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Quand on arrive en livre !

Aurélien Martinez : « les Verts n'y connaissent pas grand-chose en politique culturelle »

Politique / Aurélien Martinez, ancien rédacteur en chef du Petit Bulletin édition de Grenoble, vient de publier chez Bouquins Quand les Verts arrivent en ville. Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Annecy, Poitiers, Besançon, Tours… Il a enquêté sur les premiers pas des maires écologistes élus lors des municipales de 2020, dans le sillage de l’élection en 2014 d’Éric Piolle à Grenoble.

L’impression générale, en refermant le livre, est que malgré leur appartenance au même parti, les disparités politiques sont énormes entre les différents maires écologistes de grandes villes. On a même l’impression qu’ils ne communiquent pas : c’est vous qui leur apprenez, parfois, ce qui se fait chez leurs homologues…
Aurélien Martinez :
L’idée de "vague verte" donne l’impression d’un collectif. Mais quand on va dans les villes, on voit que finalement, un maire Vert comme Éric Piolle est très social, très ancré à gauche ; 100 km plus loin à Annecy, on a François Astorg qui gouverne avec une dissidente macroniste. Pierre Hurmic, à Bordeaux, est un politique aguerri qui était au conseil municipal, dans l’opposition depuis 1995 ; Grégory Doucet, à Lyon, est novice en politique — il vient de la société civile et militante… Quand on dresse un panel, on constate que les maires Verts sont très différents les uns des autres, et le terme "vague verte" masque ça.

Il y a aussi la notion de surprise qui accentue ces disparités. Certes, avant les municipales, quelques villes étaient repérées comme possiblement gagnables par EELV, notamment Besançon. Mais dans d’autres, personne ne pensait que les Verts allaient gagner. Donc beaucoup sont arrivés au pouvoir sans qu’il y ait eu un immense travail en amont. Ils ont dû se mettre directement à la tâche dans leur ville, d'où le fait qu'ils soient aujourd'hui chacun dans leur sillon.

Même si, quand on creuse, certains se sentent tout de même proches les uns des autres. Grégory Doucet à Lyon m’a clairement dit qu’il se sentait très proche de Léonore Moncond'huy à Poitiers et de Jeanne Barseghian à Strasbourg ; c’est surprenant parce que géographiquement, il est beaucoup plus proche d’Éric Piolle !

Le maire de Grenoble est l’un des rares à avoir refusé de vous parler pour ce livre. 
Je le connais bien pour l’avoir suivi quand j’étais rédacteur en chef du Petit Bulletin de Grenoble. On a souvent échangé. Et là, c’est vrai qu’il m’a laissé mariner pendant quatre mois avec cette histoire de primaire écologiste, en sous-entendant qu’il verrait ce qu’il ferait selon les résultats.

Il a perdu, donc il avait logiquement plus de temps ; mais quinze jours après, son attachée de presse m’a dit qu’il ne répondrait pas. Pourquoi ? C’est la grande question ! Une autre maire ne m’a pas parlé : Jeanne Barseghian (Strasbourg) ; elle m’a même fermé la porte de tous ses adjoints, je n’ai pu rencontrer personne. Éric Piolle n’est pas allé jusque-là.

Beaucoup des nouveaux élus sont issus de la société civile, de milieux associatifs, militants… Que donne ce mélange de vent de fraîcheur, mais aussi d’inexpérience ? 
Il y a quand même des politiques expérimentés : Pierre Hurmic à Bordeaux et Anne Vignot à Besançon, pour ne citer qu'eux, étaient déjà élus – Anne Vignot était même adjointe. En revanche, c’est vrai que certains arrivent pour changer les choses et ne sont pas très familiers de la chose politique. Leurs adversaires leur reprochent fortement cette inexpérience, mais eux considèrent que c’est un atout de ne pas être des professionnels de la politique. 

Après, ils le deviendront sans doute pendant leur mandat en gagnant en expérience ! À ce titre, l’exemple grenoblois est frappant. En 2014, beaucoup de nouveaux élus inexpérimentés sont arrivés au pouvoir puisque pendant la campagne, Éric Piolle pensait peut-être pouvoir gagner, mais sûrement pas seul. Il pensait fusionner au second tour avec la liste socialiste et s’entourer alors d’adjoints préparés. Ça ne s'est pas passé comme ça. En 2020, c’est très différent, avec des gens qui sont venus pour des postes, des alliances ont été faites, des débauchages… La liste de 2020 était beaucoup plus politique, pensée pour la victoire et l'exercice du pouvoir.

