L'oeil sur le réel

Panorama / Malgré les difficultés financières, la 6e édition du Festival Regards croisés débute. Poursuivant sa recherche des dramaturgies contemporaines dans les pays de l'ex-Yougoslavie amorcée l'année précédente, le collectif Troisième bureau ouvre son champ vers la Roumanie. Au final, 7 jeunes auteurs armés d'écritures acérées, de récits lucides, émancipés et courageux restituent violemment le monde (pléonasme). Séverine Delrieu

Qualifier le travail du collectif Troisième bureau d'unique est peu dire. Car, comme le précise Bernard Garnier, coordinateur du projet : «le collectif s'occupe de toute la chaîne de production, collecte textes à l'étranger et en France, effectue un travail de lecture, analyse, met en traduction, réalise avec le Festival des lectures, des rencontres avec les auteurs». Processus qui n'a sans doute aucun équivalent en France. Autre particularité féconde, l'existence même de ce collectif. Composé d'une vingtaine de personnes, réunissant comédiens, metteurs en scène, scénographe, écrivain, professeurs, bibliothécaire, journaliste, traducteurs, le regroupement crée une dynamique, un lieu d'échange d'où jaillissent des idées innovantes. «Le collectif, c'est accepter l'altérité en étant au travail ensemble, et le théâtre, c'est fondamentalement ça. Et pour nous, cela se fait avec les auteurs». Dernière particularité et non des moindre donc, l'auteur (porteur d'une langue, d'un sens et d'un univers) se situe au centre de leurs préoccupations. Alors qu'en France l'auteur non franco-français n'a pas de place (et encore), on constate que dans les pays européens, il trouve une reconnaissance auprès des institutions. «Sur les auteurs invités cette année Milena Markovic, Maja Pelevic, Gianina Carbunariu ont eu des résidences à la Royal Court de Londres, elles sont aussi traduites en anglais et quelques fois en allemand. Peca Stefan a eu une résidence à New York», détaille Bernard Garnier. dure rÉalité croiséeDans cette France franco-française qui vit un décalage flagrant, le collectif tente de rattraper le retard. Mais encore faut-il pour réunir tous ces atouts, et pour payer correctement traducteurs, comédiens, auteurs étrangers, français et une salariée du collectif (les autres étant bénévoles), un minimum de financement. Aujourd'hui le Festival Regards Croisés est «financièrement en dessous du minimum nécessaire à ses besoins». Le collectif, déficitaire de 10 000 euros, en appelle à la générosité du public pour l'aider à continuer son travail. De plus, si cette édition a pu voir le jour (en novembre, le Festival n'avait toujours pas d'espace, le Rio ayant connu le destin que l’on sait), c'est grâce à la proposition de Michel Orier, Directeur de la MC2 qui leur a ouvert les portes de la Salle de Création. «On est très bien accueilli par toutes les équipes. Le CDNA a aussi mis à notre disposition les ateliers de construction de décor». Précisons que malgré ces conditions précaires, le collectif fait le choix d'un gratuité totale aux lectures, débats avec les auteurs, ainsi qu'au concert du groupe belgradois Kal en clôture du Festival. Car loin d'être dans une recherche que certains qualifieront d'élitiste (comme si l'exigence, la qualité n'étaient que l'apanage des intellos, ces fous), leur démarche, celle de l'ouverture et d'une large diffusion se concrétiseraient dans leur rêve commun, celui du «brassage» au moment du Festival.Encre noireSi le public afflue lors du Festival 2006, qu'il soit prévenu : la constante aux textes (hormis la jeunesse des auteurs majoritairement femmes), est ce fond noir, désespéré, dénué de perspectives. Mais parce que le monde va vite, louables, nécessaires sont ces auteurs qui le scrutent et le restituent. Si les contextes historiques diffèrent dans les textes, les propos se rejoignent dans le rejet des idéologies, le refus d'une mondialisation ultra-libérale, la dénonciation d'une domination masculine, et, justement, le manque de perspectives de la jeune génération asphyxiée. Dommage que certains textes souffrent d'un manque de distance, donc d'humour. Dans Maby-baby-edu de la roumaine Gianina Carbunariu, Madalina rêve dune vie d'actrice en Irlande et se fera abuser par ses propres compatriotes, hommes à la violence brute et perverse ; même génération que décrit la serbe Maja Pelevic (25 ans) dans À croume où Vukan qui tente de décrocher de la came se fait aider par Una, dépendante aux relations sado-maso. Quand on sent poindre l'amour vrai et non avoué entre ces deux amis, l'espoir survient, puis s'écroule. Mais au-delà de la dureté insoutenable (car au fond ce monde-ci n'offre pas mieux pour beaucoup), plus regrettable est le manque d'invention au niveau de la langue. L'écriture souvent scénaristique, chronologique, sans surprise balance un réel non digéré sans transcendance artistique. U.F de Peca Stefan (roumain), nous embarque dans une histoire d'inceste à répétition, assez attendue dans sa forme cyclique. Pourtant, au milieu de textes étrangement similaires, Un bateau pour les poupées plus métaphorique et complexe de Milena Markovic explore un monde de l'enfance meurtri et truffé de personnages de contes trash. Esperanza de Zanina Mircevska diffuse un humour permanent allégeant le propos, et les trois textes d'Ivana Sajko (croate) touchent, de loin, par l'inventivité de la forme, la subtilité des réflexions et la profondeur du propos.Festival Regards croisésdu 16 au 21 mai à la MC2 détail en pages agenda

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