À fond les bas-fonds

Entretien / De passage à Lyon pour le festival à l’Auditorium D’un monde à l’autre, nous avons rencontré les membres de Bajofondo.

Entretien / Pour faire simple, d’abord, le tango. Nous sommes dans les années 20 et le sourire étincelant (mais chargé de nostalgie) de Carlos Gardel illumine les faubourgs argentins. Ensuite, la «vieille garde» du tango se sent déboussolée quand Astor Piazzolla, jeune prodige du bandonéon, crée dans les années 60 son quintet Nuevo tango. Ses compositions mélangent aisément le jazz, le classique et la folie. Quand les critiques affirment que ce qu’il fait n’est pas du tango il répond sobrement : «C’est la musique contemporaine de Buenos Aires». À la fin des années 90 le sous-genre de ‘tango éléctronique’ se consolide internationalement avec l’énorme succès commercial du groupe franco-argentin Gotan Project. Des centaines des samplers commencent à retoucher les vieux chants des faubourgs et le tango devient malgré lui du ‘chill-out’. Cependant, le tango est redécouvert. D’une part, toute une génération de sud-américains commence à dépoussiérer et à retravailler cette musique que fredonnent sans cesse les grand-pères. De l’autre, l’identité traditionnelle, musicale et culturelle, de la région du fleuve de La Plata se voit confrontée, et doit donc faire face, à toutes ses autres expressions musicales contemporaines. En 2004, le collectif Bajofondo sort un premier album, Tango Club, qui est à la recherche du son représentatif de cette région du cône sud. Le résultat est un beau mélange de tango, trip-hop, house, musique folklorique qui essaye de rendre compte de l’actualité et surtout de la diversité des propositions musicales de cette partie du continent. Les albums suivants, Supervielle et Mar Dulce approfondiront dans cette recherche et refuserons même d’être catalogués comme du tango et de l’électro, l’objectif étant de tracer un véritable nouveau chemin musical. Le compositeur/musicien/producteur argentin Gustavo Santaollalla, responsable de la musique des films d’Alejandro González Iñarritu (Amours chiennes, 21 grammes, Babel), de Walter Salles (Carnets de voyage) et d’Ang Lee (Brokeback Mountain), pour lesquelles il a déjà empoché deux Oscars, est aussi le responsable de cette initiative. De passage à Lyon pour le festival à l’Auditorium D’un monde à l’autre, nous l’avons rencontré, en compagnie du bandonéoniste de Bajofondo, Martín Ferrés. Le Petit Bulletin : Les tangueros Piazzolla et Ferrer expliquent la magie de Buenos Aires en parlant très subtilement de ce ‘je ne sais pas quoi’ qu’ont ces ruelles. Qu’est ce qu’elles ont finalement ces ruelles qui regardent grandir des artistes si divers ? Gustavo Santaolalla : Bon, je ne sais pas, justement (rires). Déjà dans notre cas, ce sont les ruelles des deux côtés du fleuve de la Plata, de Buenos Aires et de Montevideo, parce que nous sommes Argentins et Uruguayens. Et, bon, je pense qu’elles ont une saveur spéciale, très particulière, qui est le fruit d’une grande mixité culturelle propre à cette région. Martín Ferrés : En effet. Je suppose que cela se reflète dans ce que nous voulons exprimer, dans notre musique, bien sûr, où nous nous baladons aisément à travers ces ruelles qui débordent de passion mais aussi de nostalgie. Et quel serait le ‘je sais pas quoi’ des ruelles françaises ? GS : C’est peut-être un français qui devrait répondre à cette question. Cela serait intéressant de voir comment il répond, de voir comment un Gainsbourg aurait répondu, par exemple. Mais regardez, il y a bien des choses en commun, quand même. Nous venons d’un pays d’immigrants. La région du fleuve de la Plata, notamment, a eu des constantes vagues d’immigration et donc de métissage. Nous avons donc intégré beaucoup de choses d’autres cultures et surtout des cultures européennes. Le tango en est l’exemple parfait, qui naît d’un mélange de cultures, de rythmes traditionnels comme le candombé et d’instruments européens comme le bandonéon. Et en plus, le tango a eu une grande synergie avec la France depuis toujours. Des quartiers tangueros traditionnels à Buenos Aires, même aujourd’hui, gardent des noms français. MF : C’est vrai. En plus, la première fois où le tango a été montré et reconnu en dehors de l’Argentine (et en dehors des bordels argentins, où le tango est né), c’était en France. Si on le dit avec les expressions d’aujourd’hui, la première tournée internationale du tango a commencé à Paris. Si le tango est né d’un mélange de cultures musicales qui se sont retrouvées, à l’origine, dans les faubourgs, le nom de votre collectif, Bajofondo (Bas-fonds, en français), ne doit donc pas être anodin. Vous êtes tous issus des mondes musicaux très différents (rock, électronique, house, tango, rap, folklore…). Est ce que ce mélange de styles représente les bas-fonds actuels ? Est-ce que votre musique naît de ce nouveau métissage grandissant ? GS : Bien sûr, je pense que l’intention de notre groupe est d’essayer de faire une musique qui représenterait de la meilleure façon possible ce que nous sommes, d’où nous venons. C’est une musique qui vient de ce qu’on est, c’est-à-dire, d’un mélange de beaucoup de choses qui ont une identité très propre mais qui en même temps sont aussi très influencées par tout ce qu’on a écouté depuis qu’on est gamins jusqu’à maintenant, et tout ce qu’on continue à écouter. Il y a une recherche dans notre musique qui veut transmettre du plaisir, qui veut transmettre aux gens qui nous écoutent cette sensation exhilarante de jouir de la vie. Et où est ce que vous laissez les paroles de Cambalache, hymne du tango qui affirme que ‘la vie est et sera toujours dégueulasse’ ? GS : Les paroles du tango sont souvent très sincères, très très pertinentes, mais non, pas cette fois ci, malgré les difficultés la vie est et sera la plus belle chose qu’on a. Propos recueillis par Nicolás Rodríguez Galvis après le concert de
Bajofondo, le 5 avril 2008, à l’Auditorium de Lyon

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