Je n’ai pas senti d’élan autour d’Éric Piolle

Grenoble a été pionnière, première ville écologiste de plus de 100 000 habitants en 2014. Cette expérience a-t-elle été une référence pour les maires élus en 2020, en matière d’exemples à suivre ou, au contraire, de choses à ne pas faire ? 
C’est assez surprenant, vraiment... J’ai commencé mon enquête en pleine primaire écologiste. Je pensais que tout le monde allait me parler d’Éric Piolle, qu’il serait naturellement le leader des maires Verts. Finalement, on ne m’en a pas parlé tant que ça, et plus souvent en contre-exemple sur le sujet de la culture.

Je n’ai pas senti d’élan autour d’Éric Piolle. Ça s’est traduit au moment de la primaire. Il aurait pu dire : regardez ce que je fais à Grenoble, voilà ce que je ferai demain pour la France. Il a tous les leviers. Finalement, il finit quatrième… Ça montre clairement qu’il n’est pas arrivé à imprimer sa patte durant son premier mandat, au niveau national, malgré tous ses efforts. Diriger une ville de la taille de Grenoble, et surtout la seule grande ville écolo entre 2014 et 2020, logiquement ça aurait dû lui ouvrir pas mal de portes.

La culture, c’est l’un des secteurs qui avait de fortes attentes en voyant les Verts arriver, et qui a eu beaucoup de déceptions, voire d’accrochages, avec les majorités écolos. On le sait à Grenoble, notamment sur le premier mandat, est-ce le cas dans toutes les villes ? 
J’ai beaucoup parlé avec les représentants des milieux culturels de chaque ville, et en grande partie, ils avaient voté pour ces listes vertes. Donc oui, il y avait une forte attente. Mais il y avait le contre-modèle grenoblois : tout le monde se disait, il faut qu’on soit vigilant à ce que nos élus ne suivent pas l’exemple grenoblois. Clairement, les premières années de l’expérience grenobloise ont fortement marqué le milieu culturel français.

On parle ici de la suppression de la subvention aux Musiciens du Louvre, de la baisse de celle de la MC2, et de la fermeture de plusieurs bibliothèques, au début du premier mandat d’Éric Piolle. 
C’est ça. Il y a eu une série de décisions, mais c’est surtout une politique culturelle assez illisible qui pouvait faire peur. Venant de la gauche, c’était surprenant. Après, Grenoble, à mi-mandat, a essayé de redresser la barre, d’être plus lisible et de rassurer. Ça a sans doute marché. Alors qu’à l’approche des municipales de 2020, dans une partie du milieu culturel comme dans d’autres – économique notamment –, beaucoup disaient « Piolle, plus jamais », Éric Piolle a finalement été réélu plutôt confortablement. Donc c’est un peu plus compliqué que ça.

Bordeaux a aussi eu sa part dans la relation houleuse d’EÉLV avec le monde culturel… 
À Bordeaux, ils ont commencé à suivre les pas grenoblois, et se sont vite rendu compte que la question culturelle pouvait leur pourrir le mandat. Ils organisaient un forum culturel, qu’ils ont voulu promouvoir au grand public en faisant des affiches un peu provoc’ – par exemple "artiste, c’est un métier ?" ou encore "la culture, ça coûte trop cher ?". C’était en pleine crise du Covid, c’est très mal passé. Après, ils ont fait marche arrière, c’est resté plus calme qu’à Grenoble.

L’une des conclusions de mon chapitre consacré à la culture, c’est que concrètement, les Verts n’y connaissent pas grand-chose en politique culturelle. Ils sont beaucoup en contre – contre le modèle Malraux-Lang, contre une certaine culture élitiste –, mais ils ont un peu plus de mal à être en pour, à proposer des choses. Alors soit, clairement, ils abandonnent le volet culturel. C’est ce qui s’est fait habilement à Lyon : les Verts ont fait alliance entre les deux tours avec une candidate de gauche, Nathalie Perrin-Gilbert, très référencée dans le milieu culturel lyonnais, très appréciée, et ils lui ont donné les clés de la délégation culture. Soit, comme dans d’autres villes, ils cherchent d’autres directions. Par exemple, à Poitiers, ils ont un élu "aux droits culturels". C’est la marotte de quelques Verts qui s’intéressent à la culture, un sujet assez complexe. Reste à voir ce qu’ils en feront.

