Erotic Market : « être non-essentiel, c'est super ! »

Erotic Market & the HeartStrings

Le Périscope

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Pop / Au Périscope pour présenter la version live de "Boredoms & Heartstrings", revisité avec quatuor à cordes de "Boredoms", Marine Pellegrini revient sur l'évolution d'Erotic Market, la genèse de ce projet mais aussi les difficultés créatives rencontrés ces derniers mois avec le Covid dans le sillage d'une dépression. Et d'un retour aux affaires qui ne va pas de soi pour tous les musiciens.

Tu as poursuivi en solo le projet Erotic Market il y a quelques années, après le premier album du groupe. Pourquoi avoir choisi de continuer sur le même projet ?
Marine Pellegrini (Erotic Market) : Quand Lucas [Garnier, autre moitié fondatrice du duo] a décidé d'arrêter en 2016, je n'avais aucune raison esthétique de changer. Pour moi ça restait un contexte que j'aimais, un nom que j'aimais, un style qui me convenait. Je n'avais aucune raison de changer, si ce n'est de jouer le jeu du chat et de la souris avec les programmateurs et les médias, en agitant un nouveau projet. Mais Erotic Market, c'était qui j'étais.

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Tu t'es mise à travailler différemment ?
À la base avec Lucas, je faisais les premières ébauches, texte-musique, et lui étirait tout, il arrangeait. Ça partait toujours d'idées à moi. Aujourd'hui, je travaille un peu de la même façon sauf que je vais peut-être un peu plus loin dans la composition. Mais je fais toujours appel à des gens extérieurs pour arranger, finir de dispatcher les sons. Avoir une vue d'ensemble sur les morceaux, c'est quelque chose que je n'arrive pas à faire. Sur Queendoms, il y avait Nico Taite qui était mon batteur. Pour Boredoms, c'était King Doudou. Et là pour Boredoms & Heartstrings c'est carrément une autre manière de travailler.

Je n'aime pas me répéter. Du tout.

À partir de Queendoms, tu as changé à chaque fois de style. Ces nouvelles approches découlent-elles du fait que tu sois désormais seule maîtresse à bord ?
Je pense que c'est inhérent à ma façon de travailler et de considérer la musique. Entre le premier EP et le premier album, il y a beaucoup de différences. Dès que j'ai l'impression d'avoir investigué un univers, je passe à autre chose, je me lasse super vite et je n'aime pas me répéter. Du tout.

Avant tout, tu es une interprète, ces changements de registre sont-ils une manière de nourrir cette chanteuse, de la satisfaire ?
Peut-être. Il y a quelque chose d'organique dans le fait de chanter. Alors, c'est peut-être une façon de retrouver des sensations fraîches, d'aller chercher d'autres parties de ma voix. Comme dit la chanson : « I'm every woman » et à un moment j'ai envie de tout explorer. J'ai commencé ma carrière en chantant beaucoup dans les aigus parce que c'est l'espace vocal où je me sens à l'aise, je suis soprane. Après de plus en plus, j'ai eu besoin de redescendre. Boredoms est beaucoup plus dans les médiums graves. J'ai eu aussi besoin d'explorer le spoken word, le rap, de mettre beaucoup de mots, de faire des choses plus épurées, moins incisives.

Comment est né le projet Heartstrings ? Et avant tout a-t-il été pensé en vue d'un disque sur lequel est venu se greffer le live ou comme un projet live qui est devenu un disque ?
J'avais expérimenté de chanter avec un big band il y a plus de dix ans et cette expérience de redécouvrir ses morceaux sur scène m'était restée. De fait, je ne pense pas spontanément au studio. En quête de nouvelles expériences, je m'étais dit qu'un orchestre symphonique ce serait super mais évidemment ce n'est pas le même budget. J'en ai parlé à Romain Dugelay, mon mari, le leader de Pixvae et l'arrangeur de Boredoms & Heartstrings. J'étais partie sur l'idée d'une expérience, et comme il est plus structuré dans sa pensée, il m'a dit : « on fait direct un disque ! ».

