Sa Présidanse

Entretien / Christophe Salengro, Président du Groland et danseur chez Philippe Decouflé, notamment dans sa dernière création “Sombrero”, il impose sa silhouette dégingandée comme un authentique contre-pouvoir. Propos recueillis par Christophe Chabert

Mon premier souvenir de vous, c’est une pub pour Free Time, qui ne passait que dans les cinémas…Christophe Salengro : C’était une chaîne de fast-foods que j’ai réussi à faire couler, j’en suis très fier, faut que je m’attaque à Mac Do maintenant. À l’époque, on pouvait faire tout et n’importe quoi dans les publicités. C’était Etienne Chatiliez qui réalisait, il m’avait choisi sur un casting. Ce n’est pas la première que j’ai faite, mais elle a marché beaucoup. La pub était en deux parties, une première sordide dans une cave avec le hamburger qui dégouline sur les chaussures, une nana qui venait en me demandant “T’as pas 100 balles ?”, des rats qui couraient derrière ; et la deuxième avec un super beau mec, une super nana, mais celle-là personne ne s’en souvient. Je ne sais pas si c’est pour ça que la boîte a coulé…Et avant ce casting…Je suis architecte, je passais mon diplôme à l’époque et j’avais des cours de cinéma. On avait des profs de cinéma comme Jean Rouch. Je voulais être acteur mais je trouvais ça trop compliqué et trop bizarre ; pour faire plaisir à mes parents, je faisais des études sérieuses. J’ai quand même réussi à venir à Paris — je suis provincial, je viens du Pas-de-calais — et ça m’arrivait de faire des figurations. On avait un cabinet d’architecture du côté de Vincennes, et Ariane Mnouchkine tournait Molière. J’ai fait de la figuration dedans, habillé en fille pour la scène du carnaval d’Orléans. Un an après, j’avais des copains qui faisaient de la bande dessinée dans le Pas-de-calais et qui m’ont fait découvrir à Paris toute l’équipe de Hara-Kiri, et notamment le Professeur Choron. J’ai fait des romans-photos avec eux, et on s’entendait bien. Choron est un de mes mentors, avec Jean-François Bizot que j’ai connu après par la même bande. J’étais impliqué dans une agence de “mannequins” qui s’appelait Quasimodo, qui s’occupait de tronches. Disons que c’était des gens au physique intéressant…Vous êtes donc passés par la bande de la contre-culture…Tout à fait. Mon diplôme d’architecture c’était une approche sociologique des architectes : comment se rebeller en architecture. Quand on exerce, c’est extrêmement compliqué… Comment faire un gros caca qui va durer 150 ans. Sans être suicidaire, j’avais des difficultés pour entrer dans la société, et ces rencontres m’ont offert une porte de sortie, ou d’entrée. on parlait beaucoup d’entrisme, et c’est ce qu’on a fait par la suite en faisant Groland, en entrant dans la maison Canal + pour faire nos conneries. Decouflé, Grand Magasin, Delépine et Moustic, Choron ou Bizot, ce sont des rencontres qui montrent que l’on n’est pas tout seul et que l’on peut faire des choses ensemble.La rencontre s’est faite dans les deux sens : votre envie croise l’envie des autres…Ça se croise naturellement avec parfois des accidents. Si j’étais resté à Lens, j’aurais croisé personne. Benoît Delépine, je l’ai rencontré alors qu’il était rédacteur en chef de Création magazine, un magazine de pub, dont le directeur était Christian Blachas. Il avait fait un magazine à Lille qui s’appelait Fac Off, dont il prétendait être rédacteur en chef. En fait, c’était du flan, un gros coup de pub et ça a marché. Delépine voulait faire la Une sur la pub Gerflor, qui avait eu beaucoup de succès et dans laquelle je jouais, et on s’est rencontré au bistrot en bas des bureaux. On a passé 6 heures à se torcher la gueule, on est devenu hyper-pote et on s’est dit qu’on devait faire des choses ensemble. On a fait nos conneries d’abord, des shorts qui s’appelaient Speaky TV où je jouais un personnage enfermé dans un poste de