Sylvain Venayre : « L'histoire de France ne doit pas être un récit mais un débat »

Etienne Davodeau et Sylvain Venayre

Librairie Momie Folie

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

BD / Rencontre / Mi-octobre est sorti le premier volume d’une série ambitieuse : « l’histoire dessinée de la France, des origines à nos jours ». Chacun des 20 tomes, réalisé par un tandem historien-dessinateur, sera consacré à une période précise de cette histoire. Un projet engagé (les éditeurs expliquent qu’en « ces temps troublés, l’histoire de notre pays fait l’objet de tous les fantasmes passéistes et de toutes les récupérations politiques ») piloté par Sylvain Venayre, historien et professeur à l’université Grenoble Alpes. On l’a rencontré avant son passage par deux librairies grenobloises en compagnie du dessinateur Étienne Davodeau – ils ont signé ensemble le tome 1 intitulé "La balade nationale : les origines".

Comment vous êtes-vous retrouvé à diriger ce projet ?

Sylvain Venayre : J’ai été contacté il y a trois ans, à l’automne 2014, pour essayer de réfléchir à une histoire dessinée de la France. L’initiative est venue des éditions La Découverte mais l’expertise est celle de La Revue dessinée [un magazine de reportages, documentaires et chroniques en bande dessinée – NDLR] qui, justement, avait besoin d’un historien capable de diriger la totalité de la collection. Il se trouve que je faisais doublement l’affaire comme je venais de publier un livre intitulé Les Origines de la France et que j’avais dirigé un gros volume consacré à L’Art de la bande dessinée.

Un projet d’histoire dessinée de la France qui a pour ambition, comme vous le faites dire à l’un des personnages du tome 1 (l’historien Jules Michelet), de dénoncer « l’instrumentalisation dangereuse » de l’histoire…

Tout à fait. C’est, pour les historiens professionnels, une façon de reprendre la main sur l’histoire de France. Car certes, on parle beaucoup de l’histoire de France dans le débat public, mais c’est soit des hommes politiques qui s’en chargent, soit des publicistes. Et les universitaires, les historiens, n’ont pas tellement voix au chapitre. Là, on a le moyen de proposer une histoire qui est à jour des connaissances : par exemple, Jean-Louis Brunaux, qui fait le tome 2, est quand même le meilleur spécialiste en France, et même au monde, des Gaulois.

On refuse ainsi que l’histoire de France ne soit qu’un récit qui assure la cohésion de la nation ou d’une partie de la nation. On reprend donc les grands thèmes du récit national : dans le premier tome les Bourgeois de Calais, le baptême de Clovis… Il ne s’agit surtout pas de proposer une contre-histoire de France qui ne parlerait pas du tout des grands thèmes de l’histoire de France et qui irait chercher autre chose dans les coins, mais à chaque fois de reprendre ces grandes étapes du récit national puis d’en faire véritablement l’histoire, de ne pas considérer que la France naît avec le baptême de Clovis ou que les Bourgeois de Calais sont ce que nous racontent les images d’Épinal du XIXe siècle. L’histoire de France, ça ne doit pas être un récit, ça doit être un débat. Et la bande dessinée nous permet de mettre ce débat en forme de récit.

Un récit qui, dans ce tome 1, convoque cinq personnages principaux en balade (et en débat) sur les routes de France : Jeanne d’Arc, Molière, Marie Curie, l’historien Jules Michelet et le générale républicain Alexandre Dumas (père de l’écrivain du même nom). Pourquoi eux ?

Quand, avec Étienne Davodeau, on s’est rencontrés pour la première fois, j’avais déjà l’idée des cinq personnages. Il fallait des hommes, il fallait des femmes ; des gens qui soient nés sur le territoire français, d’autres non ; je voulais un militaire, un artiste, un scientifique… Et des gens qui couvrent toute l’histoire dite de France.

Quand j’ai proposé tout ça à Étienne, il m’a fait remarquer qu’il fallait un moteur à ce récit, qu’on ne pouvait pas juste promener ces cinq personnages à travers la France sans véritable raison. Et donc le propulseur du récit, de la camionnette dans laquelle il voyage, c’est Pétain dans son cercueil [les cinq sont allés le dérober sur l’île d’Yeu – NDRL], idée apportée par Étienne…

Là, avec Pétain, on est forcés d’y voir une référence à Éric Zemmour, qui a récemment tenté de le réhabiliter

C’est en ça qu’un journaliste me disait l’autre jour que c’est une histoire de gauche parce qu’on peut imaginer que l’on a en ligne de mire les propos d’Éric Zemmour sur Pétain [il a défendu l’idée que le régime de Vichy aurait sauvé des Juifs en France –NDLR], mais aussi ceux de François Fillon sur le baptême de Clovis… C’est vrai, mais en même temps, quand on entend l’usage de l’histoire que peut faire quelqu’un comme Jean-Luc Mélenchon, on se dit que l’instrumentalisation de l’histoire n’est pas un apanage de droite.

On critique donc ces gens qui, effectivement, récupèrent le récit national avec une forme de nostalgie d’une période où on l’enseignait sans le critiquer. D’ailleurs, moi, comme tous les chercheurs, cette idée qu’il faut renoncer à l’esprit critique, ça me paraît aberrant. On ne fait pas du tout preuve d’antipatriotisme, bien au contraire, en formant les lecteurs à l’esprit critique.

Avec Étienne Davodeau, vous avez signé le volume 1 du projet. Et ensuite ?

Après ce volume un peu spécial qui permet d’interroger la question des origines de la nation, du rapport de l’histoire aux images, les 19 autres évoqueront la Gaule, la Gaule romaine, les Barbares, les Mérovingiens, les Carolingiens, le Moyen Âge central… Jusqu’à la France contemporaine. Avec l’idée de publier les volumes dans l’ordre chronologique. Les Gaulois sortent en novembre, et au printemps prochain on aura la Gaule romaine puis les Barbares.

Et il faut préciser qu’à chaque fois le principe est le même : faire travailler un historien différent et un auteur de bande dessinée différent sans qu’il y ait de scénariste officiel. Ici, l’historien n’est pas confiné au rôle d’expert. Et c’est donc à l’historien et à l’auteur de bande dessinée de coproduire le scénario. C’est un vrai challenge.

Comment ont été choisis les participants au projet ?

Je me suis occupé des historiens. Je suis allé voir des collègues, les meilleurs de chaque période, pour leur présenter le projet et je leur ai demandé si ça les intéressait. Quand l’historien est d’accord, il vient discuter avec moi et les éditeurs de La Revue dessinée et de La Découverte sur comment il voit son époque, quels en sont les traits saillants… Et c’est à partir de là que les éditeurs vont proposer à des dessinateurs de venir travailler avec nous, en fonction de ce qu’ils ont entendu.

Par exemple, quand je suis arrivé avec mon histoire de voyage à travers la France, ils ont tout de suite imaginé proposer ça à Étienne Davodeau. Mais si j’étais arrivé avec une autre idée sur les origines, ça n’aurait sans doute pas été lui. D’ailleurs, il m’a dit que faire une bande dessinée sur une époque précise de l’histoire ne l’aurait pas intéressé.

Rencontre avec Sylvain Venayre et Étienne Davodeau
À Momie Folie vendredi 20 octobre de 14h à 16h (dédicaces)
À la librairie le Square vendredi 20 octobre à partir de 17h (dédicaces) puis rencontre à 18h30 suivie d’une nouvelle séance de dédicaces

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