider illuminant l’époque de leur blondeur ingénue.

Deux ou trois choses que je sais d’elle, La Chinoise, Week-end, Le Gai Savoir, Vladimir et Rosa… De 1966 à 1969, Godard trouve en elle une sorte de “modèle“ au sens bressonien du terme, d’incarnation de l’époque, de répondant à Jean-Pierre Léaud, voire de silhouette féminine nécessaire pour installer la continuité de sa musique lorsque les avant-postes sont occupés par des têtes d’affiche. En parallèle, après un rôle fantastique de vampire contemporain pour Claude Miller (Juliet dans Paris, 1967), Juliet enchaîne dix films entre 1968 et 1969 chez notamment Marcel Camus, Francis Leroi, Jean-Daniel Verhaeghe, Marin Karmitz (futur producteur et exploitant, alors réalisateur révolutionnaire) avant d’atterrir dans la troupe de Jacques Rivette. Ce nouveau Pygmalion va, après Godard, lui donner l’occasion de prendre un nouvel élan… à 23 ans.

Derrière la caméra

Chez Rivette, l’écriture est un jeu collectif volontiers ouvert aux comédiennes et aux comédiens. Une discipline qui ravit la jeune actrice intégrée dans le film monstre-chorale Out 1 : Noli me tangere (1970) auprès de Léaud, Bulle Ogier et même d’un certain Jean-François Stévenin — l’assistant-réalisateur qu’elle convainc, par son énergie, de passer de l’autre côté de la caméra. Elle retrouvera Rivette à deux reprises, pour des manières de contes modernes : jouant la Céline de Céline et Julie vont en bateau (1974) et Leni dans Duelle (1976). Si sa carrière ne connaît pas le moindre ralentissement, lui donnant l’occasion de multiplier les expériences au théâtre, à la télévision (notamment face à Simone Signoret dans la série Madame le juge), le cinéma, malgré de fameuses rencontres — Glauber Rocha, Robert Kramer, Losey, Tanner… — ou des films grand public — avec Claude Berri, Christian de Chalonge — ne lui offre pas ou plus ce qu’elle attend. Elle arbore désormais une petite trentaine magnétique, des cheveux ondulés et des tenues Agnès b. ; on suppose qu’elle regarde avec intérêt ce qui se trame dans les mouvements cold wave et novö — le début des années Lang sera bientôt, dans un joyeux melting-“potes“, le catalyseur d’une Movida à la française, hélas de courte durée…

Prescience de la fugacité des choses ? Juliet se hâte de franchir le pas, s’attelant à la réalisation d’un premier long (après l’expérience d’un court en 1974, Babar Basses’mother) : ce sera Neige (1981), co-signé avec son compagnon Jean-Henri Roger. Jean-François Stévenin, qui peu avant a réalisé Passe-Montagne, est de l’aventure : entre deux portes, il a accepté ce qu’il pense être une panouille avant de découvrir qu’il tient l’un des rôles principaux. Le premier jour sur le plateau, il note des flottements dans l’équipe technique, susceptibles de fragiliser une production à l’économie précaire. Alors, quand son amie lui demande ses impressions, il n’hésite pas à lui confier ses observations. Juliet Berto encaisse et arbitre : en deux jours, elle opère les changements indispensables à l’avènement de son film. Lauréat du Prix du jeune cinéma à Cannes, Neige est suivi par un autre polar, Cap Canaille (1982) puis par Havre (1986), « conte et beau cauchemar » selon elle. Elle publie également un récit autobiographique cru, La Fille aux talons d’argile. Le temps presse, le temps file. En 1990, elle succombe à un cancer, laissant outre une œuvre immense, le souvenir de sa lumière chez ceux qui l’on côtoyée. Et une salle de cinéma à son nom à Grenoble…

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