télé. Il est parti chez les Guignols, moi je suis parti chez Decouflé, Moustic écrivait des sketchs pour Les Nuls. On avait fait un pilote avec Telema pour un magazine culturel sur La Sept, et ils avaient produit le pilote de Groland. Ils nous ont dit que c’était nul à chier, qu’on n’allait jamais pouvoir rien en faire… Quelques années plus tard, il manquait une rubrique pour les Nouveaux, qui remplaçaient Les Nuls, et c’est là qu’on a placé Groland. Moustic adorait le journalisme, il était à RMC — d’ailleurs, Groland c’est un peu Monte-Carlo mais en plus populaire. Les Nouveaux se sont arrêtés assez rapidement, et nous on fête nos 15 ans cette année.Que ce soit avec Decouflé ou avec Groland, ce sont des aventures à très long terme…C’est de fidélités. Je me sens bien avec eux et eux se sentent bien avec moi, pourvu que ça dure. Avec Philippe, on a fait des projets séparément mais on se retrouve, on fait des trucs, on en a marre… Benoît Delépine fait des longs-métrages de temps en temps, il m’appelle et me dit de passer le voir. Les longs métrages de Delépine et Kervern, c’est un peu le trait d’union entre l’univers de Decouflé et l’esprit de Groland…Groland, c’est une manière de faire des trucs rigolos et un peu politiques. Decouflé, c’est plus poétique, même s’il y a un fond. On a la chance de faire quelque chose de populaire dans les deux cas, mais qui sont aussi intéressants. J’arrive à faire mes trucs rigolos chez Decouflé parce qu’il aime bien mes ponctuations dans son univers très abstrait, ça met un peu de sel et de poivre dans la cuisine. Grand Magasin, aussi, ce sont des gens intéressants. J’aimerais bien faire d’autres choses mais j’ai pas le temps… Je refuse pleins de trucs en ce moment, je ne suis pas Sarkozy, je n’ai pas la chance de pouvoir travailler 28 heures par jour comme lui. Je suis en train de lire L’ennui quel bonheur ! qui parle de l’anti-activisme, montre que Louis XI a gagné par rapport à Charles le Téméraire, qu’Einstein s’ennuyait beaucoup.Comment se passe la collaboration avec Groland ?Ça se passe comme Chirac vis-à-vis de Sarkozy. Moi, je suis le Président, je ne fais pas grand-chose. On donne des lignes directrices, je discute beaucoup avec Benoît qui habite Angoulême, Moustic est à Guétary. Il y a des auteurs qui se réunissent chaque mercredi, chacun peut envoyer des sketchs, j’en envoie aussi de temps en temps. Mais la direction, c’est Benoît et Moustic. Moi, j’interviens en disant “ça serait mieux de faire ça”. Ce que j’aime beaucoup et que je dirige un peu plus, ce sont les interventions en vrai, les manifestations de jumelage, et le festival de Quend ; on retrouve des gens qui se sentent grolandais comme nous, et qui viennent en nombre pour faire la fête, parler avec nous. Ils immigreraient bien au Groland…Ce sentiment d’être grolandais, vous l’avez intériorisé, ou vous gardez une distance avec votre “personnage” ?J’adore la France, mais le sentiment d’être grolandais, c’est cette rébellion qui vient de Choron, Bizot, c’est le fruit de toutes les discussions que l’on peut avoir sur la politique intérieure française, c’est une possibilité de répondre à ça autrement que par un bulletin de vote tous les cinq ans. C’est un contre-pouvoir important. Actuellement, si on proposait une émission comme Groland aux chaînes de télévision, ça passerait pas du tout. C’est pour ça qu’on s’accroche. L’an dernier, on était un peu trop anti-sarkozy et on nous a fait comprendre qu’il ne fallait pas attaquer frontalement. C’est pour ça qu’on est revenu cette année avec un décor rose, gentil, avec des fleurs partout.L’investissement physique pour vous paraît sans limite, chez Decouflé comme dans Groland…Il y a la limite de l’âge. Je ne suis pas danseur à l’origine, j’ai commencé avec Decouflé à l’âge de 30 ans, je n’ai pas la souplesse des autres danseurs…Mais vous pouvez vous permettre