CinéFabrique : ça tourne dans le 9e !

Éducation / École Nationale Supérieure à part à qui la Ville de Lyon commence à s’intéresser, la jeune CinéFabrique forme ses élèves aux métiers de l’image et du son. Mais aussi à une approche citoyenne et collective d’une industrie artistique très dynamique. Gros plan sur un concept aussi professionnalisant qu’enthousiasmant où infusent des talents surmotivés.

Une cour d’établissement scolaire, en apparence semblable à toutes les autres, à la fin de la pause méridienne. Les élèves (masqués) jouent au foot, au ping pong, discutent sur des bancs avant d’entamer l’après-midi… On surprend des bribes de conversations. Il n’est point question d’exercice de maths ni de bac blanc d’histoire-géo : « non, mais là, je crois que je vais changer la musique de mon documentaire… » Quelque mélomane se met alors à siffler Twisted Nerve, repris en chœur par une bonne demi-douzaine de rossignols, et peu à peu la foule se disperse… Bernard Herrmann ferait-il office de sonnerie autogérée ? On l’a compris, nous ne nous trouvons pas dans un établissement ordinaire, mais à la CinéFabrique, l’École nationale supérieure de cinéma sise dans le 9e arrondissement de Lyon. Deux enseignes discrètes le confirment, rafraîchissant de leur bleu cobalt éclatant des murs d’enceinte à l’ocre fatigué… et détrompant les panneaux indicateurs qui dirigent toujours les visiteurs vers le Lycée Professionnel Martin-Luther-King. Depuis 2017 en effet, le 5 rue Communieu a troqué ses lycéens pour des post-bac. Encore que le bac ne soit pas un sésame absolu pour accéder à la CinéFabrique, à la différence des trois autres ENS publiques préparant aux métiers du cinéma, qui réclament le plus souvent deux ans d’études supérieures validées : le concours d’entrée en trois tours est ici ouvert à tous les jeunes de 18 à 25 ans. Et chaque année, une promotion de 35 étudiants à parité, réellement hétérogènes d’un point de vue sociologique voit le jour — le cursus favorisant l’acquisition d’un “esprit de corps” collectif indispensable à la fabrication d’un film, œuvre elle-même collective. C’est loin d’être la seule différence entre la CinéFabrique et ses vénérables devancières que sont La Fémis, Louis-Lumière ou l’ENSAV.

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Action !

Créée en 2015 sous le haut parrainage du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako — soit l’année où son film Timbuktu décroche sept César —, dirigée par son confrère lyonnais Claude Mouriéras (à l’initiative du projet), la CinéFabrique présente l’originalité de ne pas proposer dans son cursus de formation à la “réalisation” proprement dite, mais des parcours en trois ans Image, Montage, Production, Scénario et Son. Ce qui pourrait passer pour une hérésie au pays de la “politique des auteurs“ chère aux Cahiers du Cinéma (mais bon, on se trouve sur les terres natales de Positif, donc Les Cahiers, hein…) témoigne a contrario d’une judicieuse prescience (alors que l’on assiste à un mouvement revendicatif de certains corps de métiers maltraités tels que les scénaristes) et surtout d’un affichage explicite de sa philosophie pédagogique.

Sur le plateau, en train de se faire un rail © VR

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Pas d’aristocratie dans les postes techniques (on le verra), mais une saine transdisciplinarité préparant à une complémentarité et surtout à l’efficacité sur un plateau — il en faut pour sortir, toutes sections et promotions confondues, pas loin de 150 courts-métrages par an. Au moment où nous visitons les lieux, les prises de vues de Malus sont ainsi en cours.

