«Antigone interroge sur la cité»

Interview / Les 19es Rencontres du Jeune Théâtre européen, toujours riches puisqu’elles réunissent spectacles, temps de formation et débats, s’articulent cette année autour de la figure d’Antigone. Fernand Garnier nous en donne la raison. Propos recueillis par Séverine Delrieu

Vous avez choisi la figure d’Antigone comme éclairage à cette édition. Est-ce une manière de réaffirmer que le théâtre est le lieu qui questionne les reculs de la démocratie ?Fernand Garnier : Oui. C’est une figure que nous avons choisie parce qu’elle correspond d’une part à la jeunesse, et donc il y a une sorte d’adéquation entre le personnage et les jeunes comédiens qui participent aux rencontres. Elle interroge effectivement la cité, et en ce sens, elle pose le problème de la citoyenneté. On a bien vu dans notre pays au cours des dernières élections, l’importance des jeunes dans le fonctionnement démocratique. Et puis Antigone pose les problèmes de la loi, des limites de la loi. C’est une problématique très actuelle. Enfin, dans la mesure où le théâtre de Sophocle s’inscrit dans le fonctionnement de la cité athénienne, la pièce et le personnage posent le problème du rôle du théâtre dans la société. Du coup, c’est une manière de replacer les Rencontres dans la perspective ouverte par la décentralisation théâtrale à la sortie de la deuxième guerre mondiale et dans la tradition ouverte par Jean Vilar avec le Théâtre National Populaire et le Festival d’Avignon. Il faut souligner qu’une rencontre très importante aura lieu avec Raja Alloula présidente de la Fondation Alloula et veuve du grand auteur et metteur en scène Abdelkader Alloula assassiné en 94 devant son domicile à Oran. Elle est, à l’image d’autres femmes dans le monde - je pense à la veuve du juge Borrel, ou à la journaliste Anna Politkovskaïa - une Antigone à sa manière : elle est exemplaire de la lutte que certaines femmes, ou hommes, conduisent pour transformer le fonctionnement de la cité des hommes. Peut-être d’ailleurs que ce compagnonnage avec Raja Alloula - je la connais depuis longtemps - est à la source de ces Rencontres à la lumière d’Antigone. En tout cas, quand elle nous racontera ce qu’a été la lutte d’Alloula, ce sera un très grand moment.La présence d’Antigone est-ce une manière de montrer que le théâtre contemporain se nourrit du théâtre des origines ?Oui. Quand on crée, qu’il s’agisse du théâtre ou d’autres formes d’art, on est toujours dans une problématique de l’héritage et de l’innovation. On a interrogé plus de 30 metteurs en scène sur le rôle que le théâtre grec avait joué dans leurs vocations : c’est très impressionnant de voir à quel point ce théâtre grec est une référence pour eux. Que ce soit pour prendre appui dessus, ou s’en séparer.Dans cette édition 15 spectacles de 16 compagnies vont évoquer les problématiques de notre monde, prendre position. Un théâtre de sens qui s’éloigne d’un théâtre esthétique ?Non. Je pense que c’est une dichotomie pas tout à fait exacte. C’est vrai que c’est une manifestation qui travaille sur le sens, mais elle travaille aussi sur les formes : on va avoir des choses extrêmement différentes. Par exemple le premier spectacle qui va faire l’ouverture, Antigone de la compagnie Echoes, est un travail de recherche sur la forme de la tragédie grecque originale. C’est vrai aussi pour des metteurs en scène comme Franck Radüg du Theater Frankfurt, c’est vrai pour les gens du Vocal Motions qui font tout un travail autour de Médée sur le chant et la scansion. C’est vrai pour Jean-Pierre Guingané qui vient de Ougadougou qui travaille sur le conte et d’autres éléments de culture africaine. Les Rencontres sont le lieu de confrontation des formes et des esthétiques.Comment le choix des spectacles s’effectue-t-il?Il s’effectue grâce au Réseau du Jeune Théâtre Européen. Par exemple Vocal Motions, troupe qui arrive de Londres et que nous acceuillons pour la première fois nous a été proposé par Maria Giovanna Rosati-Hansen de l’Académie Internationale de l’acteur à Rome. De même pour Echoes Theater ce sont les grecs de Syros qui nous en on parlé. Ce réseau, c’est construire dans la durée des relations de travail avec des gens qui sont dans des pays européens et péri européens : les gens se voient, s’écoutent, s’influencent et se distinguent. C’est un collectif permanent qui fait que le jeune théâtre européen est devenu profondément original et unique.Dans les cafés-débats que proposent les Rencontres, retrouve-t-on ces échanges ?Oui. Les discussions respectent le goût de chacun, mais elles sont approfondies. L’année dernière, nous avons eu des débats sur les notions de théâtre de l’opprimé, de prévention, d’éducation, ou sur la spécificité de la sphère esthétique.Les Rencontres sont aussi des moments de formation.L’école de l’acteur du matin prépare le spectacle collectif de clôture, c’est une sorte de grand symposium de formation comme il y a des académies d’été pour la musique.Toutes les facettes des Rencontres sont-elles bien saisies ?Je pense que c’est toujours difficile d’innover. De créer un espace original. La distinction entre Rencontres et Festival est quelque chose de difficile à percevoir pour le public extérieur qui voit les spectacles en soirée. Les partenaires publics sont sensibles à la dimension médiatique. Après, c’est fonction des interlocuteurs : d’une manière globale les relations avec les interlocuteurs publics sont relativement bons, même si nous estimons que nous n’avons pas assez d’aide financière. Mais nous en avons quand même. Avec l’Union européenne, les rapports sont extrêmement bons : il y a une cohérence profonde entre les objectifs définis par l’Agence Education Culture Audiovisuelle et le travail que nous faisons. 19es Rencontres du Jeune Théâtre Européen du 3 au 13 juillet (Lieux divers)

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