Grenoble impressionne Edmond Baudoin

Rencontre / Reconnu comme l'un des pionniers de la bande dessinée contemporaine et autobiographique, Edmond Baudoin est en résidence à Grenoble depuis trois mois sur invitation du réseau de bibliothèques, dans le cadre du Printemps du livre. Avec son pinceau et sa bouteille d’encre de Chine, il parcourt les rues de la ville pour dessiner des portraits au hasard de ses rencontres. Ce projet, nommé "Grenoble en portrait(s)", fera l’objet d’une exposition et sans doute d’un livre. Nous avons pu le rencontrer, un peu trop rapidement, et lui poser quelques questions. Une parole parfois espiègle, toujours humble et pourtant si riche.

Comment vous y prenez-vous pour réaliser les portraits des habitants ?
Il me suffit de me mettre devant les personnes, quand elles ont enlevé leur masque, et de dessiner. En même temps, je leur pose une question et je discute avec elles. Le portrait que je tire est ensuite échangé contre la réponse à ma question. Je ne le garde pas pour moi : je l’offre. Pas tout de suite : les bibliothèques ont l’intention de monter une exposition avec l’ensemble de mes dessins. Je m’applique le plus possible pour mes portraits mais j’en rate parfois. Les personnes ne m’en veulent pas. Comme pour Picasso, quand ce n’est pas exactement le visage de la personne, ce sera ce visage !

Vous êtes donc allé à la rencontre des personnes dans la rue ?
Avec les cafés et les restaurants fermés, c’est difficile. D’habitude, je me mets dans un restaurant et je dessine la personne qui est en face, si elle accepte. C’est facile. Mais j’ai aussi fait des visites dans des endroits qui aident les gens, comme l’association Point d’eau pour les migrants, et là c’était simple d’enlever le masque. Des gens viennent chez moi quand je les invite ou c’est moi qui vais chez eux. Après, les choses se mettent en route : je suis invité. Là, je veux faire le portrait d’un résistant ! C’est compliqué parce qu’il est vieux mais je vais le faire. J’ai aussi fait un portrait d’un monsieur qui écrit sur l’holocauste et qui vit ici : Tal Bruttmann. Pour cela, je me suis mis en rapport avec lui. Dans la rue, j’en ai fait quelques-uns. Il suffit de s’arrêter. Par exemple, sur la place Saint-André, il y a des personnes qui viennent et qui boivent un verre dehors. Le soir, j’y vais. Maintenant, ils me connaissent, et savent que je veux faire un portait. Ils enlèvent leur masque.

Vous posez une question à chaque personne dont vous tirez le portrait : qu’est-ce que c’est, Grenoble, pour vous ? J’ai envie de vous la poser aussi…
Un enfant qui naît aujourd’hui est fait par ses parents, par le tissu social dans lequel il naît, par son quartier, par sa ville. Ici, à Grenoble, il est fait par les montagnes : pour moi, c’est évident. Et qu’est-ce que ça fait, les montagnes ? Elles font qu’on a toujours envie d’aller voir plus loin, d’aller sur l’autre sommet qui est là-bas, de rechercher plus loin. Peut-être que la science qu’il y a à Grenoble a justement un rapport aussi avec le désir d’aller voir ailleurs, aussi bien en étudiant les neutrons que les étoiles. Peut-être que cela joue, ce n’est pas impossible. La montagne a aussi engendré beaucoup de migrations à Grenoble. C’est fou le nombre de gens qui viennent d’ailleurs, qui ont quelquefois quitté des endroits difficiles à des moments difficiles et qui sont venus apporter leur savoir ici, qui attire ensuite d’autres étrangers.

La montagne permet aussi de se cacher. Cela a engendré le Vercors et la Résistance. Aujourd’hui, le Vercors vit toujours de cette Résistance. J’y suis allé et cela se sent, par rapport aux questions de migration notamment. Le rapport à la terre est également dur ici. C’est beau d’aller dans la montagne, mais si on veut y planter des pommes de terre, c’est plus compliqué. Cela signifie qu’il faut vraiment vouloir le faire, avec cette difficulté supplémentaire. Mais la difficulté de se confronter à la vie amène du bonheur aussi quand on réussit. Voilà ce que je découvre de Grenoble. Maintenant, la ville n’est pas extraordinaire de beauté. Je ne dis pas cela parce que je suis Niçois. Je n’aime pas spécialement ma ville : je trouve qu’elle est tellement abimée. Mais Grenoble n’est pas abimée : ce sont des superpositions de divers styles de n’importe quoi, un peu comme à Marseille. C’est beau à sa manière. Il y a des maisons au milieu de bâtiments antiques, puis tout à coup tu as un HLM derrière et tu te dis : « Vous n’avez pas honte d’avoir fait ça ? » À Grenoble, il y a des endroits où on se dit la même chose. Mais c’est la vie ! C’est plein de vie !

Vous avez déclaré « Grenoble m’impressionne ». Qu’est-ce que vous entendiez par là ?
Aujourd’hui, on me dit qu’il n’y a pas autant de vie que d’habitude à Grenoble à cause de la crise sanitaire. Cependant, il y a quand même les gens que je rencontre et qui ont une telle volonté de se retrouver ! Mais Grenoble, avec ses montagnes, offre aussi la possibilité de se retrouver tout seul. C’est important. Beaucoup de gens ont cette envie. Il y a quelque-chose à Grenoble qui touche à l’intériorité.

Est-ce que la perception que vous aviez de Grenoble a évolué avec ce projet ?
Je dois dire tout bêtement que je n’avais aucune image de Grenoble. Je savais que c’était une ville à la montagne. En vérité, quand on m’a proposé cette résidence, j’ai sauté dessus tout de suite. Parce que m’échapper de Paris, c’était capital. Il n’y a plus de culture, il n’y a plus rien. Paris est insupportable en ce moment. Alors qu’à Grenoble, je savais qu’il y avait moyen moi aussi de m’échapper. C’est un cadeau que les bibliothèques m’ont fait. Et moi, je veux leur faire en retour le cadeau d’une exposition et d’un livre.


Le projet “Grenoble en portrait(s)”

Invité en résidence à Grenoble pour trois mois, Edmond Baudoin avait carte blanche pour imaginer un projet. Avec ses talents de portraitiste, il a voulu réaliser le portrait de Grenoble à travers celui de ses habitants. Alors qu’il dessine, les personnes sont invitées à parler de Grenoble et de leur relation à la ville, ou à écrire un petit texte dessus. Ces échanges et ces portraits donneront lieu à une exposition pendant le Printemps du livre et sans doute à un livre.

À propos d’Edmond Baudoin

Edmond Baudoin est né à Nice en 1942. Il a débuté sa carrière d’auteur et dessinateur de bandes dessinées à près de 40 ans. Il a collaboré notamment à Pilote et l’Écho des Savanes avant de publier plusieurs ouvrages chez Futuropolis, dont Couma Aco (Alph-Art 1991 du meilleur album à Angoulême). Aujourd’hui, Edmond Baudoin a signé une centaine d’ouvrages, reçu plusieurs prix prestigieux et collaboré avec de grands noms (Jacques Lob, Gotlib, Fred Vargas, Le Clézio…). Forte d’une centaine de publications, son œuvre en noir et blanc tient à la fois de l’autobiographie et du reportage.

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