Le Mépris

Film référence de la nouvelle vague, “le Mépris” de Jean-Luc Godard, librement inspiré du roman d’Alberto Moravia, surprend toujours par sa modernité et émeut par son lyrisme. Séverine Delrieu

Des scènes mythiques de ce film hantent nos mémoires et certaines citations ou dialogues se gravent dans nos esprits : Le Mépris de Godard est un océan bleu courant vers l'infini, un voyage qui se renouvelle à chaque vision, un récit magistral. En 63 Godard pose la question de “comment faire du cinéma”, ou comment être créateur sans être perverti par un système régi par l'argent et ses exigences de rentabilité, interrogation encore d'actualité. C'est cette problématique à laquelle est confrontée le personnage du réalisateur, qui doit tourner L'Odyssée d'Ulysse, incarné par Fritz Lang lui-même (ce dernier a lui-même fait carrière à Hollywood). Ce personnage érudit, cite à loisir Brecht, Corneille ou Dante, sans jamais chercher à dominer le scénariste Paul Laval (un Michel Piccoli arborant des allures de Godard) engagé par le grotesque producteur américain Jéremie Prokosch (coup de maître de Jack Palance au visage de bad guy notoire) pour rendre le film plus commercial. Lorsque Paul accepte la proposition (très bien payée) du producteur, il prostitue implicitement sa femme. Parce qu'elle est belle, objet de désir, Paul ne rechigne pas à laisser sa femme se faire embarquer par le producteur pour lequel elle n'est qu'un autre produit, à l'image du cinéma. Camille découvre alors des facettes inconnues de son mari. Lentement, la distance s’installe (les scènes remarquables de l’appartement reflètent leur incapacité à communiquer), suivie du mépris et son corollaire, le désamour. Soutenu par une musique de Delerue annonciatrice de fin du monde, obsédante, couvrant quelques fois les dialogues (comme si la parole ne pouvait plus agir contre une fin inéluctable), Le Mépris est aussi le prétexte pour Godard de parler de l’état du cinéma, et de son amour pour lui.Histoire(s) de cinéma Dès la première séquence du Mépris, on entend la voix atone de Godard dérouler le générique (installant déjà la distance) et finissant sur une citation de Bazin : «Le cinéma substitue à nos regards un monde qui s’accorde à nos désirs». Au même moment, une caméra avance dans un lent travelling au milieu d'une Cineccitta morte («le cinéma est mort» revient comme un leitmotiv dans la bouche du producteur), vers une autre caméra, celle de Godard : une caméra filmant une autre caméra, ou Godard filmant le cinéma, filmant le spectateur aussi, dénonçant son voyeurisme, son désir projeté sur la toile. D'ailleurs, la fameuse scène de Bardot/Piccolli alanguis, elle posant les questions sur les beautés de son corps, lui assénant des «oui je les aime» dénués de passion, se juxtapose à cette première séquence, et ce n'est pas un hasard : le producteur de Godard voulant utiliser Bardot à des fins “d'érotisation”, lui avait demandé de tourner une scène sensuelle. Celui-ci a obtempéré tout en faisait un pied de nez : effectivement elle est nue, mais rien de plus. Comme si au cinéma, les films se faisaient malgré le bon vouloir des producteurs, tout comme le personnage de Fritz Lang tourne son film sur L'Odyssée d'Homère à sa manière et ce, malgré les stupides exigences de Prokosch.Le méprisde Jean-Luc Godard (1963, Fr, 1h45) avec Brigitte Bardot, Michel Piccoli...le 14 décembre à 20h, au CCC

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