Aventuriers du ciné perdu

Au programme / Pour cet anniversaire événementiel, le Centre Culturel Cinématographique a concocté une sélection de films aussi éclectiques que possible. Récapitulatif enjoué des petits chefs-d’œuvre visibles durant cette semaine. François Cau

Le premier cri de Jaromil Jires (1963, Tchécoslovaquie) et Le Tigre du Bengale de Fritz Lang (1958, All/Fr/Ita)Cette semaine de projections s’entame avec deux petites pépites. Tout d’abord l’un des premiers longs métrages de Jaromil Jires, initiateur avec notamment Milos Forman du renouveau du cinéma tchèque dans les années 60 – on compare ce mouvement cinématographique à la Nouvelle Vague française ou au néo-réalisme italien, mais les œuvres suivantes de Jires (La Plaisanterie d’après Kundera en particulier) singulariseront ce cinéaste méconnu. Dans Le Premier Cri, un homme fait le point sur le monde dans lequel son nouveau-né est sur le point d’arriver, dans un style visuel tout aussi documentaire que poétique. Le Tigre du Bengale quant à lui forme un diptyque “exotique“ avec Le Tombeau Hindou, à la fin de la carrière de Fritz Lang. Les deux œuvres partagent la même naïveté dans leurs représentations d’une Inde de cartes postales, fantasmée en dépit du bon sens scénaristique – Martin Scorsese himself conseille de regarder le film sans le son, et de se régaler de ses seules images…Le 22 mars à 20h et 22h, à la Cinémathèque (Salle Juliet Berto)Major Dundee de Sam Peckinpah (1965, EU)Un film aussi rare sur grand écran que maudit dans son élaboration. À l’époque, Sam Peckinpah n’est pas encore le cinéaste acclamé de La Horde Sauvage, mais “juste“ un réalisateur télé extrêmement talentueux et un cinéaste précoce, remarqué pour son second long, Coups de feu dans la Sierra. La Columbia décide de se payer les services du nouveau jeune prodige, tout en lui inculquant la soumission “naturelle“ de l’auteur au studio qui l’emploie, à coups de réductions de budget et du calendrier de tournage. Celui-ci se déroule dans le chaos météorologique du Mexique, entaché de plus par l’exigence quasi dictatoriale de Peckinpah et les batailles d’ego entre les deux vedettes, Richard Harris et Charlton Heston (ce dernier renoncera cependant à son salaire pour que le film se tourne avec davantage de moyens – du coup, il s’attribue à mots couverts la paternité du film dans diverses interviews et biographies…). Quand Peckinpah rendit sa copie à la Columbia, le film durait 40 minutes de plus que lors de son exploitation en salles. Le résultat, un western plus qu’honorable mais en demi teinte, laisse tout de même percevoir les talents narratifs et esthétiques de l’auteur, soutenu par un casting impeccable. Après le succès hors norme de La Horde Sauvage, le studio proposa au réalisateur de retourner les séquences qui lui tenaient à cœur. Avec son absence de flegme coutumière, Peckinpah les envoya se faire foutre.Le 23 mars à 20h, au cinéma Le MélièsLa Chasse du Comte Zaroff d’Ernest Schoedsack et Irving Pichel (1932, EU)Fermez vos yeux exigeants sur le jeu certes ampoulé des comédiens (Leslie Banks en tête) : ce film, considéré à juste titre comme un classique, est toujours une véritable tuerie, si vous passez ce jeu de mot douteux. D’une durée lapidaire (à peine plus d’une heure), le récit nous fait partager le calvaire de naufragés sur une île dont le propriétaire pratique la chasse à gibier humain. Tourné en même temps que King Kong dans les mêmes décors et par le même co-réalisateur (l’inestimable Ernest Schoedsack), La Chasse du Comte Zaroff fait monter la tension jusqu’à son climax annoncé dans le titre, avec un art du suspens que tenteront vainement de reproduire ses innombrables remakes (on ne vous conseillera que les plus stupidement jouissifs : Que la chasse commence avec Ice-T et Rutger Hauer, Chasse à L’homme avec Jean-Claude Van Damme et sa coupe mulet, ou bien évidemment les über-cheapos Week-ends Maléfiques du Comte Zaroff du grand “poète“ Michel Lemoine)Le 26 mars à 19h30, à EVE (campus)L’Atalante de Jean Vigo (1934, Fr) et Une Femme est une Femme de Jean-Luc Godard (1961, Fr)Retour dans la Salle Juliet Berto et diffusion du film phare des cinés-clubs hexagonaux, L’Atalante, stupéfiant one-shot de Jean Vigo porté par un Michel Simon tout bonnement sublime, d’une poésie de tous les instants, dont bon nombre de cinéastes français contemporains auraient bon ton de s’inspirer dans leurs scénarios et leur mise en scène plates à en mourir. Et Une Femme est une Femme est le film idéal pour réconcilier les jeunes cinéphiles avec l’image d’Épinal d’un Godard dont on ne retiendrait que le côté sentencieux et expérimentalo-pouet-pouet (désolé pour cet affreux néologisme), une comédie tragique (et vice-versa) où Anna Karina, Jean-Claude Brialy et Jean-Paul Belmondo se livrent un duel permanent pour crever l’écran.Le 28 mars à 20h, au CCC (Salle Juliet Berto, soirée anniversaire)The Mission de Johnnie To (1999, Hong-Kong)Le polar qui déstabilisa durablement les fans de cinéma Hong-Kongais. Abreuvés à la violence opératique de John Woo, ces derniers n’étaient pas préparés au choc conceptuel proposé par le polymorphe Johnnie To. La trame est lambda : une bande d’anciens gangsters assure la protection d’un caïd des triades, et leur amitié naissante est mise à rude épreuve lorsque l’un d’eux fricote avec la femme du boss. Contrairement au réalisateur d’À toute Épreuve, Johnnie To mise sur une réalisation anti-spectaculaire au possible : les quelques éclairs de violence seront ainsi délités jusqu’à l’abstraction, l’accent sera mis sur les instants d’ennui mutuel rapprochant les personnages. La bande-son (une comptine répétitive au synthé, ajoutant une touche d’absurdité supplémentaire) relaie cette ambiance de spleen à la perfection. Dans le domaine privilégié du polar mélancolique, Johnnie To nous offre un cadeau visuellement somptueux. La (fausse) suite de ce film, Exilé, sortira normalement sur nos écrans en juin prochain. Précisons-le au cas où, il s’agit d’une pure merveille.Le 29 mars à 20h, au cinéma Le Club

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