Nils Petter Molvaer : Nils et les voies sauvages

Porte étendard d’un jazz résolument ouvert aux expérimentations et aux sonorités électroniques, le trompettiste norvégien Nils Petter Molvaer concilie les extrêmes au sein de paysages sonores intenses, en quête perpétuelle d’alchimie entre jeu épuré et rythmiques élaborées. HUGO GASPARD

Il serait réducteur et pour tout dire simpliste, de n’avoir de lui que cette image de trublion du jazz à papa ou d’extraterrestre pour trompettiste d’harmonie qui lui colle irrémédiablement à la peau. Car, au delà du créateur de formes hybrides et expérimentales qu’il est assurément, Nils Petter Molvær est avant tout un formidable instrumentiste, à la fois improvisateur hors-pair et performer indomptable, dont le jeu lyrique et éthéré s’acoquine à merveille avec les rythmiques les plus retorses. Un côté Jekyll et Hyde qui déroute autant que séduit, d’autant que le bougre cultive copieusement le paradoxe : aussi exigeant sur que discret hors des plateaux, refusant catégoriquement de choisir entre le studio et la scène, l’acoustique et l’amplifié, le norvégien semble assumer par dessus tout la complexité d’une musique hybride, appréhendée par son côté le plus sauvage, construite par strates, tout en avouant rechercher systématiquement l’épure. «Je ne pense pas ma musique comme une structure jazz du genre thème / impro / thème, mais plutôt comme des fragments, des éléments d’origine diverses qui entrent en interaction et viennent s’empiler».Ile at easeCette conception, résolument plus proche de la musique traditionnelle que du jazz à proprement parler, est d’ailleurs peut-être à mettre en perspective avec les origines insulaires de ce norvégien provincial qui découvrit la musique auprès de son père, intuitivement et presque au berceau. «Je devais avoir 3 ou 4 ans, quand papa qui jouait de la clarinette et du saxophone, m’a offert un phonographe avec des disques de Louis Armstrong et de Billie Holiday. A force de les passer en boucle, je connaissais les chorus par cœur. Et j’ai appris la trompette comme ça, tout seul puis au sein de l’harmonie locale. Après dix ans de fanfare, j’en ai eu vraiment marre car j’étais plus attiré par des trucs de mon âge, comme le sport ou le rock...». Avant de tout laisser définitivement tomber pour jouer de la basse ou du clavier dans des groupes de Heavy Metal, il se convainc d’une visite de la dernière chance dans une école de musique. Sa chance et la nôtre, un prof enthousiaste, qui lui redonne l’envie de jouer de la trompette. Ainsi ragaillardi, Nils Petter ne quitte désormais plus son instrument, bien décidé à en explorer toutes les potentialités. «À l’époque, j’écoutais vraiment toute sorte de musique. A 19 ans, je me suis même décidé à quitter mon île de Sula pour le conservatoire de Trondheim, afin d’étudier le classique. Mais au bout de deux ans, je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi». Oubliée donc la carrière de concertiste, mais le jeune homme installé à Oslo a bel et bien trouvé sa voie, celle d’une carrière de musicien pro qu’il embrasse dès 1982 au sein de Masqualero ; puis sa voix, en la personne de l’immense Sidsel Endresen, qu’il accompagne en studio pour So I Write et Exil, ces deux premiers albums sur le mythique label ECM, puis sur scène. Il n’a alors que 22 ans et une soif de découverte qu’il va s’atteler à assouvir sans ornière, ni limite…Trompette de la renomméeQuitte à succomber aux sirènes de la musique électronique, à l’heure où la plupart des musiciens de jazz hésitaient même seulement à lui faire de l’œil… En éclaireur donc, il commence à tourner en club en plein boom des scènes de Detroit et de Bristol pour poser son phrasé déjà inimitable lors de sets de DJs. Eprouvant au passage son style, fait d’une efficacité et d’une économie de moyens qui rappellent Miles Davis ou Don Cherry, tout en lorgnant du côté des constructions alambiquées de Jon Hassel ou de Brian Eno. Ce dont rend admirablement compte Khmer, son premier album paru en 97 et qui pose les bases de sa musique, et de son succès, entre méditation et sophistication. Suivront Solid Ether et NP3, où l’élément électronique apparaît de plus en plus intégré, digéré jusqu’à constituer l’épine dorsale des morceaux. «En fait, aujourd’hui encore, ce sont les musiciens avec lesquels je joue qui m’apportent cette sonorité plus électronique. Je dirai plutôt que je fais de la musique acoustique dans un environnement électronique. Sur Khmer Raymond Pellicer m’apportait une certaine couleur. Depuis Solid Ether, Jang Bang qui fait le travail de sampling et de re-sampling en live ou DJ Strangefruit m’emmènent dans d’autres directions, et sont pour beaucoup dans cette sonorité électronique». Ce changement de direction, Molvaer en a fait sa marque de fabrique, capable de se remettre systématiquement en question à chaque album. Après l’ambient et l’electronica, il promet ainsi de s’essayer à l’abstract rugueux dans l’esprit du label Lex. Le signe d’une ouverture d’esprit peu commune, mais aussi d’une instabilité créatrice parfois désarmante, qui le rapproche encore un peu plus du grand Miles. «Je ne me considère pas comme avant gardiste. Juste à l’écoute de mon temps. Miles, lui, a été novateur toute sa vie». Un excès de modestie, sans doute, comme celui qui le pousse à rechercher la reconnaissance tout en fuyant le succès, comme si la réussite (et ses contraintes) avait un coût trop lourd à assumer. Quoiqu’il en soit, toujours pas à un paradoxe près, ce grand timide s’épanouit aujourd’hui véritablement sur scène, où, pour beaucoup, la présence de son compatriote guitariste Eivind Aarset se révèle essentielle à la maturité et la maturation du live, creuset instable d’expérimentation en tous genres. Pour preuve, Steamer, premier enregistrement live sorti cette année chez Sula Records, sa propre maison de disques en référence à la douceur de vivre de son île natale. Une émancipation finalement pas si difficile à prendre que cela, face à l’environnement clos des majors. «Si j’ai toujours eu beaucoup de liberté pour faire la musique que je voulais, je n’en étais pas réellement propriétaire. C’est agréable pour moi car en un sens, j’ai plus de contrôle sur tout ce qui se passe autour de la sortie d’un disque. Dans une major, on n’a pas ce genre de retour sur la musique que l’on fait». Une musique tellement hors cadre qu’elle mérite au moins cela pour vivre…Nils Petter Molvaeren clôture du Grenoble Jazz Festivalà la MC2 le 19 mars

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