Intermittents du spectacle : dernier acte ?

Le 6 décembre, les artistes et techniciens intermittents s’opposaient au protocole d’accord du 18 avril sur leur assurance chômage. Le frère jumeau du protocole de 2003, est un texte aberrant qui fragilise la profession. Séverine Delrieu

Alors que la CFE-CGC se réunissait entre les 6 et 8 décembre pour décider de ratifier ou non le protocole d’avril 2006 (la CFDT, CFTC ayant déjà annoncé leur intention de le signer), la CGT-spectacle et la coordination nationale des intermittents appelaient à une journée d’action et de grève dans toute la France, le 6 décembre dernier. Réaffirmant leur refus de ce protocole, en tous points inadéquat et dévastateur, cette journée de mobilisation fut largement suivie dans tout l’Hexagone.

Rappelons que le texte promulgué en 2003 a été rédigé et voté au sein de l’Unédic par des organisations patronales et syndicales non représentatives des métiers du spectacle (le Medef, la CFDT et la CFTC), l’écrasante majorité des intermittents syndiqués l’étant à la CGT-spectacle, opposée au protocole.

Ce protocole, animé par un principe de réduction du nombre d’intermittents, suscita en 2003 une déferlante de réactions légitimes. Manifestations, annulations de festivals (on vit concrètement à cette occasion que le secteur culturel avait des effets non négligeables sur les économies locales), actions fortes et symboliques sont les parties les plus visibles de cette résistance. Entre temps, Jean-Jacques Aillagon, incapable de gérer la crise, y laisse son portefeuille ministériel et est remplacé par Renaud Donnedieu de Vabres qui gagne du temps.

Petits arrangements

Après d’âpres luttes, les intermittents obtiennent la création du Fonds Transitoire pour “repêcher”, sur fonds publics, ceux qui ne parviendront pas (1 sur 3) à remplir les nouvelles conditions d’emploi (507 heures sur 10 mois au lieu de 12). Tenace, mais néanmoins constructif, ce mouvement va se rassembler en un Comité de suivi, constitué d’élus de diverses obédiences politiques (droite, gauche), de coordinations d’intermittents, de confédérations syndicales, qui planchent sur un projet de loi.

Ce texte, la PPL (qui visait à garantir l’égalité entre indemnisés), est présenté à l’Assemblée nationale le 12 octobre 2004. Après une manœuvre retorse du Président du groupe UMP M. Accoyer (il annonce que le vote n’est pas valide faute de monde dans l’hémicycle alors que le texte avait remporté un vote majoritaire), ce projet de loi ne passe pas... Depuis, le dossier de l’assurance chômage des intermittents peine à être réglé par un gouvernement qui ne reprend pas la main sur les gestionnaires de l’Undédic.

En attendant, trois ans se sont écoulés. On constate une aggravation des différences entre ceux qui trouvent suffisamment de cachets et ceux qui en trouvent moins ; le déficit de l’Unédic n’a pas baissé, au contraire ; les fraudes sont toujours présentes. En résumé, ce nouveau protocole aboutit à un système encore plus inéquitable, s’éloigne un peu plus des réalités de ces métiers et risque d’éjecter un tiers des professionnels du spectacle, de l’audiovisuel et du cinéma de ce système.

Sortie des artistes

Effectivement, ce texte sonne la fin de l’allocation du Fonds Transitoire, qui sera remplacé par un fonds de professionnalisation n’ayant qu’un effet temporaire (une sorte d’allocation de fin de droits). Autant dire que c’est la porte ouverte au RMI pour 34000 personnes intermittentes : elles seront éjectées de ce système et ne pourront plus vivre de leurs métiers.

Les conséquences dans le champ de la culture seraient lourdes : une culture moins diversifiée et plus refermée sur les grandes institutions ; moins de propositions artistiques dans les écoles, les hôpitaux, les maisons de retraites, les quartiers qui permettent de sensibiliser un plus grand nombre aux arts ; difficultés pour les associations et les lieux peu subventionnés aussi. Car pour ceux qui auront des difficultés à obtenir le nombre d’heures sur 10 mois, pour vivre, il faudra trouver un deuxième métier, et doucement en finir avec sa profession artistique. C’est pourquoi, l’appel du 6 décembre fut largement suivi.

À Grenoble, la mobilisation débuta par des actions symboliques à l’initiative du Collectif-Culture : une vingtaine d’intermittents, qui après s’être rendus dans les syndicats en accord avec le protocole, ont tenté de dialoguer avec un Président du Medef Isère introuvable. Puis, après un détour par le siège de l’UMP, le groupe s’était donné rendez-vous à la MC2 en fin de journée.

Réalité professionnelle et existentielle

Là, une assemblée générale réunissant l’ensemble des salariés de la MC2 (permanents et intermittents) et les équipes artistiques invitées (les compagnies Maguy Marin et Lire aux éclats) avait voté la grève le matin même à une large majorité (36 sur 43), et les deux spectacles programmés, May be et Fin de partie furent annulés. Le personnel intermittent de l’ex-Cargo et le Collectif-Culture ouvrirent un espace de paroles dans le hall réunissant artistes, techniciens intermittents ou non, personnel administratif, directions de la MC2 et des spectateurs restés sur place car curieux de connaître les raisons de la grève. Le dialogue ouvert qui s’engagea, balaya certains préjugés et croyances erronées sur les métiers du spectacle et du cinéma : alors que ce sont les Assedics qui indemnisent les intermittents – ils sont donc assimilés à des chômeurs –, ces professionnels travaillent énormément, la plupart du temps sans être rémunérés.

C’est ce qu’explique la chorégraphe Maguy Marin ce soir là : « il y a une grande part d’invisible dans notre travail ». Invisible, cela signifie qu’en dehors du cachet payé, dit “travaillé”, le technicien ou l’artiste consacre du temps aux recherches, réflexions, répétitions, expérimentations, uniques moments dans lesquels la création et le renouvellement peuvent avoir lieu ; espaces de travail cachés permettant l’émergence de nouveaux talents.

Une première confusion fut levée révélant une réalité plus juste sur ces métiers. L’autre, porta sur les revenus des intermittents : la moitié d’entre eux a un revenu mensuel (salaire + indemnités chômage) de moins de 1200 euros. Si, petit à petit, on perçoit mieux la réalité de ces métiers, on est aussi plus sensible à la nécessité d’améliorer et de pérenniser ce système qui permet encore une exception culturelle en France.

Alors, faudra t-il attendre les prochaines élections pour rouvrir sérieusement ce dossier à de nouvelles négociations ? Les candidats à la présidentielle auront-ils une position claire et éclairée sur l’avenir de ce système, et, plus largement, sauront-ils défendre une vision de la culture en France ? Espérons-le. Exigeons-le ? Prochaine Assemblée générale jeudi à 18h à la MC2.

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