Une quinzaine d’étudiants de la promo 5 fourmillent dans un décor de la taille d’une boîte d’allumettes, répétant un mouvement complexe, jaugeant les différentes options sur le combo. Derrière l’écran, Zoé Chanavat, section son. C’est son pitch qui a été retenu, elle en est donc la réalisatrice. Son principal interlocuteur sur ce plan est Hugo Martin, section image, dont la voix douce masque à peine le caractère décidé. Pas d’affrontement toutefois : l’entente est parfaite et la mécanique de tournage aussi bien huilée que les roues du travelling à la WD-40. En retrait, veillant à l’hermétisme du plateau autant qu’à la chaleur du café pour les pauses, Paul Betis, section production. Comme il voulait absolument être sur le projet de Zoé (mais qu’il avait déjà fait directeur de prod’ auparavant), il assume ici les fonctions de régisseur. Avec un mélange d’excitation et juste ce qu’il faut d’angoisse, il attend le tournage des jours suivants prévu en extérieur, dans un AirBnB d’apparence futuriste du 3e arrondissement — un décor collant au scénario. L’équipe a négocié de tourner jusqu’à dimanche, rognant sur son week-end. « On a l’habitude, lance-t-il avec enthousiasme. L’année chez nous finit fin juillet, on reprend fin août, on s’arrête deux semaines à Noël. Même pendant le confinement, on écrivait, on travaillait… » Pas le temps de souffler, en effet : Malus devra être monté dans la foulée, dès le lendemain pour, au plus tard, être projeté dans un mois. Un gros coup de pression à assumer, sans négliger les autres engagements structurant l’emploi du temps ordinaire des étudiants.

Pas de profs, mais des pros

Car en plus de leurs cours durant les deux premières années (la troisième se déroule en alternance), les étudiants ont des engagements réguliers auprès de collégiens et/ou de lycéens à l’occasion d’ateliers au long cours, menés pour la plupart dans des quartiers labellisés “Politique de la Ville”. Un partenariat pour CinéFabrique qui l’inscrit dans un “contrat social” (avec financement à la clef), et qui répond aussi à une logique symétrique d’éducation populaire : les plus jeunes apprennent de leurs aînés à comprendre les images, à les déchiffrer à une époque qui les déverse sans mode d’emploi ; les étudiants apprennent à gérer une dynamique de groupe, ce qui pourra s’avérer utile plus tard dans un contexte professionnel : un tournage ressemble parfois à une classe dissipée…

C'est ici ! ©VR

Au quotidien, cette culture coopérative structurante trouve un écho dans le fonctionnement de l’institution : chacun participe à l’entretien des locaux (vidage des poubelles, etc.) ainsi qu’à l’épluchage des fruits et légumes servis dans la cantine bio et circuit court de la CinéFabrique. Le travail collaboratif devient, en somme, une seconde nature. Et lorsque la journée s’achève ? « Ça ne nous empêche pas de nous retrouver pour voir un match… ou discuter d’un nouveau projet » abonde Paul Betis.

Une infusion permanente où il n’est pas rare de plonger aussi en soirée histoire d’achever un montage ou un tournage — les stakhanovistes peuvent aisément s’inscrire pour profiter des locaux et du matériel “après l’heure” — et où l’on replonge volontiers lorsque l’occasion se présente. C’est le cas de Coline Costes ou Luca Renucci de la promo 1, de passage ce jour-là pour rencontrer le chef-opérateur Antoine Héberlé venu prodiguer un atelier sur le tournage en argentique — une technique devenue suffisamment rare pour susciter leur curiosité. La chargée de communication Marianna Martino découvre à cette occasion que les vastes réserves de matériel technique abritent la caméra idoine, précieusement laissée en dépôt par Aaton.

Le crocodile au premier plan est une star, il a joué avec Olivier Gourmet ©VR

La présence d’un professionnel au sein de la CinéFabrique n’a en soi rien d’exceptionnel, elle est même consubstantielle du projet : « nous n’avons pas vraiment de “professeurs”, explique Marianna Martino, la quasi totalité de nos cours sont assurés par des intervenants qui sont tous des professionnels en activité. » La liste, étourdissante de noms prestigieux dans tous les compartiments techniques et artistiques du 7e art, ferait pâlir le générique d’une production internationale. Un carnet d’adresses en puissance pour les futurs professionnels qui n’attendront pas leur troisième année pour “faire du réseau“. La liste compte aussi quelques enseignants de l’Université Lyon 2 dispensant des cours théoriques, grâce auxquels la CinéFabrique se trouve rattachée à la fac et les étudiants peuvent prétendre à un diplôme de licence Techniques du son et de l’image.

