Aurélie Dos Santos : « Le NSK détourne pour mieux questionner »

Festival / Conférences, expositions, projections, rencontres… Après une première édition remarquée en 2016, le NSK Rendez-vous prend de nouveau ses quartiers dans divers lieux grenoblois du jeudi 11 au dimanche 14 octobre. Mais c’est quoi le NSK exactement ? Aurélie Dos Santos, déléguée du festival, nous explique les tenants et aboutissants de ce mouvement artistique subversif d’une puissance peu commune.

Comment présenteriez-vous le NSK ?

Aurélie Dos Santos : Le NSK, ou "Neue Slowenische Kunst", est un collectif d’art politique né sur les bases du punk, qui questionne les notions d’art, de propagande, d’identité et d’idéologie. Il est apparu au début des années 1980 en Slovénie, après la mort de Tito et avant la dislocation de la Yougoslavie. C’est un mouvement marqué à la fois par la culture industrielle très forte de Trbovlje, la ville de mineurs qui l’a vu naître, et par les grandes avant-gardes historiques et révolutionnaires – dadaïsme, surréalisme, constructivisme… – qui l’ont précédé.

Son objectif était de faire réfléchir la jeunesse yougoslave aux rapports entre l’art et la politique, très ancrés dans les pays d’Europe de l’Est de l’époque. Les artistes du NSK sont donc arrivés avec une démarche très punk : faire du graphisme, de la musique, de la peinture, du théâtre, en détournant les images de propagande des grandes idéologies communistes et nazies, et par la suite capitalistes. Et de fait, ils ont rapidement été interdits en Slovénie, parce qu’ils mélangeaient dans une même affiche, par exemple, des symboles communistes et nazis.

Il y avait une dimension provocatrice : ils voulaient rentrer en confrontation avec l’Etat, mais en utilisant les mêmes armes que ce dernier : manipulation, propagande… C’était pour eux une manière de renvoyer un miroir réfléchissant à la société, en mettant à profit tout ce que les avant-gardes artistiques leur avaient appris. Bien sûr, tout le monde a crié au scandale, mais ils ont en même temps construit de manière très intelligente une réflexion sur l’art d’État, la propagande.

Derrière la provocation se cache donc une forme d’humour à froid…

Il y a beaucoup d’autodérision dans leur travail. Encore une fois, ils parodient les systèmes totalitaires en reprenant les mêmes armes que les systèmes totalitaires. C’est extrêmement subtil comme humour, et lorsqu’on se retrouve confronté pour la première fois à leurs images, leur musique, on est d’abord choqué, on ne comprend pas trop…

Et puis ensuite on commence quand même à se poser des questions : est-ce que c’est du second degré ? du premier degré ? Ils jouent toujours sur cette limite, et c’est ça aussi qui est intéressant, dans le sens où, en tant qu’artistes, ils ne justifient jamais leur travail. Ils l’envoient dans la gueule aux gens, qui peuvent y percevoir absolument ce qu’ils veulent.

Le NSK garde-t-il selon vous sa pertinence à l’heure actuelle, dans un contexte radicalement différent ?

Alors, effectivement, les artistes du NSK sont un peu les enfants terribles de la Yougoslavie des années 1980, c’est ce contexte qui les a fait naître et les a construits. À travers leurs premiers travaux, ils ont ainsi beaucoup mis en garde sur la montée des nationalismes et l’avenir, malheureusement, leur a donné raison : la Yougoslavie s’est désintégrée et la guerre civile a éclaté.

Mais cela n’a pas signé l’arrêt de leur réflexion artistique pour autant : ils se sont ensuite attaqué à d’autres sujets, comme l’implantation du capitalisme naissant dans les anciennes fédérations yougoslaves, à travers, par exemple, l’industrie du disque et de la pop music. Laibach [la formation musicale phare du NSK et sans doute son émanation la plus connue – NDLR] a ainsi fait beaucoup de reprises, ou de détournements, d’hymnes de la pop : pour eux, une rockstar qui donne un spectacle, c’est comme un politicien qui monte sur scène, fait son discours et se fait acclamer par la foule. Ils abordent vraiment ce diktat de l’industrie du disque qui consiste à rabâcher des morceaux en boucle sur la radio pour les mettre dans la tête des gens et écraser ainsi le reste de la création artistique qui ne dispose pas de la même force de communication. Le parallèle avec la politique est évident.

De même, lorsqu’ils font une tournée au États-Unis puis, deux mois après, partent faire un concert en Corée du Nord, c’est bien sûr tout sauf innocent… Donc pour résumer, si le NSK est encore pertinent aujourd’hui, c’est que les rapports entre art et politique qu’ils interrogent depuis leurs débuts restent toujours aussi prévalents dans la société contemporaine, postmoderne, capitaliste, dans laquelle on vit aujourd’hui.

NSK Rendez-vous
Au cinéma Juliet Berto, à la galerie Showcase, à la galerie Unpass et à l’Ecole supérieure d’art et de design du jeudi 11 au dimanche 14 octobre
Programme complet sur www.nsk.ccc-grenoble.fr

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