J'avais envie d'entendre ces morceaux avec des cordes

Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur des morceaux déjà existants plutôt que sur des anciens ?
Il y a deux raisons : la première c'est que je pensais que Boredoms s'y prêtait vraiment et j'avais envie d'entendre ces morceaux avec des cordes. En plus, je ne l'avais pas beaucoup joué à cause du Covid. La deuxième raison c'est que j'étais dans un creux au niveau créatif dans lequel je suis toujours. Je n'avais pas l'énergie pour écrire. Plus que ça, je pense que je n'ai pas vécu assez de choses pour réécrire un album. C'était donc naturel de reprendre des morceaux déjà existants.

Comment avez-vous repensé ces morceaux ?
Pour le coup je n'ai rien fait du tout. J'ai donné carte blanche à Romain qui ne m'a rien demandé, ne m'a rien fait écouter. Parce qu'en plus il travaille sur des logiciels avec des instruments synthétiques et que d'écouter ça me donne envie de chialer, mais pas dans le bon sens (rires). Je ne suis pas intervenue du tout. Il est parti de versions studios des morceaux et de quelques références live.

Vous avez retravaillé le live différemment ?
Non, c'est très proche mais il y a de nouveaux morceaux issus du premier album. Une dizaine qu'on enregistrera en octobre pour faire un volume 2.

As-tu retrouvé là un plaisir de chant différent ?
À la base, il y avait des instruments organiques au début d'Erotic Market, de la basse notamment. Sur Queendoms, beaucoup de machines, de choses pré-enregistrées, déclenchées par ordinateur, très rigides, avec très peu d'espace pour l'improvisation, l'interprêtation. À ça il faut ajouter des instruments ultra justes où la note c'est la note, ça ne vibre pas, ça ne vit pas. C'est intéressant mais jouer avec des cordes c'est autre chose. Ma voix c'est des cordes aussi et sur la musique électro, je m'étais toujours interdite de vibrer. Les chanteuses ont toujours un vibrato mais dans le trip-hop qui a bercé ma jeunesse, les voix sont très blanches, elles ne vibrent pas. Là je me suis permise de vibrer à l'unisson des cordes et c'est assez cool.

Tu as dit être dans un creux artistique, as-tu quand même une idée de la suite, ou au moins des envies, des choses qui te parlent ?
Fort heureusement, des envies me sont revenues – parce que le Covid nous a un peu pété les genoux. Là j'ai des envies de Fender Rhodes, de vraies batteries, d'un trio vraiment joué. Parce que ce qui est compliqué avec la musique électronique c'est que quand tu composes quelque chose sur ton ordinateur, le jouer après en live c'est la merde — si tu joues avec de vraies instruments, ta musique n'est pas composée comme ça. Quand tu viens du live, comme c'est mon cas — je viens d'une école de jazz — tu es en porte-à-faux en permanence. Ce que j'aimerais, c'est que la prochaine fois que j'écris quelque chose, ce soit simple à exécuter, que je n'ai pas à tordre les musiciens et les instruments dans tous les sens pour que ce soit identique sur scène.

Tu disais avoir perdu une forme d'envie, notamment avec le Covid. La question est bateau mais comment as-tu traversé cette période ?
En fait, il faut repartir en 2018 où j'ai commencé à faire une dépression, après Queendoms. C'était compliqué pour moi parce que c'était le deuxième album et ça n'a pas marché comme je voulais. Je me suis sentie en échec. J'ai eu ma fille aussi, ce qui a changé beaucoup de choses à mon rapport à la musique. La musique est logiquement passée au second plan et comme j'étais une passionnée — je le suis toujours — ç'a été très bizarre de me dire que quelque chose passait soudain avant la musique. Queendoms plus ma maternité, il y a eu une espèce d'imbroglio qui m'a plongée dans une dépression que j'ai fini de traiter il y a un an, je dirais. Mais je l'ai traitée aussi par Boredoms que j'ai pu mener jusqu'au bout et que j'ai voulu sortir de façon plus simple avec moins de promo, moins de live — comme il y a eu le Covid, il faut avouer que c'était bien joué (rires). Ensuite, je me suis retrouvée avec l'impression d'avoir tout dit, d'être arrivée au bout de ce que je pouvais faire avec ma mélancolie qui a toujours été un terrain fertile pour moi. Une fois que j'ai eu fini de traiter cette dépression, je me suis retrouvée un peu sans objet. Une forme de cycle est arrivé à son terme. Boredoms & Heartstrings est arrivé pile au moment où j'avais besoin de chanter sans aller chercher d'autres émotions. Parce que pour moi, j'étais vide. Là, il y a une deuxième grossesse qui s'est présentée, on commence à sortir de la crise, il y a un nouveau chapitre à écrire mais je ne l'ai pas encore formalisé.

