«L'âge d'or du cinéma américain»

Jean-Baptiste Thoret pose avec “Le Cinéma américain des années 70” un jalon définitif dans l’évaluation d’une période clé de l’histoire du cinéma, où liberté artistique et vision adulte du monde s’unissent pour créer «un cinéma qui pense».Propos recueillis par Christophe Chabert

En lisant Le Cinéma américain des années 70, on se rend compte qu’à cette période, la différence entre cinéma de genre et cinéma d’auteur est abolie …C’est aussi une question d’écriture. Je n’ai pas envie d’écrire d’en haut et à partir du moment où j’accueille un film dans un livre, je ne veux pas établir de hiérarchie, je veux qu’ils soient tous au même niveau. C’est une dimension démocratique de la critique : ne pas établir de différence entre les films de Romero et ceux de Ford. En plus, si on aborde le cinéma américain du point de vue des genres, on n’y comprend rien, car il y a des films qui abordent tous les genres.Dans le livre, vous allez jusqu’à accorder une place importante au cinéma d’autodéfense…Le cinéma d’autodéfense, à l’époque, était qualifié de droitier. Il est clair que cette série de films est née d’une réaction de la majorité silencieuse, celle qui élira Nixon, qui en a marre de voir des héros faibles, des hippies ou des drogués sur les écrans. Mais Un justicier dans la ville, par exemple, est très pervers : il est condamnable car il glorifie ouvertement l’autodéfense ; mais il la montre aussi comme un processus paranoïaque.D’habitude, la période est balisée par deux films : Bonnie and Clyde et La Porte du Paradis. Vous semblez préférer deux autres films des mêmes cinéastes, Alice’s restaurant et Voyage au bout de l’enfer…Ce qui m’a toujours fasciné dans ce cinéma, c’est qu’il a conscience de sa fin : quand les movie brats prennent Hollywood d’assaut, ils savent déjà que c’est foutu. «We blew it» : c’est la dernière phrase d’Easy Rider, et Alice’s restaurant n’est que le développement de cette dernière phrase. Malgré l’énergie, l’euphorie, l’échec est déjà programmé. Du coup, la question des bornes n’est pas si importante.Pourtant, l’échec de La Porte du Paradis et la faillite de United Artists en marquent concrètement la fin…Cette faillite n’a fait qu’entériner l’échec. Les Dents de la mer en 75, Rocky et Superman en 76, c’est le début de la fin. Ce n’est pas parce qu’on fait un film américain dans les années 70 qu’on est un cinéaste des années 70. Bogdanovich est un cinéaste des années 30 ; Spielberg et Lucas sont des cinéastes des années 80. Avec une approche seulement historique, on peut commettre des erreurs vis-à-vis de ces films qui sont littéralement anachroniques.Spielberg et Lucas ont récemment rendu hommage au cinéma des années 70 : Munich cite Friedkin …J’ai peu de sympathie pour le cinéma de Spielberg. Ça me touche quand il filme à hauteur d’enfant, comme dans ET ou Rencontres du troisième type. Mais quand il touche au réel, on voit qu’il n’est vraiment pas un cinéaste des années 70. Avec Munich, il confond style et signe du style : il ne suffit pas de copier la technique d’un cinéaste pour s’en approprier le propos ! C’est d’autant plus immoral que Spielberg et Lucas provoquent la chute du nouvel Hollywood. Ils avaient un sens de ce que voulait le public, et ils l’ont toujours, donc ils sentent aujourd’hui le revival pour les années 70. William Friedkin me disait : «On peut considérer que c’est de la merde, mais quand Lucas fait Star Wars, il est plus intelligent que nous…»L’esprit des 70 ne se trouve-t-il pas plutôt aujourd’hui dans les séries télé, comme Deadwood ou 24 heures chrono ?Deadwood est produit par Walter Hill, qui réalise dans les années 70 Driver, un des films les plus modernes de la période. Mais la série télé, pour moi, reste de la narration habile, je ne la mettrais pas dans le même sac que les films. 24, je le vois comme une sorte de pulp, j’ai l’impression qu’il n’y a rien à voir dans le cadre ; on ne peut pas revoir un épisode de 24. S’il y a des échos des années 70 dans 24, c’est que la série arrive après le 11 septembre, et il se rejoue alors aux Etats-Unis quelque chose de la guerre du Vietnam, on rejoint l’état d’esprit de l’époque, donc on se retourne vers le cinéma qui a douté durant cette période.En France, la critique est passée complètement à côté du cinéma américain des années 70…Dans les années 70, la critique regarde tout ce qui vient du cinéma américain comme un sous-marin capitaliste. C’est fascinant de voir que la critique est totalement aveugle : du coup, on a longtemps considéré les années 70 comme un chaînon manquant entre la fin du classicisme et les années 80. C’est pourtant tout sauf un chaînon manquant, c’est au contraire l’âge d’or du cinéma américain ! Cet aveuglement va se payer cher : pendant longtemps, les historiens du cinéma en parleront comme d’un appauvrissement, d’une dégénérescence. Mais en France, il ne faut pas sous-estimer l’importance d’une revue, Starfix : c’est celle que vont lire les futurs critiques, les futurs cinéastes, on y parle à chaud de Craven Carpenter, Cronenberg, Friedkin. Son importance est décisive dans l’appréciation du cinéma des années 70.Jean-Baptiste Thoret«Le Cinéma américain des années 70» (Editions Cahiers du Cinéma)

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