Le Mal Entendu

Portrait / Silvain Vanot, chanteur. Encensé par la critique, cette figure du rock français des années 90 a mis les voiles au début des années 2000, miné par le manque de reconnaissance public. Après sept ans de réflexion, il réapparaît sur la pointe des pieds avec ‘Bethesda’, remarquable sixième album de retour en grâce. Stéphane Duchêne

2002, sur la pochette d’‘Il fait Soleil’, Silvain Vanot, guitare à la main, a le nez à la fenêtre, baigné par la lumière du jour. Le temps est alors au beau fixe : il est pensionnaire d’une major et son album témoigne des moyens dont il dispose au service d’une pop raffinée promise au succès. Il chante : «Je suis heureux, il fait soleil. Et pourtant…». Pourtant… 2009, pochette de ‘Bethesda’ : sur une colline battue par les vents où visiblement après la pluie ne vient pas le beau temps, un Vanot presqu’un peu flou, grisonnant, limite hirsute. Entre les deux photos, le temps s’est couvert sur Silvain Vanot car, à vrai dire, il n’a pas fait soleil longtemps. Au lieu de ça : une éclipse de sept ans qui nous a presque fait oublier ces petits tubes de poésie triste qu’étaient ‘La Bouche Herbue’, ‘Le Petit Bois’ ou le sublime ‘Les Roseaux’. Dans les années 90, Silvain Vanot est l’un des chefs de file d’une scène française qui, de Dominique A à Miossec, d’Autour de Lucie à Diabologum, allie l’élégance patinée du verbe français à l’arrogance crasse du rock anglo-saxon. Neuf ans durant, cet ancien prof de lettres découvert par Murat, livre quelques magnifiques albums défendus par une poignée d’irréductibles et autres inrockuptibles. Mais à l’inverse de ce qui se passe pour un Dominique A ou un Miossec, à l’orée des années 2000, ‘Il Fait Soleil’ ne chasse pas suffisamment au-dessus des têtes de gondoles pour permettre à sa carrière de décoller. Analyse laconique de l’intéressé, sept ans plus tard : «Il me manque quelque chose à l’évidence… Quoi ? Pfiuhh». C’est ainsi, Vanot restera coincé au stade (bonne) critique. Vanité
À sa manière, le Rouennais anticipe alors la crise du disque, tirant sa révérence, contrat rendu avant qu’on le lui jette à la figure comme tant d’autres : «Je croyais avoir fait le tour de l’exercice et je ne supportais plus de faire semblant d’accepter l’insuccès. Faire comme si de rien n’était. Comme si le disque suivant allait tout changer alors que rien ne changeait». Puis, il ajoute tel l’Ecclésiaste : «Vanité». Vanité qu’il met alors en sommeil des années durant, passées à écrire en mode désincarné, essentiellement pour des films et des documentaires. Mais vanité saine qui toujours ravive le goût de cette vie d’avant : «Composer et enregistrer de la musique pour l’image m’a procuré des joies et de quoi voir venir mais la scène me manquait. La route avec des amis… Ce que la musique peut procurer de joies simples : la fatigue d’après concerts, l’adrénaline, les applaudissements». Avec ces sensations, il se rabiboche doucement, accompagnant les autres pour mieux laisser le virus le reprendre : «Peu à peu j’ai réécrit des chansons, pour d’autres comme Mareva Galanter, puis pour moi et les disques Megaphone m’ont proposé de faire un album juste au moment où j’avais fini de l’écrire». C’est ‘Bethesda’, sixième album inespéré. ‘Bethesda’ du nom de l’endroit où le Christ guérit un paralytique. Le symbole est beau, du moins croit-on. Mais la vérité de ce ‘Bethesda’ est ailleurs : «C’est le nom de la bourgade où nous avons enregistré au Pays de Galles. J’ai aimé cet endroit pour l’énergie et le supplément d’âme qu’il nous a donné. Au milieu des montagnes et des lacs. Les références bibliques je les ai plutôt prises comme un clin d’œil». Maison de grâce
Il n’empêche que «Bethesda» signifie «maison de grâce» en hébreu et que Vanot, après des années d’absence, semble y rentrer comme à demeure. Renouant, dans l’instabilité de cette marche en avant retrouvée, lui que la lassitude avait presque rendu paralytique, avec cette grâce brute et fragile des premiers albums. Avec là encore un petit supplément d’âme ou, devrait-on dire, un supplément d’âge : «J’étais décidé à ne rien m’interdire : lyrisme des chansons d’amour, voix perchée jusqu’à la caricature, méchanceté…». Sur ce retour qu’on qualifie de remarqué mais discret (un modeste label indépendant, à peine quelques dates de concert), Vanot fait œuvre de lucidité quand nécessité fait loi : «‘Remarqué et discret’ je crois que c’est mon destin, c’est toujours mieux que ‘discret et inaperçu’». Ce destin, il semble néanmoins toujours le questionner sur ‘Les Cloches de l’Amour’ : «Est-ce moi qui déraisonne ou le monde qui est sourd ? /…/ Je sais : on dit, je m’illusionne / Je n’ai jamais persuadé personne mais pourquoi ?». Quelque chose nous dit, et ce disque en est la preuve, que Silvain Vanot ne lâchera jamais vraiment. C’est le même insatiable chercheur de lumière qui chantait en 1993 dans ‘La Bouche Herbue’ : «La nuit est longue et n’en finit plus / Je ne m’endors qu’après avoir aperçu l’aurore». Sans doute un peu dans l’espoir qu’il (re)fasse un jour soleil. Pour de bon et pour longtemps.Silvain Vanot (avec Troy Von Balthazar)
Au Ninkasi Kafé, vendredi 6 novembre
"Bethesda" (Megaphone Music)

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