Dans le décor

Revenons à notre petit groupe, en plein atelier argentique. Antoine Héberlé profite de la lumière rasante de cette fin d’après-midi — devant le crocodile offert par la production de L'Exercice de l'État — pour rappeler quelques fondamentaux, puis emmène ses ouailles sur un décor bâti sur les indications d’une promo précédente (oui, il y a aussi un module pour se familiariser à la construction) pour effectuer des repérages avant le tournage du lendemain. Pas de chance : un autre groupe a investi les lieux à des fins de casting, obligeant à trouver une solution de repli. Comme sur un vrai plateau, en somme…

L’ancien lycée professionnel est pourtant vaste, mais l’école se trouve déjà à l’étroit : dans les étages, c’est un peu le chantier puisqu’une dizaine de boxes de montage son et/ou image supplémentaires sont en train d’être installés (« et ils tourneront à plein régime »). Un bâtiment de 800m2 sur trois étages est dévolu à l’hébergement des étudiants en alternance (souvent originaires de région parisienne), pour leur éviter d’avoir à assumer les frais de deux loyers. Et puis, il faut bien loger les intervenants de passage. Le site a de la ressource immobilière et foncière : une maison de maître, jadis squattée et désormais en piteux état, à la limite du délabrement, qu’il faut rénover. La « Villa Sabran » — car située au terme de la rue homonyme — est au cœur d’un ambitieux projet : la CinéFabrique envisage d’en faire une “maison pour tous“, ouverte aux gens du quartier, à la fois coworking et capable d’héberger ses hôtes de passage. L’orangerie qui la jouxte, à l’abandon, pourrait elle aussi être investie, démultipliant les espaces de travail. Pour le reste, la situation est idéale pour qui recherche sur un périmètre restreint une diversité de décors de tournage : cette portion en retrait du quai Paul-Sédaillan compte sur quelques dizaines de mètres carrés un ensemble HLM, des pavillons, une route de campagne, un talus et des constructions alpestres ainsi que les rives de Saône et l’île Barbe…

Un temps à tourner en extérieur ©VR

Déjà à Cannes

Cofinancée principalement par l’État, la Région et la Métropole pour un budget de 3, 5M€ (avec le double d’élèves, La Fémis est trois fois mieux dotée), la CinéFabrique va donc enfin toucher une enveloppe de la Ville de Lyon qui jusqu’alors l’ignorait superbement — 100 000€ issus de la réaffectation d’une petite fraction de la subvention allouée à l’Opéra. De quoi continuer à aider les étudiants boursiers. De quoi aussi, maintenir la section COP, non diplomante, destinée à des jeunes souvent en reprise de scolarité et ne sachant pas vers quelle orientation artistique se tourner, leur permettant de finaliser leur projet d’études. Et aussi de poursuivre ce qui a déjà été accompli en si peu temps. Les palmarès valent ce qu’ils valent, mais il est un symbole méritant qu’on le signale : le fait qu’une étudiante issue de la promo 1 ait offert pour la première fois à la France depuis sa création en 1998, le premier prix de la Cinéfondation — décerné aux meilleurs films d’école — lors du Festival de Cannes 2019. Avec Mano a Mano, Louise Courvoisier a entrebâillé une porte. C’est bien la vocation de la CinéFabrique, après tout…


Une journée portes ouvertes en ligne

Crise sanitaire oblige, la CinéFabrique s’adapte et organise pour les curieux une Journée portes ouvertes [virtuelle] le samedi 27 mars proposant d’échanger avec les élèves par Zoom. Un bon moyen de découvrir les enseignements, le concours (pour lequel les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 16 avril).

En salle de montage. Chut ! ©VR

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