Ghost in the Shell

Conversation / Son spectacle, “Konnecting Souls”, condense les objectifs de ces Rencontres de l’Imaginaire : une interaction intelligente entre art et technologie, qui parvient à interroger les deux disciplines avec une pertinence égale. Entretien avec le chorégraphe Franck II Louise. Propos recueillis par François Cau

L’utilisation des capteurs sonores sur les danseurs donne au spectacle des couleurs musicales et chorégraphiques définitivement à part. Aviez-vous en tête de créer une nouvelle discipline dans la danse hip hop, un genre de “abstract breakdance“ ? Franck II Louise : Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de dépasser le genre. C’est une synthèse de tout ce que j’ai traversé : j’ai commencé avec la danse hip hop, avec les remixs en tant que DJ, après je suis passé sur les claviers, à faire ce qu’on appelait de l’électro-funk. Et pour moi, c’est la suite logique de mon évolution. J’ai traversé pendant toutes ces années d’autres courants musicaux. J’ai bouffé de la musique électro depuis tout petit, en passant par Kraftwerk et tous les autres courants belge, de Détroit, le funk, la musique afro-américaine, africaine... Dans Konnecting Souls, on me reconnaît des racines mais c’est au-delà de ça, et je me fous de savoir si l’on perçoit les origines hip hop ou non. Et en plus, je fais jouer par le corps, ce n’est pas un clavier qui va contrôler les sons, le corps est devenu l’instrument. On est dans une relation très étroite à la danse, dans la lecture de la musique par le mouvement donné. Comment avez-vous procédé pour amener les danseurs à recréer vos compositions musicales ?Une difficulté fut de former les danseurs à l’utilisation des capteurs, parce que je leur demande du coup d’être musicien. Donc ils ont travaillé avec un métronome, appris ce qu’était une mesure musicale... Ils devaient assimiler énormément, en peu de temps, on ne devient pas musicien en trois mois de travail... Mais c’était capital pour moi qu’ils apprennent le B-A BA, pour mettre en phase leur danse avec la musique de leur corps. L’intérêt étant de voir leur propre musicalité, leur façon de gérer le tempo. Avant ils bougeaient sur de la musique et là ils sont à poil, en quelque sorte, s’ils ne bougent pas leur corps, ils ne vont pas déclencher les sons sur lesquels ils vont danser. C’est la vieille question de l’œuf et la poule revisitée… Au-delà des déflagrations sonores engendrées par les capteurs, Konnecting Souls dégage une violence très marquée, dans sa façon de décrire les rapports humains notamment.Il y a cette difficulté de s’émanciper de la tribu à laquelle on appartient. On appartient tous à une tribu religieuse, intellectuelle, politique... On adhère à une pensée collective, mais on a tous une sensibilité propre à nous-même. Et à un moment donné, on a envie de donner notre propre son de cloche. Et bien ça, c’est extrêmement dur. J’ai vécu ça quand je suis parti de Saint-Denis, où j’avais grandi et vécu trente années. J’ai quitté ma cité pour aller d’abord sur Paris. Rien qu’en m’installant dans le XXe j’ai changé de potes, les types que je côtoyais en bas de la rue, c’était pas le même type de population. Ça se fait avec violence : on se sent fort au sein de sa tribu, et là non seulement on se sent seul et ça fait peur, et en plus le groupe a l’impression qu’on les a lâchés. Et c’est pareil pour l’art. Passé un certain stade dans la danse hip hop, les codes commençaient à être tellement définis que si on exprimait quelque chose de différent, on passait pour un vendu, un traître qui allait faire de l’œil à la danse contemporaine. On trahissait la parole de la danse hip hop. J’étais face à ça et c’était violent. Encore aujourd’hui, y a des anciens qui pensent que j’ai complètement fui la discipline. Pourtant Konnecting Souls reste un spectacle de danse hip hop à part entière…Le problème c’est que ça se joue sur peu de choses : les mouvements sont là, mais je vais les faire exécuter sur une autre musique ; ou encore ne serait-ce que parce que le danseur crée sa propre musique, qu’il ne bouge pas sur des beats connus, ça dérange... Quand on quitte une tribu comme ça, c’est violent. Au début je ne voulais pas m’en exclure, je voulais être un électron un peu libre et revenir, ne pas couper le cordon. Mais le problème c’est que quand on fait ça, souvent, la tribu nous montre du doigt et coupe elle-même le cordon. Ce dont j’essaie de parler dans mes pièces, c’est de ne pas avoir peur de montrer qui on est malgré tout, d’arrêter de se cacher derrière des codes, des attitudes, parce que c’est ce que j’ai vécu en sortant de ma banlieue, surtout avec le petit milieu de la danse hip hop et de la musique.En quoi votre passion pour la Science-Fiction vous a t-elle aidé dans cette création ?J’ai bouffé du Druillet, du Giger, des comics, des films d’anticipation des années 70 sur le futur et la société de demain, la décadence humaine, la prise de contrôle des humains par les machines… J’étais nourri de toutes ces images, ces messages, ces questionnements, à l’époque où la SF avait un sens. Aujourd’hui on ne va plus trop là-dedans parce qu’à peine on le pense, c’est réalisé. On est dépassé par l’appréhension, le recul nécessaire à avoir avec ces outils. Tous les scénarios “catastrophes“ sont désormais sur le point de se réaliser : l’intelligence artificielle, la conscience de la machine… Je suis dans un courant de questionnement par rapport à l’utilisation des nouvelles technologies tant que j’y trouve mon compte en tant qu’artiste. Donc je me suis battu pour cette pièce, à essayer de dominer ce dont j’avais besoin mais les étendues sont tellement énormes… Je ne suis pas forcément un chercheur, je suis un artiste qui a envie d’utiliser des trucs, donc je me suis donné les moyens. C’est-à-dire, concrètement, quatre années de travail à essayer de dominer les machines. Encore aujourd’hui, si on lève la tête, on est mort. Le spectacle reste très fragile, mais il y a ce côté jouissif de porter ça sur scène, de créer l’émotion voulue avec tout ce dispositif. Konnecting SoulsLes 9 et 10 mars à 20h, à l’Hexagone (Meylan)

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