CASINO ROYALE

D’où est venu cet engouement incontrôlable pour le poker, et plus particulièrement pour sa variante connue sous le nom de Texas Hold Em ? Petite tentative de décryptage d’un amateur.

Impossible de passer à côté du phénomène. Rien qu’à la télévision, les timides diffusions du World Poker Tour sur Canal ont été relayées par une tripotée de chaînes câblées, des tournois entre peoples de secondes zones sont désormais organisés et filmés, et chaque semaine ou presque voit apparaître une nouvelle émission (voire une nouvelle chaîne) consacrée à cette pratique a priori incontournable. La création du Texas Hold Em, variante de prédilection à l’origine de cette nouvelle mode, remonte pourtant au début des années 20 et sa démocratisation dans les casinos américains puis dans le reste du monde aux années 70. Par rapport à sa version classique à cinq cartes, cette déclinaison offre comme avantages une potentielle meilleure appréhension des jeux des concurrents, ainsi que la possibilité non négligeable d’avoir une carte supplémentaire pour réaliser une figure. En dehors d’un jargon plus ardu à assimiler que les règles en elles-mêmes, ce jeu est largement plus propice à l’addiction que son grand frère. Du coup, pourquoi cet enthousiasme débordant est-il arrivé si tard de par chez nous ? Le bluffeur
Dans un numéro de février du Dauphiné Libéré, l’inénarrable Patrick Bruel s’attribuait seul le mérite de la mode («Après la Bruelmania, j’aurai finalement créé deux phénomènes de société»), reproduisant non sans saveur l’arrogance basse du front qui devait l’amener récemment à de sévères déconfitures dans son soi disant domaine de prédilection. Patrick, permets-nous de hausser un sourcil réprobateur. Déjà, cette mode atteint un niveau mondial, et en dehors d’un titre obtenu il y a maintenant quatre ans, il y a fort à douter que le reste de la planète suive vraiment avec assiduité tes commentaires sur Canal ou que les copies pirates de ton DVD (tout pourri, soit dit en passant) soient les denrées les plus recherchées sur les marchés noirs de Chine ou d’Amérique. Vous le soupçonnez peut-être, mais le responsable n’est autre qu’Internet. Dans un premier temps, à travers la multiplication effrénée des sites de Texas Hold Em en ligne, qui ont popularisé cette variante jusqu’alors peu renommée en dehors des cercles d’initiés, et qui permettent aux anonymes de s’entraîner jusqu’à l’ivresse contre des joueurs des quatre coins du globe. Mais le relais du réseau mondial n’est pas le seul responsable, il fallait un déclic pour passer la vitesse supérieure. Les joueurs
C’est chose faite en 2003, au championnat World Series of Poker, retransmis sur les télés américaines depuis Las Vegas. Pour la première fois cette année, un participant s’est qualifié sur le net, via l’un des innombrables sites consacrés à la discipline. Chris Moneymaker (ça ne s’invente pas !), défie les professionnels voyant d’un œil goguenard ce nouvel arrivant, et remporte la première place à la surprise générale. Le message est énorme : a priori, n’importe qui peut débarquer dans ce tournoi et gagner des fortunes au dam des plus grands joueurs. La rumeur enfle, le mythe revisité du rêve américain et de l’argent facile (pléonasme) explose dans la psyché des dilettantes de toutes nationalités et l’année d’après, les chiffres sont plus que probants : le nombre de postulants à ce prestigieux tournoi triple. Les télés relaient de plus en plus les événements, inventent de nouvelles façons de les filmer. Il ne manque plus au tableau qu’une touche de glamour – elle sera très gracieusement fournie par le film de Martin Campbell Casino Royale. Dans ce qui est presque unanimement reconnu comme le meilleur James Bond depuis des lustres, le réalisateur consacre un bon tiers de son film (près de trois quarts d’heure, tout de même) à une partie de poker entre millionnaires dans une salle de jeux secrète située au Montenegro. Ce bon vieux James raflant bien évidemment in fine la mise de son adversaire (qui pourtant devine les stats de ses concurrents à la décimale près) avec une quinte flush. À la lumière de ces explications, libre à vous de penser le contraire, mais on ne peut s’empêcher de considérer Patrick comme un mauvais bluffeur…Tapis
Grenoble n’échappe pas à la mode. Le Casino d’Uriage a créé une table de Texas Hold Em (bon, avec mise minimum de 100 euros la partie, ça en décourage plus d’un). Les soirées chez les potes finissent souvent autour d’une table, au détriment des non joueurs. Un anonyme, que nous désignerons sous le nom de DJ Vivisection is Coherence, nous déclare même en avoir fait un revenu complémentaire. Les passionnés locaux du jeu se retrouvent sur le site www.grenoblepoker.com, pour suivre l’actualité des tournois nationaux et internationaux, pour se rencontrer ou tout simplement pour échanger. Pour conclure sur une note de bon sens et de prévention (plus que salutaire, tant la pratique est addictive), nous empruntons au site son avertissement en page d’accueil : «Attention, le poker est un loisir qui doit être absolument budgeté à l’avance (comme tous les loisirs) et ensuite être strictement respecté sinon les dérapages peuvent amener à des catastrophes financières». Dont acte.www.grenoblepoker.com