Tu as envisagé cette fois de passer à un autre projet, ne serait-ce que symboliquement ?
J'y ai beaucoup pensé. J'ai même pensé à arrêter la musique, clairement. Parce que quand on n'a rien à dire, ça ne sert à rien de l'ouvrir. On serait tranquille si tout le monde s'arrêtait au moment où il n'a plus rien à dire (rires). Mais je ne vais pas arrêter parce que j'aime trop ça. Quand je me remettrai à composer, je verrai ce qui sort et si c'est vraiment très différent d'avant, par exemple, si ça sort en français, ce qui n'est pas exclu, je changerai peut-être de nom. Même si je suis très attaché au nom Erotic Market, à sa symbolique. Ça me ferait un truc.

C'est devenu laborieux

Eu égard à tout ce qui t'es arrivé ces derniers mois, comment as-tu vécu le fait de remonter sur scène ?
Avec moins d'enjeu et de manière plus cool qu'avant. Moins à la conquête du public. Sans doute avec moins d'ambition. Comme s'il y avait plus de fluidité dans ma vie : je vis, j'ai un concert, voilà. C'est davantage dans la continuité de ce que je suis.

Avec une forme d'excitation, de joie, quand même ?
Oui, quand même. Je ne suis pas quelqu'un qui se force. Mais pour en avoir parlé avec des potes musiciens, on est contents une fois qu'on y est mais comme on s'en est complètement détachés pendant un an et demi, c'est devenu laborieux. Ça vient briser une routine et il faut vraiment qu'on se remette dedans.

Ça paraît beaucoup plus compliqué que l'irrépressible envie de remonter sur scène qu'on imagine pourtant...
Oui, et c'est paradoxal parce qu'on aime ça. On est des gens bénis, on fait ce qu'on aime mais on a vécu quelque chose de très traumatisant et... de très confortable. Une mer d'huile et là tout d'un coup un concert, comment est-ce que je vais faire ? Est-ce que je sais encore chanter ? Comment je vais parler au public ? Ç'a été le gros truc ça, je ne sais plus parler aux gens. C'est laborieux et l'envie n'est plus la même. En plus je m'étais détachée du live un peu avant tout le monde et il y a eu une sorte d'oubli de ce que c'est. De sevrage presque. Et puis un ras-le-bol de partir, de faire sept heures de bus pour jouer devant dix personnes, refaire sept heures de bus... À un moment dans sa carrière on aspire à des choses plus confortables, à une vie de famille.

Au-delà de l'envie on a l'impression que cette interruption a posé la question du sens de tout ça ?
Ç'a été tellement perturbé pour moi en 2018 que quand le Covid est arrivé, j'ai eu l'impression que tout le monde se mettait à ma vibration. Mais je crois que ça fait ça à la plupart des gens qui sont en dépression. Mon rapport à la musique a changé du tout au tout en 2018 et le Covid en a rajouté une couche. Je me suis demandé ce qu'était la musique. Evidemment qu'on est non essentiel, on est la cerise sur le gâteau et c'est super. Je n'ai pas envie que les gens dépendent de moi pour vivre, ça ne m'intéresse pas, je ne suis pas médecin. Je suis très contente d'être le bonus. Avec le Covid, je pense que plein de gens se sont dit : « wow, je m'agitais, je n'étais jamais chez moi mais en fait c'est bien, chez moi ! ». Ça remet un peu les choses à leur place et c'est bien, parce que nous les musiciens, on est un peu sur notre planète, on est des enfants gâtés. Quand on est allé jouer en Inde avec Erotic Market, on a pris trois avions pour y aller, trois pour revenir. Quand on y réfléchit c'est n'importe quoi.

Erotic Market, Boredoms & Hearstrings (Compagnie 4000)
Au Périscope le vendredi 24 septembre

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