Mark Eitzel

Don't be a stranger (Merge Records)

« She wrote I love you but you're dead » (I Love You but You're Dead), « I don't care if you live or die » (Break the Champagne), voilà le genre de choses que l'on entend sur cet album et accessoirement depuis toujours ou presque chez Mark Eitzel, autrefois maître d'œuvre du splendide American Music Club (sans doute l'un des noms de groupe les plus cools de l'histoire). Bref, depuis une trentaine d'années et son apparition au sein d'une scène américaine plaintive, dépenaillée mais fouineuse, chez Mark Eitzel c'est quand tout fout le camp que tout va bien. Particulièrement sur ce 6e album solo, disque le plus sombre et le plus minimaliste de l'homme au chapeau.

Crooner flapi

Il faut dire qu'Eitzel, 53 ans (ouille, le coup de vieux), qui avait reformé American Music Club en 2004 après dix ans de parenthèses (pour deux albums dont le sublime The Golden Age en 2008) a eu sa part de tracas. D'abord, une crise cardiaque dont il est réchappé de justesse en mai 2011, le laissant de longs mois sur le carreau. Puis le décès cette année, toujours d'une crise cardiaque, d'un des membres originaux du groupe, Tim Mooney. C'est donc assez logiquement en crooner flapi et fantomatique que le Californien réapparaît sur Don't be a Stranger. Un disque de crise, donc, où les esprits chagrins sont à la fête, mais qui ne peut jamais s'empêcher de laisser entrevoir une mince lueur d'espoir au creux de textes toujours divinement écrits – ou le sous-texte fonctionne comme une seconde couche – et d'une musicalité dont la finesse compense le minimalisme.

La tonalité charmeuse d'I Love You but You're Dead en ouverture – sans doute le titre le plus proche de ce que fut le laboratoire AMC – pourrait nous mener sur une fausse piste : celle d'un Eitzel en paix, aussi guilleret qu'il puisse l'être à ce stade de sa vie – Richard Hawley dans ses bons jours. Du moins si l'on ne prête guère attention à ses terribles paroles. La descente musicale est d'autant plus brutale sur le minimaliste et drakien I Know The Bill is Due, gai comme un redressement fiscal des sentiments – il faut bien payer un jour toute cette (fausse) joie, au minimum cette désinvolture, sur laquelle on a vécu à crédit.

 


Doux mirages

Mais toujours l'on se prend à entrevoir de doux mirages comme sur ces All my Love – revisitation d'un titre d'AMC au titre tronqué : il s'agit en fait d'amour impossible ou Costumed Characters Face Dangers While at the Workplace. Des morceaux qui ne sont pas sans rappeler les pépites en forme de bouddhas couchés de David Sylvian (l'ex-leader de Japan, reconverti depuis bien longtemps en crooner zen et atmosphérique disparu des radars et des rotations radio). Une tendance déjà à l'œuvre sur la discographie passée, bien plus riche, d'un Eitzel qui enterre définitivement son disque en sa seconde partie.

C'est bien simple, quand la batterie ne frappe pas littéralement comme un coup de trique martyrisant le pauvre chanteur qui fait tout ce qu'il peut pour relever la tête, jusqu'à l'auto-persuasion : « I'm lost, I'm lost but it's allright » (Oh Mercy), ou au contraire s'auto-flagelle (Why are you with me), Don't Be a Stranger titube sous laudanum (Lament for Bobo the Clown), quand il n'est pas au bord de l'injection de curare comme ultime échappatoire (We All Have to Find Our Way Out ; cette sortie étant, donc, le suicide).

Show must go on

Et vogue la galère – le bateau, un thème récurrent des pochettes d'Eitzel/AMC – jusqu'aux rivages d'une auto-complaisance plus finement entretenue qu'elle n'en a l'air, se concluant heureusement sur les jolis violons désaccordés de Nowhere to Run. Ultime impasse dont on ne pourrait sortir que par le haut, faute de souscrire à l'idée de creuser sa tombe. Si on ne connaissait pas Mark Eitzel, devant un tel album de survivant qui, tel Bartleby semble nous marteler qu'il aurait « préféré ne pas » – survivre donc –, on appellerait dans la minute le 911 – numéro indisponible depuis a France – ou « SOS Détresse Amitié ».

Mais a-t-on vraiment envie de sauver ceux qui depuis des années consentent à nous réjouir de leur malheurs, et à exorciser les nôtres ? Après tout comme le chante sur Costumed Characters... un Eitzel décidément sur le fil du rasoir : «I don’t believe in the future, it’s all going to shit, but I thought we could still put on a show. » Don't be a stranger ou la bande-son de la résignation à l'austérité.

Stéphane Duchêne

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