Steve tout puissant

Le public français ne connaît pas encore son nom, mais se familiarise avec son irrésistible trogne de loser psychopathe. Au sortir d’une décade de délires télévisuels en tout genre, Steve Carrell s’apprête à torturer vos zygomatiques sur grand écran (rendez-vous dès cette semaine pour sa performance impeccable dans “Little Miss Sunshine”). François Cau

Rien ne prédestinait le petit Steven John Carrell à devenir l’un de nos comiques américains préférés. Au sortir d’études pas spécialement remarquables (il est allé dans la même université que Jennifer Garner, c’est dire), il tente tout d’abord sa chance professionnelle comme facteur, avant d’y renoncer faute de compétences en la matière. Il songe à se lancer dans une brillante carrière d’avocat, mais, une nouvelle fois, se retrouve face à un obstacle de taille : en remplissant le formulaire d’entrée de sa future ex fac de droit, il bute sur une question fatale (“pourquoi voulez-vous devenir avocat ?“). Il ne sait pas quoi répondre, s’enfuit probablement à toutes jambes et rallie la ville de Chicago. Sur place, son horizon s’éclaire dès qu’il intègre la Second City Troupe. Ses débuts sur scène, en 1991, coïncident avec son premier rôle au cinéma. Dans le très justement inédit Curly Sue de John Hugues (Breakfast Club, La Folle Journée de Ferris Bueller), en serveur borné, il vire James Belushi de son restaurant. Une composition muette de deux minutes à tout casser, où son art humoristique pointe déjà : le temps d’une courte séquence, ce navet informe semble touché par la grâce.L’école télévisuelleNon content de sévir en tant que comédien / metteur en scène, Steve Carrell donne des cours de cette discipline délicate qu’est l’improvisation (dont il est aujourd’hui un maître irréfutable) pendant six ans. Parmi ses élèves, un gars étrange nommé Stephen Colbert, à la base vendeur de T-shirt de la Second City Troupe. Colbert, déjà targué de cet humour à froid qui devait faire sa renommée, intègre vite la joyeuse bande menée par Carrell avant de voler de ses propres ailes sur le petit écran. Promu auteur sur le show de Dana Carvey (mais si, voyons, Garth Algar dans Wayne’s World), Stephen Colbert pistonne son ancien prof pour l’écriture de quelques sketchs, en particulier un cartoon récurrent dont les deux hommes rédigent les scripts et interprètent les doublages vocaux : The Ambiguously Gay Duo. Une satire de l’attirance équivoque que peuvent développer deux super-héros inséparables s’habillant en fringues excessivement moulantes... Même si le Dana Carvey Show n’aura droit qu’à une seule saison d’antenne (en 1996), Steve Carrell parvient à s’y faire dûment remarquer, tant pour son écriture et son sens aiguisé de l’absurde, que pour ses interprétations. Donnez-lui n’importe quel rôle ingrat (un allemand vociférant, un serveur écœuré par la seule lecture du menu, ou même… Richard Nixon), et sa seule présence à l’écran déclenche torrent de rires. Son maintien maladroit, sa gestuelle incertaine (mais infiniment maîtrisée), ses inflexions de voix hilarantes, ses mimiques crispées ou paroxystiques en font d’ores et déjà un comique de premier ordre, rompu à toutes les disciplines rigolardes. Imaginez un mélange fusionnel du jeu des six Monty Pythons, et vous approcherez du but.L’appel du cinémaAprès quelques essais infructueux en solo, Steve Carrell rejoint son compère Stephen Colbert sur le Daily Show de Jon Stewart, parodie des émissions d’actualité américaines au succès grandissant. Le public US adopte définitivement le comique au gré de ses performances dans Even Stevphen (de 1999 à 2005) – sketchs de cinq minutes où Carrell et Colbert s’engueulent sur un sujet d’actualité avec force mauvaise foi, éclats vocaux et autres mesquineries irrésistibles. En 2003, Steve Carrell succombe à la tentation cinématographique avec un premier rôle principal dans le superbe court métrage Street of Pain (un combat de Dodgeball filmé à la John Woo, dispo sur le net en libre téléchargement), et un second rôle dans Bruce Tout-Puissant. Dans ce dernier, Steve Carrell réussit un tour de force : voler la vedette à Jim Carrey le temps d’une scène, où Bruce lui fait baragouiner n’importe quoi grâce à ses pouvoirs divins. L’acteur mime le jeu outré habituel de Carrey et parvient à le transcender – à tel point que la suite de cette comédie énervante à force de bondieuseries tournera intégralement autour de son personnage… L’année suivante, Steve Carrell intègre le très fermé “Frat Pack“, regroupement de comiques US en vogue (Will Ferrell, Owen et Luke Wilson, Jack Black ou Vince Vaughn) n’aimant rien tant que se retrouver ensemble dans des comédies basses de plafond. La meilleure d’entre elles, Présentateur Vedette : la Légende de Ron Burgundy, délire seventies de haute volée maintes fois recommandé dans ces colonnes, voit Steve Carrell irradier de mille feux comiques dans un rôle casse-gueule (le présentateur météo simplet) - la moindre de ses apparitions à l’arrière-plan suffit à déclencher l’hilarité. Un miracle réitéré dans deux autres productions avec le Frat Pack comme figure de proue : le pas trop mal Melinda & Melinda de Woody Allen et le franchement raté Ma Sorcière Bien-Aimée de Nora Ephron.Big Mister SunshineC’est en 2005 que Steve Carrell explose, au sens figuré, ça va sans dire. Sa popularité croissante lui accorde la pleine confiance du producteur / réalisateur Judd Apatow, et très vite un projet de film scénarisé et interprété par ses soins voit le jour sur la seule base de son titre : The 40 Year Old Virgin (40 ans toujours puceau). Le tournage commence sans que le script ne soit finalisé, laissant une grande place à l’impro des comédiens (et à quelques problèmes de rythme, pour être totalement franc). Le succès est au rendez-vous, mais dans une moindre proportion que celui à venir : NBC souhaite remaker à la sauce US la géniale mini-série de Ricky Gervais et Stephen Merchant, The Office. Les créateurs originaux participent à l’écriture, et Carrell campe le rôle principal, le patron Michael Scott, effroyable loser à l’humour intolérable. En grands fans de la série originale, on se disait que rien ne pouvait l’égaler (et surtout pas la ridicule version française avec Berléand) ; et pourtant, dès que Steve Carrell se réapproprie les plus fameuses scènes de son illustre modèle, la magie opère. Fort de ces réussites artistiques, Steve Carrell campe désormais des premiers rôles et se risque dans des registres plus fouillés, comme peut en témoigner sa belle composition dans Little Miss Sunshine.

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