Mardi 30 octobre 2018 « Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse » écrivait Françoise Sagan (...)
Marie-Antoinette
Par Christophe Chabert
Publié Mercredi 7 juin 2006 - 2905 lectures
Selon la formule consacrée, un réalisateur passe son temps et sa carrière à refaire le même film. Il serait malvenu de prétendre le contraire à propos de Sofia Coppola, comme nous le confirme cette biographie à la liberté euphorisante. Mais force est d'avouer que la recette fonctionne toujours. François Cau
Virgin Suicides, Lost in Translation et Marie-Antoinette nous entretiennent en substance de la même trame narrative. L'adaptation de frêles créatures à un environnement extérieur absurde et "doucement" aliénant. Le spleen post-adolescent s'y love aux attentes sociales avec grâce, dans une pudeur magnifiée. Les tics de mise en scène entourant les héroïnes se renouvellent discrètement mais poursuivent le même but : envelopper le spectateur dans une atmosphère vaporeuse, dont la déliquescence sera toujours escamotée. Qui de mouvements de caméra à la lenteur savamment calculée, qui de fondus atténuant la soudaineté des ellipses, qui de furtifs regards caméras établissant illico la complicité... On pourrait facilement arguer la redite, l'application systématisée d'un schéma déclinable à l'infini ; mais ce serait faire abstraction de la réussite artistique d'un film plus envoûtant que sa note d'intention ne le laissait suggérer. D'autant que le pari esthétique était risqué : exploiter le luxe, draper sa superbe de vide en lui donnant la seule grâce d'une rapide étincelle d'émerveillement. Sofia Coppola ausculte une nouvelle fois le syndrome de la pauvre petite fille décalée, mais use de son décorum excessif pour lui donner une ampleur inattendue.
Langueur et décadence
Quelques mesures de rock accompagnent le générique, puis le sourire mutin d'une Kirsten Dunst alanguie. Le faste indécent entourant la jeune fille sera vite assorti d'un protocole quotidien, gimmick utilisé par Sofia Coppola pour singulariser son héroïne. Cette réappropriation du personnage est bien évidemment la clé d'un film qui étend cette liberté à l'ensemble du casting, délicieusement improbable (Jason Schwartzman en prolongement effacé de son rôle dans Rushmore, Rip Torn au sortir de quelques nanars, Asia Argento post Livre de Jérémie, Molly Shannon rescapée du Saturday Night Live, Marianne Faithfull en Reine d'Autriche...). À voir l'actrice principale s'ébrouer avec juvénilité dans la première moitié du film, on craint de se retrouver dans la simple retranscription d'un rêve de petite fille pas assez gâtée. Et la réalisatrice, selon son habitude, de nous asséner des scènes de "passage à l'âge adulte", de nous achever par la justesse d'une bande-son mixant sacré et profane. Le poids de l'Histoire finit par reprendre ses droits, mais la conclusion semble fuir la réalité, peine à se séparer de son ambiance de rêverie permanente. En étant d'humeur particulièrement aware, on pourrait imaginer que le dernier plan de Marie-Antoinette augure d'un revirement dans les prochaines œuvres de la réalisatrice. Ce qui nous laisserait une trilogie des plus brillantes.
Marie-Antoinette, de Sofia Coppola (EU, 2h) avec Kirsten Dunst, Jason Schwartzman...
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Mardi 3 juillet 2018 L’exposition "Heurs et malheurs de Louis XVII, arrêt sur images" du Musée de la Révolution française de Vizille donne à voir les différentes représentations artistiques du fils de Louis XVI et Marie-Antoinette mort à dix ans. Visite guidée avec...
Jeudi 25 mai 2017 Ou comment on fête un anniversaire, et comment Nicole Kidman est devenue notre copine de festival.
Mardi 20 janvier 2015 À la sortie de Lost in translation, Sofia Coppola n’était encore que la fille de son père et la réalisatrice d’un premier long prometteur, Virgin Suicides. (...)
Vendredi 6 avril 2012 Quand on réunit la crème de la crème pour confectionner une œuvre quelconque, il ne faut pas s’étonner d’obtenir l’excellence. Alors, quand en plus les (...)
Jeudi 23 décembre 2010 Poussant jusqu’à son point limite le goût des récits minimalistes et de l’observation du silence, Sofia Coppola signe le beau portrait d’une star en stand-by professionnel et existentiel, dans un film fragile, ténu et marquant.
Christophe Chabert