C’est simplement une coupe budgétaire

Finalement, il y a une volonté de remise en cause profonde du modèle culturel en vigueur, mais derrière, il n’y a pas de projet ou de vision à long terme. 
C’est ce que me dit de façon assez intelligente Salvador Garcia, le directeur de la scène nationale Bonlieu à Annecy. Les Verts pointent sans doute quelque chose de sensé ; le modèle culturel français est en crise, il y a de moins en moins de gens dans les salles, on a l’impression que la culture est de plus en plus renfermée sur elle-même. Mais s’il s’agit de baisser de 400 000 euros la subvention d’un orchestre, sans dire où sont réinvestis ces 400 000 euros, ce n’est pas une politique culturelle, c’est simplement une coupe budgétaire. 

Les élus verts apprennent aussi à conjuguer leur politique avec la réalité, ce qui n’est pas toujours sans heurts, notamment en matière d’urbanisme. Deux ans après, est-ce mieux intégré ? 
Ce qui pose problème aux Verts, c’est qu’ils ont été élus sur des programmes très séduisants pour leur électorat, mais qui étaient parfois imaginés comme des programmes d’opposition. L’adjoint à l’urbanisme de Bordeaux me le dit clairement : ils ont employé des mots forts comme "zéro artificialisation des sols" ou "moratoire sur les grands projets urbains", en imaginant pousser ces idées sur le devant de la scène. Sauf qu’ils se retrouvent au pouvoir, et là, ils sont confrontés à la mise en place de mesures très compliquées à réaliser. 

Il y a aussi cette quête de démocratie participative. Qu’est-ce que ça donne ?
La démocratie participative, c’est à la mode, et les Verts portent fortement cette idée. C’est assez balbutiant, mais eux l’investissent à fond. Parfois, ça fait un peu vernis ; on l’a vu pendant le premier mandat grenoblois. Il y a eu beaucoup de dispositifs, parfois retoqués par la Préfecture… De nouveaux arrivent, mais ils sont assez complexes à comprendre. Pour l’instant, ça donne un peu une impression de verbiage. À part des dispositifs très clairs et identifiables, comme le budget participatif, le reste est compliqué. Ce sera un gros enjeu du premier mandat des nouveaux élus.

Le 14 juin, Éric Piolle brandissait des burkinis devant le Conseil d’État, nouvelle étape de son combat pour l’autoriser dans les piscines municipales. Comment les autres maires EELV voient ça ? 
Là, ça montre bien qu’il n’y a pas d’uniformité… Piolle, là-dessus, est contesté jusque dans sa propre majorité. J’ai tout un chapitre sur les questions d’identité et de laïcité, compliquées chez les Verts. D’un côté, il y a la volonté de promouvoir une laïcité inclusive. Et de l’autre, les maires Verts ne veulent pas se faire critiquer avec ces mots que beaucoup emploient, islamo-gauchistes et compagnie. Leur position est très difficile à tenir.

D’ailleurs, Éric Piolle a essayé de la tenir pendant des mois, durant la première partie de la crise burkini, en demandant à l’État de légiférer. Finalement, il a décidé de prendre parti. Mais sur ces sujets, les maires Verts restent en équilibre et ne savent pas exactement comment se positionner. C’est compliqué notamment parce qu’ils ont des gens très différents dans leurs majorités, ils sont tiraillés entre des visions opposées. 

Selon vous, l’intégration d’EELV à la Nupes peut-elle les renforcer, ou au contraire les noyer ? 
C’est compliqué de prévoir la politique, et ça l’est encore plus chez les Verts. Chez eux, ça peut être différent du jour au lendemain, ils sont assez rock’n’roll, et il n’y a pas de chef. Chez LFI, si Mélenchon dit « ce sera ça », c’est difficile de s’y opposer. Chez les Verts, tout le monde peut s’opposer à tout le monde, c’est même un sport national.

Après, vu leurs scores décevants aux Régionales et Départementales de 2021, et à la présidentielle de 2022, peut-être qu'avec la Nupes, les Verts se rendront compte qu’ils sont un groupe dans un groupe, qu’ils devront être plus cohérents, qu’ils devront bosser ensemble. Et là, les maires auraient une carte à jouer à gauche, en disant : on administre presque deux millions de Français, peut-être qu’on a un modèle de société à promouvoir.

Aurélien Martinez, Quand les Verts arrivent en ville (Bouquins éditions)

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