Le Rouge et le Blues

Album après album, Red explore les entrailles du blues. Sur Social Hide and Seek, il joue à cache-cache avec les faux-semblants et, des ténèbres, fait jaillir la lumière. Stéphane Duchêne

À constater sa ressemblance frappante avec Lénine («surtout de profil»), et au vu de son nom de scène, on pourrait aisément soupçonner Red d'accointances bolcheviques. Mais Red ne milite pas : «ne pas adhérer complètement à une cause, c'est déjà ne pas la trahir», assure-t-il. Ce pseudonyme, Olivier Lambin le tient en fait d'une particularité physique : «je jouais dans un bar où le patron me surnommait Red à cause de mes cheveux. Comme je n'avais pas de nom de scène, il a écrit «Red» sur l'affiche». Red est donc né dans un bar. Il les fréquente d'ailleurs assidûment, y a travaillé à l'alcool cette voix profonde et rocailleuse. Canyon sans âge brûlé à l'incandescence des mégots, elle porte aussi les inflexions cotonneuses des vieux maîtres : Robert Johnson et autres beatniks noirs. Comme eux, Red a sillonné les routes, mais pas les mêmes : Rennes, Annecy, Villeurbanne, avant le retour, forcément provisoire, dans son Lille natal. Comme eux, il a accumulé les boulots aberrants, vendu des radiateurs par téléphone, joué le clochard céleste et chantant (mais non baisant) dans un porno de John B. Root, et même fait le croque-mort. Chemin à la Kerouac, errance beat faite de survie alimentaire et de transcendance du quotidien : «on devrait obliger les musiciens à faire six mois en usine, on y rencontre des gens magnifiques, des histoires incroyables». L'essence du blues, donc, rencontré à 5 ans, via le tamis folk de Bob Dylan : «Just like a woman a été mon premier 45 tours, je suis tombé à genoux». Suivent les Stones dont les textes lui enseignent l'Anglais, Chuck Berry dont il apprend par cœur les riffs après avoir troqué sa guitare classique d'apprenti pour un engin électrique trimballé, schéma ordinaire, au gré des formations rock. St William BurroughsVenu à l'exercice solitaire, à l'écumage de bars chansons en bandoulière, il rencontre le guitariste de jazz Noël Akchoté. Lequel le signe sur son label, Rectangle, enthousiasmé par ce talent malade et son premier symptôme, Felk, ovni musical régalant pareillement puristes et branchés à coups de blues concassé et d'électronica lo-fi. En guise d'esquive à l'incontournable chausse-trappe du deuxième album, Red dérobe celui d'un autre : Songs from a Room de Léonard Cohen, qu'il régénère intégralement, en clonant même la célèbre pochette où seul son visage dans la pénombre s'y substitue à celui du «Ladies'Man». Au départ, une blague vaguement situationniste «l'idée, c'était d'aller placer moi-même quelques exemplaires dans les bacs, au milieu des disques de Cohen». Mais Rectangle trouve dommage de ne pas sortir pour de bon cette exégèse primitive, interrogeant le statut de l'œuvre d'art, son caractère sacré. Le Sacré, il en est encore question en 2002. Red l'empoigne un soir sans fin dans un motel américain : «J'avais bu trop et comme je n'arrivais pas à dormir, j'ai cherché de quoi lire dans la table de nuit. Or là-bas quand tu ouvres un tiroir, tu tombes forcément sur une Bible». Il y puisera, à l'âge du Christ, l'inspiration de l'imposant 33, adoubé par Universal Jazz, quelque chose comme l'Evangile selon St William Burroughs, où l'agneau de Dieu, devenu cafard, est sacrifié à coups de talon : «En fait, j'ai toujours détesté la religion. Je me suis inspiré de textes bibliques, mais je ne me laisse pas facilement influencer par des bouquins écrits il y a 2000 ans pour des cul terreux». Dérives poisseusesIl y a en effet moins de béatitude que de doute chez Red. Ses complaintes hantées et heurtées ne se résignant à la sérénité que sur certains morceaux de Nothin' to Celebrate (2004), exercice country-folk déraciné, à cheval entre Lille et Louisville (Kentucky), soigné mais pas totalement guéri pour autant. Comme en témoigne la présence de son pote Will Oldham, alias Bonnie 'Prince' Billy, venu prêter son falsetto tourmenté et son venin triste. Difficile pourtant de réduire la production de Red à une bande son des dérives poisseuses d'un vagabond existentiel voyant l'avenir «comme une immense partouze de gens propres sur eux». Certes, le récent Social Hide and Seek, expression de «colère noire et bestiale» où l'intransigeance du blues industriel de Detroit (MC 5, Stooges) le dispute aux incantations vaudous (16 Horsepower, Gun Club) est un album rugueux, sourd, malfaisant. Mais à force d'être criblés de balles les cadavres finissent par laisser passer la lumière. Red se chauffe à l'ironie et chaleureux, arrache les sourires au scalpel. Sur Fuckin' Hell, il l'avoue : il aurait aimé être un crooner, chanter de la guimauve avec une voix de maquereau. La vérité c'est qu'il apprécie peu qu'on le cantonne à l'art plaintif du blues, lui l'admirateur d'Albert Ayler et des Beach Boys. Quand on l'interroge sur ses indispensables du moment, il répond : «je ne suis jamais à la page, là j'écoute surtout du funk», puis ajoute : «j'attends avec impatience le prochain disque de Britney Spears qui s'est mise à picoler, il risque d'être marrant celui-là». Ne pas adhérer complètement à un genre, c'est aussi, peut-être, refuser de s'en donner un. REDÀ l'Epicerie Moderne Le 16 février (avec Petra Jean Phillipson et François Virot)«Social Hide and Seek» (Universal Jazz)

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