des choses, dans le burlesque notamment, que des danseurs expérimentés auraient sans doute plus de mal à faire…C’est pour ça que je me blesse si facilement ! C’est vrai que dans Groland, je m’investis pas mal physiquement. Je me rappelle qu’à l’école je détestais le sport, et maintenant je ne fais que ça. Ce n’est pas du masochisme, c’est agréable de bouger. Au départ, la danse, ça me paraissait incongru, inintéressant. À l’époque, il y avait les grosses fêtes d’Actuel organisées par Bizot au cirque d’hiver, il y avait Rachid Taha avec Carte de Séjour, que j’adorais, et Régine Chopinot et Philippe Decouflé qui dansaient en maillots de bain, c’était super-beau C’était le début de la danse contemporaine française. Parallèlement, Marc Caro avec qui j’avais fait pleins de courts-métrages, avait un groupe de musique hyper-destroy, Parasites. Il m’a présenté Decouflé pour qui il faisait des musiques. Il faisait un trio autour de Frankenstein, dans un lieu de danse avec tous les nouveaux chorégraphes, Prejlocaj, Chopinot… Decouflé faisait la créature de Frankenstein, Caro faisait le professeur avec une pognée sur le dos et Michou, la copine de Decouflé à l’époque, faisait la fiancée de Frankenstein. J’ai vu ses autres spectacles, notamment Tranches de Cake, je les avais suivis à Berlin, je trouvais ça super-bien. On se voyait dans les fiestas, et il trouvait que ma manière de bouger avec mon corps dégingandé était intéressante, donc il m’a engagé sur un court métrage, Caramba !, dont Caro était directeur artistique. On a fait ça au Louxor, une salle de cinéma désaffectée. Il m’a ensuite proposé une pièce, alors que je n’avais jamais fait de scène et encore moins de danse, un duo avec une toute petite danseuse. J’ai dit pour rigoler “D’accord !”. On a fait Codex et après ça s’est enchaîné.La collaboration avec Decouflé, ça se passe comme avec Groland ? Vous suggérez des choses ? Vous participez aux textes ?Bien sûr. Philippe laisse beaucoup de place aux gens. Il intervient au début pour les idées de départ, et à la fin pour la mise en scène, mais sinon c’est un vrai travail d’équipe. La vidéo, la musique, le son, les lumières, ça s’élabore en cours de route. Moi j’interviens au départ, mais Philippe n’aime pas les textes, la narration, les histoires. Chaque fois, je me démerde pour faire les textes, et là, il voulait prendre quelqu’un d’autre pour faire du neuf. Avec Claude Ponti ça s’est très bien passé, il a écrit des tonnes de textes, mais Philippe nous a laissé les triturer, les modifier. Il manquait toujours une histoire, et c’est là que j’ai fait entrer l’idée de François et Françoise, par rapport aux deux danseurs vedettes, Alex et Olivier. Le départ, c’est l’ombre et la lumière, le rapport avec le cinéma, mais après c’est l’auberge espagnole. Ce qui est bien, c’est que les gens puissent rentrer dedans, qu’ils rêvent et qu’ils soient contents. Dans le spectacle précédent, Chazam, je faisais un truc avec un autre comédien, on parlait du corps : “Corps, ô mon corps, si tu es là, fais-moi un signe…”. C’est un truc de lendemain de cuite, quand tu ne peux pas bouger le petit doigt. Un lendemain de réveillon, on était raide morts avec ma copine, on allume la télé et il y avait le cirque de Pékin avec des acrobates… Et là on se dit : “Oh, putain !”.L’avenir ? Un an de plus avec Groland ? Le nouveau film de Delépine et Kervern, Louise Michel ?J’y fais un petit passage. C’est marrant… Ça sera en couleurs, avec Yolande Moreau, qui joue un homme qui est devenu une femme, et Bouli Lanners, qui joue une femme devenue homme. Je suis dans un bar gay où Philippe Katerine chante en travesti “Jésus-Christ, je t’aime”. Moi je suis en string sur le bar en train de chanter “Je suis sentimentale”.Sombrerode Philippe DecoufléÀ la Maison de la Danse jusqu’au 13 octobre

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